Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland : Étienne de Montety Grand Prix de l’Académie française 2020 pour son roman « La grande épreuve »

Publié le 28 novembre 2020 à  9h59 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h20

Le Grand Prix de l’Académie française 2020 a été attribué à Étienne de Montety pour «La grande épreuve», un roman inspiré de l’assassinat du père Hamel dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray.

Étienne de Montety propose un roman sur la force légale canalisée qui sauve l’humain de la violence. © Patrice Normand.
Étienne de Montety propose un roman sur la force légale canalisée qui sauve l’humain de la violence. © Patrice Normand.

C’est en 1934 que Daniel-Rops publia «Mort où est ta victoire ? », un roman crépusculaire et bouleversant dont le titre faisait référence à une réflexion de Saint-Paul extraite de la «Lettre aux Corinthiens». Il y était question de foi, de désir d’être sauvé, et de la manière dont, avec parfois beaucoup d’aveuglement, l’Homme met en place des stratégies pour y parvenir. Même problématique chez Étienne de Montety qui, avec «La grande épreuve» vient d’obtenir le Grand Prix du roman de l’Académie française, colorie en lettres de sang tous les visages de l’engagement.

«La grande épreuve»

Au départ deux parcours d’adolescents se télescopant pour le pire du pire : celui de Daoud M. qui, né en 1996 à Roubaix devint David Berteau après avoir été adopté par François et Laure Berteau un couple d’intellectuels français nourri d’un souffle mystique. Puis celui de Hicham Boulaïd, né à Troyes au début des années 1990, dont le père Brahim Boulaïd avait quitté Tiznit dans le sud du Maroc, et s’est fait embaucher dans une société de travaux publics d’une ville de Champagne. Ces deux-là, radicalisés, vêtus de djellabas pénétreront dans une église pour semer la mort. Ce n’est pas tant le comment qui anime la narration de ce thriller où la métaphysique tient lieu de vêtement à chacun des personnages que le pourquoi. Après avoir posé les cadres du drame, Étienne de Montety propose une large méditation sur le bien et le mal, le juste et l’injuste. Comme chez Daniel-Rops, mais avec des situations évidement très différentes, l’auteur évoque la figure d’un prêtre (Georges Tellier) à la fois confident et conscience de cœurs souffrants. Les dialogues du roman sont admirables de précision et de clarté, la question de l’adoption, comme dans «Au nom du fils» de Hervé Bazin, tient lieu de fil conducteur, et de moteur de l’action, tout comme le statut de déraciné. Pas de complaisance chez Étienne de Montety, ni de compassion pour les bourreaux, mais le besoin de nous faire comprendre comment on en est arrivé là. Nourrissant son récit basé sur un fait divers réel, d’hommages successifs à Maurice Genevoix, (page 87, et son chef d’oeuvre «Raboliot » qui avec «La dernière harde» demeure un de ses plus grands livres), «Les contes du lundi » de Daudet (page 88) ou à la série «Les brigades du tigre», (page 65) dont un des protagonistes raffole, Rappelons que Maurice Genevoix qui est aussi l’auteur de «Ceux de 14 » une dénonciation de la guerre (là encore une sorte de «Mort où est ta victoire») est entré au Panthéon ce 11 novembre dernier. Étienne de Montety met en garde chacun contre sa «nature» violente au sens kantien du terme. «L’homme est un loup pour l’homme. Seule la force légale, canalisée, permet de contenir celle que génère toute société -et de protéger les plus faibles». Après les «Fondements de la métaphysique des mœurs», voici Camus et sa « généreuse complicité » inhérente à la nature humaine. Celle qui pousse l’homme à aider autrui, et à accepter de mourir pour lui». Un grand roman noir nimbé de la lumière des Innocents sacrifiés.
Jean-Rémi BARLAND

«La grande épreuve » par Étienne de Montety – Stock – 300 pages – 20 €

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