Cinéma. ‘Le Paradis’ de Zeno Graton: un chant d’amour à l’acceptation de l’Autre

Publié le 24 avril 2023 à  10h35 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  16h53

En trois plans le décor du film «Le paradis» réalisé par Zeno Graton est planté. Des jeunes gens qui, enfermés tels des oiseaux en cage, regardent à l’extérieur le monde libre. Filmés principalement de dos, ils explorent en eux-mêmes le champ des possibles.

Le metteur en scène Zeno Graton et l'acteur Julien De Saint-Jean lors de la présentation du film
Le metteur en scène Zeno Graton et l’acteur Julien De Saint-Jean lors de la présentation du film

Le spectateur est saisi par ces «Olvidados» français dont la souffrance s’apparente à celles des personnages du film de Buñuel. A l’exception d’un seul -dont on nous dit qu’il «a planté quelqu’un au château»- nous ne saurons pas vraiment ce qui les a conduits à se retrouver dans ce centre fermé pour mineurs délinquants.

L’essentiel est ailleurs, car «Le paradis» réalisé par Zeno Graton -avec au centre de la distribution les comédiens Julien de Saint-Jean et Khalil Gharbia- n’est pas un thriller sur le monde carcéral mais un chant d’amour à la Jean Genet. Un chant d’amour rappelant le poème «Le condamné à mort» mis en musique par Hélène Martin et qui fut pour sa partie «Sur mon cou» interprété par Daho, Raphaël, et plus inattendu par le groupe Têtes raides.

Un drame qui raconte la passion partagée par Joe, 17 ans et William dont l’arrivée va bouleverser les équilibres précaires mis en place par les éducateurs. D’une pudeur extrême et d’une poésie infinie les relations des deux adolescents se développent autour de cette idée de paradis dont on verra qu’elle est liée à un conte et des gravures à l’encre de chine. «Mon cousin a été incarcéré pour des faits mineurs et j’ai vu le mépris de la société envers ces jeunes judiciarisés et l’impasse systémique dans laquelle ils tombent et qui les mènent souvent en prison ou à la rue. J’ai développé un regard critique sur ces institutions qui sont invisibilisées, en essayant d’y poser un regard qui ne serait pas manichéen», se souvient le cinéaste qui ajoute : «L’architecture de cette histoire d’amour s’est imposée sur ses thématiques et notamment sur l’idée de l’homoérotisme en milieu carcéral. Je me sentais en quelque sorte bien accompagné par Genet pour ce travail de critique d’une institution et d’exaltation du désir amoureux.»

Interprétation exceptionnelle

Réflexion sur la notion de privation de liberté «Le Paradis» montre comment certains juges et beaucoup d’éducateurs sont plutôt à l’écoute des jeunes délinquants. Si le juge en charge de dossier de Joe, qui est sur le point de sortir de prison, approuve sa libération, il ira vivre en autonomie. On le montre avec empathie. Mais l’arrivée de William, va remettre en question son désir de liberté. Et cela est raconté en plans resserrés qui font la part belle aux silences. D’un niveau de jeu exceptionnel l’un comme l’autre Khalil Gharbia qui incarne Joe et que l’on a vu dans «Peter von Kant» et Julien De Saint-Jean bouleversant dans «Arrête avec tes mensonges» montrent que l’on n’est pas obligés de s’agiter et parler beaucoup pour être un comédien qui marque les esprits. «Zeno m’a offert un rôle en or. Mon premier grand rôle en fait» a précisé Julien de Saint-Jean très impressionné par l’accueil chaleureux que lui a réservé le public du cinéma «Le Mazarin» d’Aix-en-Provence lors de l’avant-première aixoise qui a bouleversé le public. Racontant une histoire et développant un style inventif pour la mettre en forme, «Le paradis» est en filigrane un hymne à l’acceptation de l’Autre qui, pour reprendre une phrase de Gabriel Marcel en accord finalement avec le titre du long métrage peut-être … le ciel.
Jean-Rémi BARLAND
En salles le 10 mai 2023

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