Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. ‘Le temps de te dire adieu’ de Gaëlle Pietri : le livre du deuil contre l’oubli

Publié le 6 mai 2023 à  22h59 - Dernière mise à  jour le 8 août 2023 à  8h24

Voilà un livre arraché aux larmes et à la douleur que Gaëlle Pietri eût préféré ne jamais devoir écrire. Un texte sobre, émouvant, puissant, où l’absence de pathos tranche avec la noirceur du propos.

 

Mannequin la jeune femme fut la compagne de Gaspard Ulliel, acteur mondialement connu, fauché en pleine gloire à l’âge de 37 ans lors d’un accident de ski survenu le 18 janvier 2022 alors que, skieur émérite, il descendait une piste bleue dans la station de La Rosière en Savoie, où il passait ses vacances avec ses amis deux jours après avoir fêté le sixième anniversaire de son fils, Orso. «Tu resteras mon plus beau voyage, abordé sans guide, les yeux fermés. Ta présence et ton absence convergent dans mon cœur. Je sais désormais que je pourrai toujours te trouver en moi. Ceci est à nous», écrit-elle. Mais loin d’être larmoyant «Le temps de te dire adieu» publié chez Grasset n’est pas seulement un chant d’amour que son autrice adresse à son fils Orso, et à Gaspard mais une réflexion plus ample sur le deuil.

Très grande lectrice comme l’était son compagnon avec qui elle s’était séparée avant l’accident mortel, Gaëlle Pietri évoque George Sand qui à la mort de Léopoldine la fille de Victor Hugo lui adressa ces mots: «Que peut-on vous dire, à vous, que votre âme ne vous dise plus et mieux? On peut seulement vous dire que le malheur vous frappe, plus on vous respecte et vous aime». Magnifique citation qui résume la teneur de ce qui apparaît comme une sorte de livre du deuil contre l’oubli. Une manière d’illustrer par des mots rouis à la lumière de soleils trompeurs, «qu’un seul être vous manque et tout est dépeuple». «Être en deuil, c’est pénétrer le royaume des signes. Ceux que je cherche, appelle de mes vœux, ceux qui me tombent dessus à l’improviste. Un signal, un geste, un son. Des petits cailloux que tu aurais semés sur mon chemin; En voici quelques uns», ajoute-t-elle. Posant la question: «D’où parle-t-on face au deuil ?» Elle répond: «On parle de soi, depuis soi, ancré en soi» mais se demandant : «Mes souvenirs sont-ils reconstruits ?» Elle veut ancrer son récit dans un mouvement empathique où parlant de sa douleur elle évite les clichés et nous rend témoin non pas voyeur mais acteur de sa propre douleur. Ne gardant que trois prénoms le sien, celui de Gaspard et celui d’Orso. Gaëlle Pietri rappelle qu’elle n’est pas la fille de Julie Pietri et qu’elle est fière d’être la petite fille de François-Marie Pietri, commandant et héros de la résistance qui, le 10 juillet 1940 après l’appel du 18 juin du Général de Gaulle créa le premier réseau de résistance corse. Volonté de dire d’où l’on vient et de transmettre à Orso le goût de son ancêtre pour la justice et la liberté.

«Les morts n’ont plus de vie privée»

De l’accident à la cérémonie des adieux, Gaëlle Pietri aborde tout, y compris la rupture et le fait que les gens sont des mystères, «qu’on ne peut jamais se promener dans l’esprit de ceux qu’on aime, ni se glisser dans leur peau, se fondre en eux, pas plus qu’accéder à leur âme. On ne peut que s’enfoncer dans l’obscurité», et surtout elle rappelle que «les morts n’ont plus de vie privée». Magnifique prose que Gaëlle Pietri déploie de page en page avec un soin particulier porté à la déstructuration des souvenirs qui arrivent en désordre, selon les caprices de la mémoire, «Les livres d’amour sont des testaments. Voici le mien Gaspard. Adressé à toi autant qu’à notre fils», nous dit-elle. Il est vrai surtout que «Le temps de te dire adieu» est aussi un hymne à la littérature.

Une citation de Faulkner

Pas étonnant que l’on trouve alors citée page 148 cette réflexion de Faulkner: «Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mesurer l’épaisseur de l’ombre.» On le constate Gaëlle Pietri procède en véritable écrivaine et disons qu’en contrepoint au deuil son récit demeure lumineux porte ouverte sur l’amour absolu et éternel. Sur le devoir de mémoire. Et à ce titre, il touche au cœur de tous et de chacun.
Jean-Rémi BARLAND

«Le temps de te dire adieu» de Gaëlle Pietri paru Grasset – 151 pages – 17 €

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