Cinéma : un « Maigret » dépressif, et poussif incarné par un gigantesque Depardieu momifié par Patrice Leconte

Publié le 12 mars 2022 à  19h29 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  17h51

En choisissant de porter à l’écran «Maigret et la jeune morte» publié par Simenon en 1954, Patrice Leconte ne s’est pas attaqué à une des grandes enquêtes de l’auteur. C’est même un Maigret petit format que le réalisateur a rendu reconnaissons-le assez gigantesque de par le fait qu’il a confié le rôle du commissaire à un Gérard Depardieu évidemment puissant.

Gérard Depardieu dans
Gérard Depardieu dans

Notons d’abord qu’il reprend l’habit de ce Maigret devant la jeune morte déjà incarné par Basil Sydney dans le téléfilm anglais de Campbell Logan (1959), puis par Rupert Davis dans celui de Gilchrist Calder (1963), et toujours en version étrangère par Jan Teulings dans un téléfilm nééerlandais de 1966.

En France, c’est Jean Richard qui joua dans ce «Maigret et la jeune morte» tourné pour la télévision en 1973 par Claude Boissol. Autant dire que ce n’est pas non plus un Maigret très prisé des écrans que Patrice Leconte nous donne à voir ici. Le synopsis comme toujours avec Simenon tient dans la main. Nous sommes à Paris. Maigret enquête sur la mort d’une jeune fille. Rien ne permet de l’identifier, personne ne semble l’avoir connue, ni se souvenir d’elle. Il rencontre une délinquante, qui ressemble étrangement à la victime, et réveille en lui le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et plus intime…

Ayant pris des libertés avec l’histoire originale, Patrice Leconte et son co-scénariste Jérôme Tonnerre ont évacué beaucoup de personnages notamment quelques Américains pas très nets seulement évoqués dans le film. (Pas étonnant de trouver des personnages d’Outre-Atlantique il y en souvent chez l’auteur et une évidence là quand on sait que Georges Simenon rédigea «Maigret et la jeune morte» à Shadow Rock Farm Lakeville situé dans le Connecticut).

Maigret apparaît dépressif

Négligeant de traiter en profondeur le très poignant commissaire Lorgnon qui découvre le corps de la jeune morte «et se plaint qu’on le lui chipe» (joué par André Wilms décédé le 9 février 2022), Leconte s’intéresse davantage à l’aspect deuil de Maigret (on ne sait d’ailleurs pas qui est cette jeune morte que le commissaire pleure sur sa tombe). Du coup, Maigret apparaît dépressif, se déplaçant difficilement, presque obèse, à l’évidence poussif. Gérard Depardieu évidemment exceptionnel de densité (c’est un pléonasme) semble cependant momifié par cette vision très contestable du personnage. On saluera néanmoins sa performance, ainsi que celle très brève mais assez marquante dans le rôle du médecin qui ausculte Maigret du grand Hervé Pierre (qui vient de quitter la Comédie-française). On sera heureux de retrouver Aurore Clément (l’inoubliable femme juive amoureuse du collabo Lacombe Lucien dans le film de Louis Malle), qui nous émeut dans la peau d’une mère possessive comme on en croise dans bon nombre d’enquêtes menées par le commissaire.

« Vous êtes né avec une mère qui vous tenait lieu de tout cela… »

Rappelons-nous en effet que dans «Maigret tend un piège», écrit en 1955 dans les Alpes-Maritimes Georges Simenon faisait dire à Maigret s’adressant à un certain Moncin : «D’autres naissent avec un titre, une fortune, des domestiques, un appareil de confort, et de luxe autour d’eux. Vous êtes né avec une mère qui vous tenait lieu de tout cela. Qu’il vous arrivât quoi que ce fût, votre mère était là. Vous le saviez. Vous pouviez tout vous permettre. Seulement, il vous fallait payer le prix : la docilité.» Outre que l’on voit ici combien Simenon est un scrutateur averti de l’âme humaine, doublé d’un magnifique styliste, on peut rapprocher ce portrait de femme à celui de celle qui veille sur son fils Laurent Clermont-Valois (Pierre Moure) comme une louve aux abois et que Aurore Clément magnifie de façon tragique.

Magnifiques décors et photo soignée

Décors reconstitués avec soin et moult détails, photo sublime de Yves Angelo (chaque plan est un tableau), reconstitution sans failles d’une époque révolue, le cinéma peu inventif de Patrice Leconte semble également avoir cent ans d’âge. Au final cela donne un film assez attendu, conventionnel, assez froid qui raconte certes bien une histoire assez simple mais qui peine à enthousiasmer et émouvoir le spectateur.
Jean-Rémi BARLAND

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