Cinéma : Quand Cézanne et Zola se rencontrent et se séparent…. au Cézanne d’Aix-en-Provence

Publié le 14 septembre 2016 à  20h27 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h35

L'équipe du film
L’équipe du film

En 1994, le regretté universitaire aixois Raymond Jean (1925-2012), homme de paix, de culture et écrivain subtil publiait chez Actes Sud «Cézanne et Zola se rencontrent», un récit fondé sur la réalité historique où apparaissaient ces deux immenses figures culturelles françaises. Il manquait, Raymond Jean, au Cézanne d’Aix, lui qui connaissait si bien et l’œuvre du romancier et celle du peintre ayant écrit d’ailleurs en 1986 «Cézanne la vie l’espace». Il manquait (l’occasion donc de lui rendre hommage) et gageons qu’il aurait aimé ce film « Cezanne et moi» (sans accent comme il se doit sur le nom du peintre) réalisé par Danièle Thomson et présenté devant un parterre de personnalités, d’élus, -dont la maire d’Aix-en-Provence Maryse Joissains-, de membres de la famille de Zola et Cézanne, d’artistes tels que Marc Jolivet, Louis Chedid et Kad Merad -qui sera dès vendredi sur la scène du Jeu de Paume aux côtés Nils d’Arestrup et Patrick Bosso dans la pièce «Acting» de Xavier Durringer, où il interprète un loser incarcéré tentant de jouer Shakespeare sous la direction d’un metteur en scène emprisonné pour meurtre-. Pléthore de public, donc deux séances, trois salles ouvertes, la direction du Cézanne avait mis les petits plats dans les grands et question organisation…..ne s’est pas emmêlée « les pinceaux » fussent-ils cézanniens. Sécurité renforcée, rues barrées, voiture bélier proche de la salle mais, accueil du public fait dans une ambiance conviviale, avec tapis rouge, télévisions et journalistes internationaux, sourires non feints, une avant-première haut de gamme qui a touché la réalisatrice, et l’ensemble des Aixois présents.

Un poil (de pinceau) trop long

Quant au film qui dure quand même deux heures, (un poil de pinceau trop long) il se regarde d’abord comme un tableau célébrant la magie des paysages cézanniens. La Provence y apparaît plus à la Giono un peu dure et très éloignée de l’image d’Épinal, carte postale destinée aux touristes. Il est un peu dommage que les univers des tableaux de Cézanne ne soient pas assez mis en valeur et que la manière dont le peintre est représenté au travail demeure un peu conventionnelle. Le bruit des grillons, l’apport d’une musique appuyée et très signifiante, autant de signes très explicites en direction du spectateur. On regrettera aussi le ralenti final où l’on voit Cézanne joué par Guillaume Gallienne grimper sur les collines, et surtout le fait que cet immense acteur au demeurant parfait soit contraint d’interpréter le rôle du peintre avec un accent sudiste à couper au couteau et qui n’est guère convaincant. Mais, le film a aussi des atouts : le premier est d’être supérieurement bien écrit. Danièle Thomson s’impose ici une fois encore davantage comme une scénariste racée, brillante, intelligente, plutôt que comme une cinéaste inventive et innovante. Son travail de mise en scène suscite le respect, elle sait diriger les comédiens, sait doser leur «temps de parole» (risques de crise d’ego oblige Gallienne et Canet ont une longueur de texte et de présence à l’écran équivalentes), donne chair aux seconds rôles tous parfaits (magnifiques Christian Hecq en père Tanguy), Sabine Azéma incarnant la mère de Cézanne, Isabelle Candelier en mère de Zola, et Gérard Meylan, impressionnant père de Cézanne), offre une reconstitution historique précise et notamment dans les scènes parisiennes du film où le décor de la capitale fut reconstitué à …. Mougins, et déconstruit toute chronologie avec une utilisation souple du flash-back. Et puis elle connaît son sujet, qui ne vise pas à faire un film sur Cézanne ou sur Zola, mais sur les deux ensemble, eux qui furent amis dès l’enfance, dès l’instant où Cézanne fit le coup de poing contre ceux qui dans la cour de recréation s’en prenaient à Zola… le rital, et qui se fâchèrent des années durant à cause d’un livre et d’une sorte de sentiment de jalousie. Ce livre c’est « L’œuvre » quatorzième volume des Rougon-Macquart publié en 1886 où dans ce roman Zola dépeignait un peintre plus ou moins raté finissant par se suicider et qui avait les traits de son ami Cézanne. Ce dernier en prit ombrage et le fit savoir à cet écrivain tant admiré à qui il dira un jour : «J’aimerais peindre comme tu écris ». Cézanne enviant, un rien, la réussite de Zola, lui qui ne vendit pratiquement aucune toile de son vivant et qui se clochardisa. C’est la force du film que de raconter avec beaucoup de panache cette amitié hors normes, houleuse, et affectueuse, chronophage et anxiogène rythmée par les regards des deux épouses des artistes fabuleuses Alice Pol en femme de Zola, et Déborah François dans la peau de celle de Cezanne.

Un film très théâtral

Film sur un conflit et une admiration sans failles, «Cezanne et moi» est au final un film très théâtral. On peut le lire comme une de ces pièces écrites par Brisville, Antoine Rault, Peter Shaffer, Anthony Shaffer, Ira Lewis (auteur de «Café Chinois») c’est-à-dire nées de la plume d’un auteur mettant en scène une opposition entre deux personnages basée sur un problème lié au langage et à la façon de se positionner par rapport à son égotisme, celui des autres et la complexité du monde. On ira jusqu’à dire que le «Cezanne» de Danièle Thomson ressemble à l’Alceste du «Misanthrope » de Molière, intransigeant et brutal dans ses paroles fustigeant hypocrites et faux-semblants et qu’ici, Zola serait son ami Philinte, plus nuancé plus conciliant (non dans son art mais dans ses propos) qui sait ménager les susceptibilités de ses proches. Ainsi de ce duel théâtral nait une réflexion sur l’art, la générosité, la paternité et le destin dans des scènes franchement dialectiques où les deux héros sont plus assimilés à des véhiculeurs d’idées qu’à des êtres de chair et de sang. On ne parle pas aussi bien dans la vie, avec des phrases aussi littéraires, mais qu’importe après tout, le point de vue de la réalisatrice fait mouche et le spectateur est happé. Et surtout il assiste à un combat de sensibilités antagonistes servi par deux exceptionnels comédiens. Accent sudiste oblige, je trouve Guillaume Gallienne un peu en-dessous, Guillaume Canet étant lui si parfait qu’on croit voir et entendre véritablement Zola. On comprend mieux aussi ce qui meut l’écrivain tout en ajoutant immédiatement que sa prestation ne serait pas à un tel niveau sans la profondeur du jeu de Gallienne acteur inventif, au jeu varié. La grande force de Danièle Thomson étant de savoir capter les regards de Cezanne et Zola les gros plans sur Gallienne et Canet étant tout simplement bouleversants. Au final un film inégal et contrasté, avec une belle photo (notamment dans les scènes d’intérieur ou d’extérieurs aixois), mais de très haute tenue artistique et somme toute parfaitement maîtrisé d’un bout à l’autre. Une œuvre forte chaleureusement applaudie par un public enthousiaste et par Maryse Joassains totalement remuée après la projection.
Jean-Rémi BARLAND
En salle le 21 septembre

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