Club Ethic Eco. Un débat qui rappelle que la laïcité est synonyme de liberté

Publié le 8 décembre 2020 à  8h15 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h20

C’est la laïcité qui a été mise en débat lors du Club Ethic Eco organisé par le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables (Croec) Paca. Un débat qui réunissait Colette Weizman, représentante du Croec Paca, Marine Gueydan, chargée des valeurs de la République au Rectorat, Mohamed Laqhila, fondateur du Club, député des Bouches-du-Rhône, Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France, Jean-Michel Aupy, créateur du « Livre géant de la laïcité ».

Débat sur la laïcité en visioconférence avec Colette Weizman, Mohamed Laqhila, Marine Gueydan, Ghaleb Bencheikh (Photo capture d'écran)
Débat sur la laïcité en visioconférence avec Colette Weizman, Mohamed Laqhila, Marine Gueydan, Ghaleb Bencheikh (Photo capture d’écran)

Mohamed Laqhila rappelle que le Club Ethic Eco a vu le jour en 2016, -«car l’expert-comptable n’est pas hors société»- avec comme objectif d’inviter régulièrement «des personnalités afin d’aborder ensemble des sujets qui nous interpellent, nous interrogent, bousculent nos certitudes et convoquent l’intelligence et les discours vrais». Rappelle encore que Mgr Jean-Marc Aveline, alors évêque auxiliaire de Marseille aujourd’hui archevêque de Marseille, Mustapha Daidj, spécialiste de la médiation des cultures et des civilisations, Gill Daudé, pasteur d’Aix-en-Provence, Pierre Deltin, médecin, libre penseur, Reouven Ohana, Grand Rabbin de Marseille avaient participé au premier club dont l’objet était «Éthique et spiritualité». Alors que la loi «séparatisme» va être étudiée à l’Assemblée Nationale, il considère que «la loi de 1905 est une bonne loi, une loi de liberté, mais mal comprise par nos concitoyens et totalement incomprise à l’étranger». Et, pour lui: «La loi « séparatisme » vient conforter la loi de 1905 qui est attaquée et n’est pas appliquée sur l’ensemble du territoire».

«La laïcité ce n’est en aucun cas garder la religion chez soi»

Marine Gueydan ajoute: «La laïcité ce n’est en aucun cas garder la religion chez soi, tout au contraire», avant d’expliquer la mission qui lui est confiée en tant que chargée des valeurs de la République au Rectorat: «Je suis là pour accompagner les enseignants, les directeurs d’établissement et les parents d’élèves, sur la gestion de la laïcité; faire remonter les problématiques tant qualitativement que quantitativement au Ministère et, enfin mettre en place de la formation». Colette Weizman indiquera pour sa part toute l’importance qu’elle accorde aux valeurs de la laïcité, à la loi de 1905, à l’antiracisme pour constater, à partir de son expérience professionnelle, que ces digues sont menacées: «Nous sommes les professionnels du chiffre. Des chiffres dont nous savons que leur vérité se trouve dans ce qu’ils cachent. Nous sommes des conseillers, nos clients attendent des réponses sur les obligations fiscales mais aussi sur d’autres questions et, nous avons ainsi de plus en plus de questions sur l’application de la loi de 1905 au sein de l’entreprise». Colette Weizman souhaite une formation dans les cabinets afin de répondre aux questions de la clientèle. Elle interroge: «Que faire si cela se généralise? Que faire pour que tel ne soit pas le cas?».

«Une loi de liberté et de neutralité de l’État»

Ghaleb Bencheikh apporte des éléments de réponse. Il avance en premier lieu: «La loi de 1905 est une bonne loi. C’est avant tout une loi de liberté et de neutralité de l’État». Il rappelle qu’elle a été toilettée dès 1907. Mais point question pour lui «de toucher aux articles fondamentaux de séparation de l’Église et de l’État». En effet, juge-t-il: «On ne peut pas gouverner selon les désirs de Dieu, que certains croient avoir scrutés, et l’imposer au reste des Hommes». Il invite, en matière de respect de la laïcité: «d’appliquer déjà l’arsenal juridique existant». D’autant qu’il constate effectivement que «le principe de laïcité est écorné». L’enjeu est donc , selon lui: «D’éclaircir ce principe et de lui donner son sens». Il revient à ce propos sur la loi du 15 mars 2004 qui interdit dans les écoles, collèges et lycées publics, «le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse». «Pour la majorité des élèves la laïcité est contre les religions. L’enjeu est de leur expliquer pourquoi on en est arrivés à cette loi de 2004. De leur dire qu’ils sont en construction et que cette loi est là pour leur permettre de prendre leurs propres décisions. Elle est donc pour la liberté», insiste-t-il.

«La laïcité, c’est tout sauf ennuyeux»

Cette volonté d’expliquer la laïcité a conduit Jean-Michel Aupy qui œuvre dans les domaines de la BD et de la communication de se lancer, avec l’accord de l’Éducation Nationale et l’appui d’experts du Rectorat, dans une aventure peu banale, la réalisation du «Livre géant de la laïcité». «Après l’attentat de Charlie, raconte-t-il, je trouvais qu’ils étaient nombreux à parler de laïcité mais qu’ils étaient bien peu à faire l’effort de l’expliquer. Certes, des ouvrages sont publiés, ils sont complexes. J’ai alors voulu vulgariser ce principe en faisant en sorte que cela ne soit pas « emmerdant » car la laïcité c’est la liberté, le rire, c’est aimer, critiquer, c’est tout sauf ennuyeux». «La laïcité, poursuit-il, c’est l’huile qui fait rouage, qui permet la liberté, l’égalité et la fraternité». Récemment le député Mohamed Laqhila a fait l’acquisition de plusieurs centaines d’exemplaires pour les distribuer dans les établissements de sa circonscription. Des villes ont fait de même ainsi que des bailleurs sociaux -«on ne mesure pas l’importance que peuvent avoir les gardiens d’immeuble»-, des entreprises, etc. Mais, qu’en est-il de l’enseignement de l’histoire des religions? Marine Gueydan répond: «Cela fait partie des programmes. Au niveau académique nous proposons des formations en la matière car nous savons qu’il peut y avoir des difficultés à enseigner dans ce domaine. Mais les enseignants ne nous font pas toujours remonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés». Mohamed Laqhila ajoute: «J’ai en effet pris l’initiative de faire l’acquisition de ce livre pour le distribuer dans les établissements scolaires, et j’invite d’ailleurs mes collègues députés à faire de même, car c’est à l’école que tout se joue ». Il avoue: «Je n’aurais peut-être pas voté la loi de 2004 car je craignais qu’à cause de deux gamines on pousse à créer des écoles privées. Je n’ai rien contre l’enseignement privé mais il ne permet pas de connaître l’Autre, celui dont la religion est différente. Ceci étant la loi est votée, elle doit donc être appliquée».

La loi de 1905 «permet de croire ou pas»

Marine Gueydan précise: «Si la religion relève du privé elle peut s’exprimer en public». Concernant les établissements scolaires, elle explique: «Il y a deux types d’écoles privées, celles qui sont sous contrat et les autres. L’enseignement, lorsque l’établissement est sous contrat, y est dispensé selon les règles et programmes de l’Éducation nationale. En contrepartie, ces établissements perçoivent de l’État des subventions de fonctionnement et leurs enseignants sont rémunérés par l’Éducation nationale». Elle revient sur la loi de 1905: «Elle permet de croire ou pas. Elle garantit la séparation de l’Église et de l’État et l’égalité de chaque citoyen. Elle impose aux fonctionnaires de se présenter de façon neutre, religieusement mais aussi politiquement. La loi de 2004 a imposé également aux élèves cette neutralité». Ghaleb Bencheikh insiste sur ce point: «Le programme de l’Éducation Nationale est l’émanation de la loi commune. Elle s’applique dans les établissements publics et privés sous contrat. Concernant le privé hors contrat, nous proposons que la Fondation de l’islam de France labellise les établissements musulmans en fonction du respect des valeurs et principes de la laïcité. L’autorité est à la République. Nous avons une loi commune qui doit s’appliquer». En matière d’enseignement, il se félicite des propos du Président de la République qui se prononce en faveur de la création d’un Institut académique d’islamologie savante. Puis de faire un retour sur le début du XXe siècle: «Les débats ont été beaucoup plus virulents que ceux que nous connaissons aujourd’hui» avec des nonnes sorties de leur couvent, des excommunions, des exils… «Puis, avec le temps, est venu un apaisement». «Et, voilà une trentaine d’années des jeunes ont commencé à dire: je jeûne, je ne vais pas à la piscine… Sans que les hiérarques musulmans ne mettent de l’ordre dans la maison musulmane. Il y a eu une incompétence voire une incurie organique», explique Ghaleb Bencheikh qui estime que côté gouvernemental ce n’était guère mieux: «Le ministre de l’Éducation de l’époque s’est défaussé sur le Conseil d’État qui a rempli sa fonction, c’est à dire qu’il a fait du droit et non de la politique». Considère alors qu’«il aurait suffi de dire que la République se vit à visage découvert en dehors de la période du Carnaval».

«La natation fait partie de l’éducation des futurs citoyens»

De même, aux yeux de Ghaleb Bencheikh, les menus spécifiques ne s’imposent pas: «Il suffit d’un peu d’intelligence et de proposer également un autre plat le jour où il y a du porc». En revanche point question pour lui de céder sur la piscine, elle s’impose à tous: «La natation fait partie de l’éducation des futurs citoyens». Concernant le refus de certains de voir un médecin homme ausculter une femme, il tient à préciser: «Le médecin est asexué religieusement et des médecins juifs (autour de l’an 1000) allaient ausculter des femmes musulmanes ou d’autres religions ». Face à un islamisme radical qui voudrait réduire l’identité à la dimension religieuse, il rappelle que l’identité est multiple. Mais il tient aussi à mettre en exergue le fait que: «Notre société est sécularisée au 2/3 voire au 3/4». Mais c’est dans ce contexte, regrette Ghaleb Bencheikh, que «nous sommes pris en tenaille entre deux mâchoires, celle de la radicalité islamiste qui va jusqu’au terrorisme abject d’une part et de l’autre le triomphe idéologique d’une frange de la Nation qui laisse place à une surréaction, une « zémourisation » des esprits. Et là nous avons un problème que nous devons résoudre dans la sagesse, en appliquant la loi».

«On ne trouve pas de doctrine politique dans le Coran»

Toujours sur l’islamisme, il avance: «Le Coran se mêle parfois des questions les plus élémentaires alors qu’il met de côté la question de la gouvernance. On a beau chercher on ne trouve pas de doctrine politique dans le Coran. Cela sous-entend qu’il y a une délégation qui est faite aux Hommes». Ceci dit, il ne manque pas de constater: «Ce n’est que dans les années 20 que des théologiens mettent en avant l’intérêt qu’il y a à séparer les deux Ordres». Un travail, accompli par les catholiques et les protestants, «qui doit être mené dans l’Islam et, il doit être mené en France parce que le ciel est plus clément sur nos têtes. Et si nous ne le menons pas c’est que nous sommes coupables, comptables et responsables de l’incurie». Interrogé sur la question des imams femmes. Il répond qu’il y ait favorable et, surtout ajoute-t-il: «Rien dans le Coran ou l’enseignement prophétique ne s’oppose à l’imamat des femmes.» Mohamed Laqhila invite à mesurer la valeur de la liberté de conscience qui existe dans notre pays: «Cette liberté de pratiquer sa religion ainsi que ce respect des non-croyants, cette possibilité de changer de religion, n’existent pas dans les pays musulmans. Et nous sommes dans un pays où, en dehors des agents publics et sans doute bientôt parapublic, on est libre d’exprimer sa religion et il faut tout faire pour conserver cette liberté dans le respect de l’ordre public». Il précise encore que la loi « séparatisme » devrait mettre un terme, à l’horizon 2023 d’imams venus de l’étranger. Enfin, pour montrer à quel point l’amalgame entre Islamisme radical et musulman est infondé, Mohamed Laqhila déclare : «Entre 1979 et 2019, 91,2% des victimes du terrorisme ont été tuées dans un pays musulman».
Michel CAIRE

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