Cinéma: Avec « Plaire, aimer et courir vite » Christophe Honoré offre de l’émotion pure sur grand écran

Publié le 19 mai 2018 à  19h48 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  18h48

Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste Copyright Jean-Louis Fernandez  LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3
Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste Copyright Jean-Louis Fernandez LFP- Les Films Pelléas – Gaumont – France 3
Un homme utilise la voiture prêtée par son meilleur ami afin de rejoindre son amant basé à Rennes. Il prend sur le siège une cassette audio et, sans regarder ce qu’elle contient la met sur play. Quelques secondes suffiront à le bouleverser. Et pour cause puisqu’on entend la voix d’Anne Sylvestre interpréter «Les gens qui doutent», un de ses chefs-d’œuvre que je place parmi les plus grandes chansons françaises, toutes époques confondues. Choix sublime donc effectué par Christophe Honoré dont le film «Plaire, aimer et courir vite» contient une bande son remplie de pépites, toutes tirées d’un répertoire des années 1980-1990. Ainsi peut-on entendre aussi au gré des images de ce film poignant : «One Love» – Massive Attack ; «The Shadow of your smile» – Astrud Gilberto, «In a different place» – Ride ; «Can’t be sure» – The Sundays ; «I Wear your ring» – Cocteau Twins; «Cars and Girls – Prefab Sprout; «I’m so lonesome i could cry» – Cowboy Junkies; «Dreams of Pleasure» – Haydee / Siglo XX; l’air Scherza Infida d’ Ariodante de Haendel; «Oui, Dance In France» – Brahms LaFortune ; «You’ve Lost Me There » – Cardinal; «Cache Cache Party» – Pijon; «Pump up the Volume» – M/A/R/R/S; et «One» – Harry Nilsson. Du beau monde donc, et une volonté chez le réalisateur des «Chansons d’amour» de montrer en quelque sorte combien les grands moments comme les petits instants de notre vie sont rythmés par des variétés de toutes sortes, dont on se souvient ensuite avec une réelle nostalgie. Sublime idée chez un cinéaste qui ici, délaisse les partitions de son complice Alex Beaupain pour proposer autre chose, tout aussi original d’ailleurs.

Deux êtres qui doutent

«Les gens qui doutent » donc, belle définition en tout cas de l’attitude des deux protagonistes principaux de «Plaire, aimer et courir vite», qui souhaitent tant eux aussi «qu’on ne les malmène jamais quand ils promènent leurs automnes au printemps». Le premier qui se prénomme Jacques se sait atteint du sida, mais demeure à ce sujet d’une pudeur absolue. Écrivain de son état, il pense le monde en rêves fictionnels tant la réalité lui a fait comprendre qu’il va bientôt mourir. Sa vie finalement assez balisée rendue déjà tragique par la fin qu’il sait proche de son amant Marco, considérablement adoucie par la présence à un autre étage de Mathieu son ami professeur qui l’écoute et l’apaise, et qui en la personne de son fils charge d’âme, se voit chamboulée par la rencontre lors d’un congrès à Rennes, d’Arthur un étudiant croisé dans une salle de cinéma et avec qui il va vivre une histoire d’amour intense, peu banale, et dont il pressent le caractère d’urgence. Et puisque on citait Anne Sylvestre revenons vers elle en précisant comme elle l’écrivait dans «Rose» que notre héros fort peu héros au moment où on le découvre (comme dirait Stendhal) «essaya» depuis l’enfance «de vivre, mais n’y fut pas habile». La manière dont Christophe Honoré développe son récit montre son attachement à une qualité de style en haute tenue qu’on lui connaît d’ailleurs dans «Scarborough» et «Le cœur bouleversé» deux de ses romans où l’on retrouve en filigrane les mêmes thématiques.

Hommage à Koltès et Truffaut

Non sans humour parfois, avec une énergie cinématographique inouïe, Christophe Honoré, plus tard dans le film rend un hommage discret à Truffaut et à Koltès (on s’y recueille sur leurs tombes), ce dernier faisant l’objet de la part d’un autre personnage étudiant lui aussi à Rennes et camarade d’Arthur d’une longue assertion sur l’écriture. «Avant je croyais que notre métier, c’était d’inventer des choses ; maintenant, je crois que c’est de bien les raconter. (…) Pour ma part, j’ai seulement envie de raconter bien, un jour, avec les mots les plus simples, la chose la plus importante que je connaisse et qui soit racontable, un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des bruits, n’importe quoi qui soit un bout de notre monde et qui appartienne à tous.» Ces mots de tout le monde signés donc Bernard-Marie Koltès, un écrivain que Plaire, aimer et courir vite – film d’écrivain(s), cite à plusieurs reprises, directement et indirectement nous saisissent et nous retournent. Ils pourraient être de Christophe Honoré que l’on n’imagine pas dire autre chose sur son dernier film. Ne pas inventer, bien raconter, bien écrire, voilà son credo, son pari réussi, et la forme de son long métrage. Et Koltès à qui le Marseillais Arnaud Maîsetti vient de consacrer chez Minuit une biographie sensible et de haut niveau, peut-être, sans doute, l’un des modèles de l’écrivain du film. Réflexion sur comment «mettre un peu de vie dans son œuvre et d’œuvre dans sa vie », chant compassionnel pour la souffrance d’autrui, hymne à l’amour qui de toute façon libère l’homme de ses chaînes, «Plaire, aimer et courir vite» ne triche jamais, n’est jamais complaisant, et ose aborder de front mais sans discours pontifiants les grands thèmes de société. Et si on parle de sida et qu’on évoque Act-up «Plaire, aimer et courir vite» est très éloigné dans sa conception, sa construction et son développement fictionnel de «120 battements par minutes» de Robin Campillo, à qui certains le comparent finalement à tort. Le sujet principal demeure l’amour dans toute sa liberté d’entreprendre et pas le combat contre le Sida. Jacques n’étant pas non plus un emblème mais un homme qui aime un homme et qui, s’il aimait une femme agirait sans doute de la même façon.

Pierre Deladonchamps et Vincent Lacoste, acteurs sublimes

Homme de théâtre autant que cinéaste et écrivain, Christophe Honoré réussit ici le tour de force de mettre en scène cette histoire tragique avec grâce, légèreté, en évitant de tomber dans le glauque lors des scènes de drague et de baise sur les quais, insistant sur la profondeur des âmes et offrant des promenades dans Paris et Rennes, de toute beauté. Complexifiant les caractères au fur et à mesure de l’histoire racontée, posant bien sûr un obstacle très mentir-vrai d’Aragon sur la route des deux amoureux, le réalisateur offre aux deux comédiens que sont Pierre Deladonchamps (Jacques) et Vincent Lacoste (Arthur) des rôles aussi gigantesques que leur talent respectif. Comédiens sublimes, ils ne semblent pas jouer (ce qui n’est pas le cas de Denis Podalydès pas toujours à l’aise dans la peau de Mathieu) et se répondent comme sur les planches avec une justesse de ton renforcée par la véracité d’un texte limpide jamais sur-écrit. Le jury du Festival de Cannes 2018 aurait été bien inspiré de leur attribuer un prix d’interprétation conjoint. Et que dire de l’épilogue sinon qu’il nous tire les larmes et nous prouve si besoin était, que Christophe Honoré, magnifique conteur est un poète des sentiments et un grand cinéaste. Et puis, il a mis à entendre dans son film «Les gens qui doutent» d’Anne Sylvestre….donc merci et chapeau bas ! Jean-Rémi BARLAND Actuellement au cinéma et Compétition Officielle – Festival de Cannes 2018

Documents joints

Articles similaires

Aller au contenu principal