Cinéma: « Le meilleur reste à venir » : un film bouleversant de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, avec Fabrice Luchini et Patrick Bruel

Publié le 18 novembre 2019 à  19h19 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h26

Zineb Triki, Patrick Bruel et Fabrice Luchini dans
Zineb Triki, Patrick Bruel et Fabrice Luchini dans
Il est bien connu que l’on peut rire de tout… mais, pas avec n’importe qui. On peut donc rire avec Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, car ils ne sont pas n’importe qui, (ce sont des types bien !) et surtout ils n’écrivent pas n’importe quoi ! Trois pièces mises en scène par Bernard Murat, «Le prénom», (phénoménal succès sur les planches comme au cinéma), «Un dîner d’adieu», (donné au Jeu de Paume d’Aix en février 2016), et «Tout ce que vous voulez», dont nous avions dit ici tout le bien que nous en pensions à l’occasion de ses représentations au Gymnase de Marseille en janvier 2018. Et la preuve par trois que l’humour n’exclut aucun thème, que l’émotion naît parfois d’une situation burlesque, et qu’il convient d’écrire en pleine liberté les choses les plus diverses. Impression confirmée avec ce nouveau film « Le meilleur reste à venir», que les deux réalisateurs sont venus présenter en avant-première au cinéma Cézanne d’Aix-en-Provence. Tenant dans le creux d’une main, le sujet de ce long métrage puissant a de quoi bouleverser. Ce qu’il fait d’ailleurs. «A la suite d’un énorme malentendu, deux amis d’enfance, chacun persuadé que l’autre n’a plus que quelques mois à vivre, décident de tout plaquer pour rattraper le temps perdu.» Le premier c’est Arthur Dreyfus. C’est un médecin interprété par un Fabrice Luchini absolument exceptionnel. Le second c’est César Montesiho, un quidam ayant tout raté, et qui, divorcé entretient avec son père des rapports désastreux. Dans la peau de cet homme usé, Patrick Bruel, qui avait déjà sur scène frappé les esprits dans «Le prénom» mais aussi avec «Le limier » d’Anthony Shaffer (la pièce a donné naissance au film de Mankiewicz), nous cloue sur place. Nous remue, demeure inoubliable, orchestrant avec Fabrice Luchini, (tous deux aiment et connaissent la musique), une partition pour cœurs souffrants. Sujet principal donc : le cancer ! Pas de quoi se réjouir donc ! Pourtant c’est souvent drôle ! L’art des deux scénaristes réalisateurs consistant à ne jamais rendre sinistre l’ambiance générale, et à parler avec légèreté de choses graves. Rejoignant en cela la manière de raconter des grands réalisateurs de comédies italiennes des années 1970 tels que Scola, Comencini, Risi, ou Monicelli, (on songe beaucoup d’ailleurs à «Mes chers amis »). On prend des êtres «ordinaires» que l’on rend héroïques par la seule force d’un regard bienveillant et empli de résilience. Et que de gags et de dialogues qui font mouche. Cela aussi c’est la marque de fabrique du tandem de La Patellière/Delaporte. Leurs pièces, leurs films sont de véritables machines de guerre narratives. Ça tombe dru: «Je t’aime beaucoup mais pas assez pour continuer à te supporter », entend-on, cela ne laisse pas le spectateur ou l’auditeur respirer, ça secoue et c’est inoubliable, comme les deux monologues de la fin du «Meilleur reste à venir», et celui que Élisabeth dans «Le Prénom» adresse à son mari avant de se coucher.

Matthieu Delaporte un miraculé

Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (Photo Robert Poulain)
Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte (Photo Robert Poulain)

Chaleureusement félicités par le public aixois, les deux réalisateurs ont longtemps bien sûr évoqué «Le prénom», une de leur grande joie et de leur grande tristesse, puisque l’on sait que l’actrice principale Valérie Benguigui est morte d’un cancer peu de temps après. L’occasion pour Matthieu Delaporte de dévoiler un pan de son existence personnelle. «A l’origine du scénario du film il y a aussi le livre « La méthode Schopenhauer » d’Irvin Yalom dans lequel un psy, après avoir appris sa mort prochaine, se demande ce qu’il va faire du temps qui lui reste. Dans la première scène, un médecin apprend au psy qu’il a un cancer de la peau… », explique-t-il. Et d’ajouter : «J’ai un choc, car la description qu’il en fait correspond très précisément à un grain de beauté que j’ai sur la jambe. Alex, à qui je confie mon inquiétude, me supplie alors de foncer chez un dermato… Je vais donc en voir un au bout de la rue. Je lui explique ce qui m’arrive. Il me dit: « Déshabillez vous, je vais vous rassurer ». Je m’exécute et, comment dire… À la tête du type, je comprends, que j’ai un gros problème. Je dois être opéré d’urgence ! L’opération se déroule bien mais je dois patienter un mois avant d’avoir les résultats des analyses… En gros, si, comme dans le livre, le mélanome s’est propagé, j’y reste. Sinon, je suis sauvé. C’est un suspens assez particulier », conclut-il en précisant qu’il est entièrement guéri.

Luchini et Bruel au sommet

Patrick Bruel (Photo Robert Poulain)
Patrick Bruel (Photo Robert Poulain)

«On ne pense jamais aux acteurs quand on écrit», disent en chœur Alexandre et Matthieu. «Mais l’envie de travailler avec Fabrice était très forte. On s’était ratés, et puis voilà c’est fait. L’associer à Patrick notre ami nous semblait une bonne idée. Ils sont très différents et très complémentaires. Quand Fabrice nous appelait au téléphone, il parlait plusieurs longues minutes pour enfin nous dire que tel mot pouvait être enlevé dans une réplique. Puis il rappelait pour nous expliquer que « finalement avec ce mot c’est bien aussi ». (Rires…) Fabrice connaissant tous les rôles avant le tournage il s’est très bien entendu avec Patrick, car ce sont en fait deux acteurs qui ont le sens du rythme et de la phrase.» Cette complicité on la voit, on la sent, on la savoure et d’un gros plan à un silence (le film en regorge) Luchini et Bruel sont au sommet. Comme les autres comédiens dont Zineb Triki, Pascale Arbillot, Jean-Marie Winling, André Marcon ou encore Marie-Julie Baup.

«Le prénom» au Gymnase de Marseille en janvier dans une nouvelle distribution

Une Marie-Julie Baup aérienne, lectrice de «Deux sœurs» de David Foenkinos, déjà exceptionnelle dans «L’important d’être Constant» d’Oscar Wilde où elle partageait la scène avec Lorànt Deutsch, son mari dans la vie, et que l’on pourra retrouver au théâtre du Gymnase de Marseille du 15 au 19 janvier 2020 dans la nouvelle distribution de la pièce «Le prénom» avec à ses côtés Florent Peyre, Jonathan Lambert, Lilou Fogli, et Sébastien Castro. Une affaire de famille en fait. Et «Le meilleur est à venir » de s’imposer comme un exceptionnel moment de cinéma, admirablement filmé (absence de champs/contrechamps systématiques), qui laisse au cœur des traces profondes.
Jean-Rémi BARLAND

«Le meilleur reste à venir » sortie le 4 décembre 2019
«Le prénom » sur la scène du Gymnase à Marseille du 15 au 19 janvier 2020.

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