Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Franck Bouysse : Prix Giono 2020 pour son roman « Buveurs de vent »

Publié le 5 décembre 2020 à  10h52 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h20

Succédant à Jean-Luc Coatelem, Franck Bouysse s’est vu attribuer, au premier tour, le prix Jean Giono 2020, pour son roman « Buveurs de vent» éloge de l’insoumission dans une nature puissante…

Destimed franck bouysse
Pour tout le monde «Né d’aucune femme» de Franck Bouysse fut un choc. Avec son nouvel opus il va me semble-t-il plus loin dans la force évocatrice. Ambiance de western, univers rappelant les films de Tarantino, des frères Coen, ou de Martin Scorsese, écriture panthéiste proche de Giono, «Buveurs de vent» que l’auteur a publié chez Albin Michel secoue, emporte, bouleverse et subjugue. Lauréat du Prix Giono justement dont l’Aixoise Paule Constant est la présidente, ce roman explosif presque au sens étymologique du mot, ferait justement le lauréat idéal pour pareille récompense. Véritablement surprenant, avec une intrigue à tiroirs et des portraits saisissants de personnages complexes tous animés d’une passion dévorante, le récit fixe au centre de sa toile l’image d’un tyran. On le connaît sous le nom de Joyce. S’étant installé dans cette ville perdue au milieu des montagnes, «une sacoche de cuir à la main», venu d’on ne sait où, sans doute dans «la barque amarrée au-dessus du viaduc, que personne n’avait jamais utilisée», il en possède aujourd’hui les moindres recoins. La centrale électrique, les carrières, les barrages, les rues portant toute son nom, le bar « L’Amiral », lieu de convergence de bien des tensions, tout lui appartient. Son mariage pratiquement «acheté» avec Isobel, qui entraîna la mort violente de son rival, la naissance de son fils, son acharnement à détruire ses ennemis, l’existence entière de cet orphelin de naissance s’apparente à celle d’un bâtisseur se considérant comme «seul et unique créateur de toutes choses».

Un hymne féministe sur la puissance de la nature et l’irrépressible besoin d’insoumission

En face de lui la famille Volny avec son père, sa mère et ses quatre enfants. Trois garçons : Marc, qui lit en cachette de ses parents, Matthieu qui entend penser les arbres et Luc, enfant qui provoquera une tragédie, un être fragile parlant aux grenouilles aux cerfs, aux oiseaux rêvant lui-même de s’envoler. Une fille se prénommant Mabel d’une beauté sauvage, et au caractère de combattante, répudiée par sa mère, se dressant presque malgré elle contre l’empire Joyce. Coups de feu et de couteau, explosions, chasse à l’homme, mouvements de grève, cris de révolte, hommes de mains mercenaires et représentants de l’ordre véreux, Franck Bouysse montre combien il est aisé de créer de l’injustice, et illustre l’idée que « les faibles finissent toujours par l’emporter, non par addition de leurs forces, mais par soustraction de celles des puissants. » Roman social, fable politique, récit d’amours croisées, réflexion sur le déterminisme à la manière des grands écrivains du Sud américain, éloge de la fraternité comme moyen de se construire un monde où la beauté «cette humaine conception» et la grâce qui est «un sacrement» demeurent des armes de résistance. «Buveurs de vent » bouleverse en refusant tout manichéisme. C’est un livre absolument admirable autant sur le fond, la forme et son style charriant des tonnes de compassion et se faisant au fil des pages un hymne féministe sur la puissance de la nature et l’irrépressible besoin d’insoumission. Un chef d’oeuvre !
Jean-Rémi BARLAND
« Buveurs de vent » de Franck Bouysse. Albin Michel – 392 pages – 20,90 €

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