Cinéma: « K.O » de Fabrice Gobert ou l’étrange destin d’un arrogant réinventant sa vie après sa chute

Publié le 15 juin 2017 à  10h59 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  16h55

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«Va te faire .. fou..», peut-on lire en début du roman que Solange Leconte est censée avoir écrit pour brosser le portrait au vitriol de son mari Antoine Leconte dont elle exècre le prétendu cynisme et l’arrogance sans limites. Des paroles qui sonnent comme des balles mais qui peuvent être assimilées à des expressions de soi retournées par le destinataire contre lui-même, tant il est vrai que seul va compter son point de vue tout au long de l’histoire que l’on nous raconte ici. Oui, loin d’une narration avec un romancier omniscient, «K.O» explore les rivages de l’angoisse intérieure en prenant appui sur ce qui se passe dans la tête d’Antoine qui ne s’aimant guère ne peut prétendre à beaucoup d’empathie envers les autres. Film étonnant en forme de thriller métaphysique autant que médical, ce long métrage que Fabrice Gobert est venu présenter en avant-première au Cinéma Mazarin à Aix-en-Provence secoue dans tous les sens du terme. Titre bien choisi donc que ce «K.O» que subit de plein fouet notre Antoine fort peu héros et cassé de l’intérieur autant que brisé dans sa carcasse même. Nous ne saurons de la situation que ce qu’il nous en dira, les dialogues avec les autres ne sont pas réellement concrets, on le découvrira peu à peu, Antoine se trouve en fait plongé dans le coma et réinvente sa vie en se passant les principales scènes d’un passé récent, à qui il donne des fins différentes. Ainsi le réalisateur, scénariste également avec sa compagne Valentine Arnaud, de cet étonnant «K.O» a choisi un traitement narratif proche du polar fantastique mais prend son temps pour installer un climat entre chien et loup où rien n’est sûr et surtout pas ce que l’on croit comprendre. Placer le spectateur dans l’incertitude en le poussant à réfléchir et reconstituer la matrice principale des événements en lui laissant le libre arbitre et ce afin de se positionner en devenant acteur de l’histoire, voilà l’un des paris réussis par Fabrice Gobert. Partant d’un personnage antipathique qui peu à peu face à sa douleur de vivre retrouve un peu d’humanité, rappelant à la fois Scrooge de «Un conte de Noël» de Dickens, le combattant de «Fight club» de Fincher, ceux de «Nous avons gagné ce soir» de Robert Wise (en effet la boxe a aussi un rôle important dans le film de Gobert) et le personnage central de «La vie est belle» de Capra, Antoine Leconte glisse vers la folie et une certaine sagesse au moment où son cœur le lâche. Il veut donc changer de peau et d’existence, s’imaginer autre, lui qui est soit l’un des responsables d’une grande chaîne de télé, soit le présentateur météo (sur le déclin) de cette même entreprise. Sauf qu’il est, on le verra, plongé dans un coma profond après un infarctus. Ne filmant jamais Laurent Lafitte de face (acteur exceptionnel dans le rôle d’Antoine), Fabrice Gobert accentue de ce fait le caractère fuyant de son héros. «Le format choisi permet encore plus de jouer avec les outils de la mise en scène, précise-t-il, le plaisir de faire un film, le mien en tous cas, réside dans le fait de trouver comment traduire en images une idée de scénario. On peut à ce moment-là complètement modifier la perception d’une scène ou d’un personnage». Et ce n’est pas un hasard donc si le film se déroule dans l’univers trompeur de la télévision. «Le monde de la télévision confronte ces personnes à une image de soi qui n’est pas du tout ce que l’on est ou ce que l’on croit être. C’est à la fois concret et vertigineux. Et le film se joue dans cette dualité», rappelle le réalisateur qui en profite au passage pour signer une descente en flammes du harcèlement moral en entreprise, un réquisitoire contre la dureté sociale et les agissements des directeurs de ressources humaines transformant les employés en bouc-émissaire.

Manière de filmer très sobre

Fabrice Gobert signe avec
Fabrice Gobert signe avec

Ainsi autant le scénario complexifie le réel autant la manière de filmer refuse tous les effets faciles et les mouvements intempestifs de caméra. Pas de plans tournants à la Lelouch qui donnent mal à la tête, sauf un pour incarner concrètement la ronde des disques vinyls se retrouvant dans la bibliothèque privée d’une des héroïnes. A ce sujet on précisera que le film offre de somptueux portraits de femmes, Clotilde Hesme est par exemple bouleversante en représentante d’un pouvoir qui lui échappe. A ce sujet rappelons que pour K.O, Fabrice Gobert a collaboré avec une partie de son équipe des Revenants ; (série dont il a signé les épisodes) notamment Martin Boissau, l’ingénieur du son, Julien Bourdeau, le monteur son ou encore Emmanuelle Prévost, directrice de casting de la série et de Simon Werner a disparu…. Enfin, le réalisateur voulait retrouver Clotilde Hesme ou Jean-François Sivadier : «Je commence à bien les connaître et je savais qu’ils seraient partants pour des rôles peut-être moins développés, mais déterminants dans certaines scènes qui ne reposeraient que sur eux et nécessiteraient leur capacité à être très rapidement dans la situation et à créer des personnages».

Musique magique

Et puis il y a la musique magique en tout points. La bande-originale de K.O est signée Jean-Benoît Dunckel, moitié du groupe mythique Air. Récemment, il a composé la musique de Summer d’Alanté Kavaïté, prix de la mise en scène au Festival de Sundance, et signé les compositions du récent docu-fiction Swagger, d’Olivier Babinet.! Du très bon donc qui vient renforcer la puissance de ce exceptionnel film dont on ressort «K.O» of course !
Jean-Rémi BARLAND

Sortie en salle le 21 juin

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