Cinéma. Le « J’accuse » de Polanski : quand John Le Carré s’invite chez Émile Zola

Publié le 17 novembre 2019 à  9h44 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h25

© Guy Ferrandis/Gaumont
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Roman Polanski donne au spectateur l’impression que chaque plan de son «J’accuse» est un tableau en soi. Perfection d’une photo signée Pawel Edelman, soins apportés aux costumes confectionnés par Pascaline Chavanne, décors d’une beauté rare que l’on doit à l’équipe de Jean Rabasse, tout ici n’est que luxe, et dans une certaine mesure volupté de l’image. S’emparant de l’affaire Dreyfus le réalisateur a choisi de développer son récit sous un angle particulier, peu utilisé d’habitude. De Zola, l’auteur de l’article paru dans «L’aurore» qui sonna le début du triomphe de la vérité, il n’en sera que peu question. Dreyfus n’apparaissant lui aussi qu’épisodiquement. On les aperçoit et on les cite bien sûr, mais l’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées. Bien qu’antisémite, hostile d’abord au capitaine dégradé et jeté en prison, ce militaire intègre soucieux de la vérité, n’aura de cesse à partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus. Devenant en quelque sorte le narrateur du film, ce personnage devient central et son combat juste, vrai, noble. Dans ce rôle Jean Dujardin est puissant, tellurique, parfait tandis que Louis Garrel absolument méconnaissable campe un Dreyfus douloureux, qui permet à Roman Polanski de montrer combien l’antisémitisme gangréna tout le pays, voire l’Europe entière. Tous les acteurs sont d’ailleurs absolument parfaits, Grégory Gadebois dans le complexe rôle d’Henry possédant une densité dramatique qui finit par bouleverser. Citons Amalric, Vincent Perez, Melvil Poupaud, Emmanuelle Seigner, impressionnants de justesse. Ainsi qu’un nombre important de membres de la Comédie-Française, (ce n’est plus en ce qui les concerne un casting mais quasiment un annuaire) tels qu’Eric Ruf (le patron de la maison de Molière), Hervé Pierre, Laurent Stocker, Didier Sandre, Eric Vuillermoz, Laurent Natrella, ou Bruno Rafaelli. Mensonges d’État, dossiers secrets, filatures, agents doubles, émissaires de l’ombre, courses poursuites meurtre, Roman Polanski (que l’on voit apparaître au détour d’une scène) a ouvertement arpenté ici les chemins du thriller. Si bien que très vite son «J’accuse» c’est un peu John Le Carré qui s’invite chez Émile Zola. Le réalisateur soignant justement chaque plan faisant référence à ce type d’ambiance dramatique. Cela renforce le côté polar du film, son aspect «plongée dans l’espionnage à la sauce militaire». C’est en tout cas une réussite totale, un long métrage passionnant sur un scandale et une erreur judiciaire sans précédent, qui, tiré d’un travail d’historien celui de Robert Harris, s’impose aussi pour la rigueur avec lesquels les faits sont exposés. Et dans sa présentation précise de l’antisémitisme de se signaler comme une œuvre hélas d’actualité et aux résonances contemporaines.
Jean-Rémi BARLAND

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