Cinéma: « L’atelier » de Laurent Cantet un immense film sociologique, politique, esthétique…

Publié le 20 septembre 2017 à  21h23 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h38

Avant-premiere à Aix-en-Provence du film
Avant-premiere à Aix-en-Provence du film
La Ciotat. Son chantier naval qui tourne à plein régime jusqu’à cette désindustrialisation qui laissera le site exsangue et la région en ruines, créant au passage drames financiers et humains. C’est là qu’eut lieu voilà des années un atelier d’écriture animée par une romancière anglaise visant à la réinsertion de jeunes en difficultés. Comme Marina Foïs le signala au public du cinéma le Renoir d’Aix-en-Provence -où elle est venue présenter le film de Laurent Cantet en compagnie du réalisateur et de Matthieu Lucci, jeune acteur prodigieux- elle n’est en rien une citoyenne britannique. Pourtant c’est elle qui incarne dans «L’atelier» une écrivaine engagée justement dans une expérience littéraire durant laquelle elle devra tenter de faire construire un roman policier à des jeunes vivant à la Ciotat en 2006. Exceptionnelle (comme d’habitude serait-on tenté d’ajouter) dans ce rôle inspirée du vrai personnage de la romancière anglaise, Marina Foïs s’impose dès les premières minutes comme une comédienne impressionnante de précision, d’empathie avec son sujet, et de force de conviction. Elle est Olivia, intellectuelle parisienne ayant publié quelques livres et qui semblant douter de son talent profitera de cet atelier pour reconstruire peut-être son univers fictionnel devenu trop académique. En face d’elle des garçons et des filles d’aujourd’hui, tous de La Ciotat débarquant dans le stage pour des raisons diverses, et parmi eux un certain Antoine (stupéfiant Matthieu Lucci) qui jouera auprès d’elle le rôle d’accusateur, de poil à gratter, et de révélateur d’énergie, et d’identité.

Réflexion sur le rôle du romancier

Très vite le film se présente comme une réflexion sur l’écriture, et sur ses enjeux. Le romancier étant un cambrioleur et un pilleur de vies (Antoine découvrira à son insu qu’on ne se confie jamais à un écrivain sans prendre le risque qu’il se mette à cafter) on nous décrit ici un duel entre Olivia et le jeune garçon dont les enjeux (outre la survie de l’un comme de l’autre) seront la transmission du style et du stylo. Antoine devenant ce qu’il est…un écrivain à l’imaginaire aussi torturé que sa personnalité sombre.

La jeunesse et la violence

Formidable duel entre cette femme déjà mûre et ce garçon à peine sorti de l’adolescence, «L’atelier » dont je me garderai bien de vous présenter en détails l’aspect strictement policier de son scénario (un aspect qui auraient fasciné Fajardie et Daeninckx, tous deux signataires de thrillers sociaux et politiques) s’impose aussi comme une réflexion sur le rapport des jeunes avec la violence. On songe par moments à la radicalité de certains personnages des pièces de Lars Noren et notamment celui du terrible «Le 20 novembre» joué par Mathurin Voltz dans le cadre du Off d’Avignon en juillet 2017. Et, ce, sans aucune complaisance de la part de Laurent Cantet et de son co-scénariste Robin Campillo qui triomphe en ce moment sur les écrans avec «120 battements par minute».

Matthieu Lucci tel Grégoire Colin

Pas de facilités non plus dans la manière de filmer mais une écriture cinématographique serrée où s’imposent Marina Foïs et Matthieu Lucci. Parler de jeu entre eux ne suffit pas à définir leur prestation. Il s’agit, comme l’a confié Marina Foïs d’une alchimie, d’une fusion presque chimique, et c’est tout à fait inoubliable. Souvent cadré au bord de l’eau avec une gestuelle de combattant de l’armée (Antoine songe un temps à s’y engager) qui n’est pas sans rappeler celle de Grégoire Colin dans le film «Beau travail» de Claire Denis, où il incarnait aux côtés de Denis Lavant, un membre d’un peloton de la légion étrangère. Matthieu Lucci, montre qu’il n’est pas nécessaire de sortir du Cours Florent (il n’a aucune expérience théâtrale ni cinématographique) pour jouer la comédie. Il a cette présence presque animale devant la caméra que possédait Delon à ses débuts, la caméra se fixant sur lui, et voilà qu’il se passe immédiatement quelque chose. Lent, beau, grave, drôle et émouvant, «L’atelier » est un immense film sociologique, politique et esthétique. C’est surtout une leçon de cinéma et de directions d’acteurs délivrée par un Laurent Cantet au sommet de son art. Jean-Rémi BARLAND «L’atelier» de Laurent Cantet. Sortie nationale le 11 octobre 2017

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