Comment « La Méridionale » met les gaz sur le port d’Ajaccio

Publié le 3 octobre 2018 à  12h31 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h00

Le premier branchement au GNL à quai du Girolata, navire de La Méridionale a été effectué à Ajaccio (Photo Carole Payrau)
Le premier branchement au GNL à quai du Girolata, navire de La Méridionale a été effectué à Ajaccio (Photo Carole Payrau)
C’est une première : La Méridionale, investie depuis 2016 dans le branchement à quai de ses navires, a impulsé une solution d’alimentation électrique au GNL sur le port d’Ajaccio, avec le concours d’Air Flow, PME basée à Rousset. Ce faisant, la compagnie maritime s’adapte aux spécificités du territoire insulaire. Le test, lancé ce 20 septembre, va durer 15 jours. Et après ?

Le branchement en cours (Photo Carole Payrau)
Le branchement en cours (Photo Carole Payrau)
L'ensemble des partenaires du Projet se sont retrouvés à Ajaccio pour assister à la démonstration du branchement (Photo Carole Payrau)
L’ensemble des partenaires du Projet se sont retrouvés à Ajaccio pour assister à la démonstration du branchement (Photo Carole Payrau)
Les territoires insulaires ont ceci de particulier qu’ils portent bien souvent à bout de bras l’innovation. Question de survie, ils se posent en laboratoires… C’est on ne peut plus vrai dans le domaine énergétique, puisque les îles ne bénéficient pas d’interconnexion au réseau électrique continental. Et ce 20 septembre, la Corse a une nouvelle fois fait la démonstration de cet axiome environnemental. Elle s’est prêtée à une première : une initiative, impulsée par La Méridionale, en partenariat avec l’entreprise Air Flow. Au préalable, il faut savoir que la compagnie maritime dirigée par Marc Reverchon s’est positionnée depuis 2016 dans le branchement à quai de ses trois navires, le Piana, le Kalliste et le Girolata. «Nous sommes engagés depuis longtemps dans une démarche de développement durable. Et la première des préoccupations est le contrôle de nos émissions. Car nos navires restent à quai pendant 12 heures entre deux traversées», rappelle Benoît Dehaye, directeur général délégué. Initialement, c’est en consommant du diesel oil que les navires produisaient l’énergie à bord à l’aide de leurs groupes électrogènes pendant ce long laps de temps. Ce qui générait vibrations, bruits et émissions de particules polluantes. Le branchement au réseau électrique à quai réduit donc significativement ces nuisances : «Il permet d’éviter quotidiennement, pour chaque navire, l’équivalent de plus de 3000 trajets automobiles aller-retour entre Aix et Marseille pour les particules fines et le CO2, et de 65000 trajets en ce qui concerne les oxydes d’azote », détaille Christophe Seguinot, directeur technique de La Méridionale. La compagnie a fait donc office de pilote sur le sol provençal. Toutefois, pour réduire deux fois plus ses impacts, encore fallait-il qu’elle fasse de même sur les quais de l’île de beauté… «Mais comment connecter les navires quand les installations électriques sont insuffisantes», soulève encore le directeur technique ?

Écologique, innovante et mobile

Pour ce faire, la compagnie maritime a exploré plusieurs pistes… et privilégié l’exploitation du GNL, gaz peu polluant pour produire de l’électricité in situ. Une solution a vu le jour avec le concours d’une PME basée à Rousset, spécialiste du conditionnement, de la cryogénisation et du transport du gaz. Son nom : Air Flow. «Quand nous avons rencontré la Méridionale, il y a tout juste un an, nous avons pris conscience des besoins du port. Nos ingénieurs ont réfléchi à une solution innovante et mobile. Nous avions déjà acquis une expérience dans le GNL aux États-Unis, en participant à plusieurs projets. Ils visaient notamment l’agriculture, il s’agissait par exemple d’alimenter les générateurs, les brûleurs propres à chauffer les serres», explique Nathalie Mosca, directrice générale de l’entreprise provençale. Mais pour ce qui est de l’électrification des ports, cette innovation est bel et bien une première. Le principe ? Il fait intervenir «un conteneur de six mètres de long pour 2,5 de large pour stocker 20 000 litres de gaz naturel liquide, soit 8 tonnes. Il s’agit de conteneurs cryogéniques à double enveloppe» propre à maintenir le gaz sous sa forme liquide, à -161°, explique l’ingénieur responsable du projet, Emilien Doye. «Avant d’être utilisé, le gaz est porté à température ambiante via un réchauffeur atmosphérique, lui aussi conçu sous forme de conteneur. Le gaz naturel est ensuite envoyé dans le groupe électrogène qui le brûle pour produire de l’électricité. A raison d’une puissance de 1,5 mégawatt, un conteneur de 20 000 litres de GNL permet d’alimenter un navire à quai durant 34 heures, soit près de trois rotations». La démonstration de raccordement du Girolata, réalisée ce 20 septembre à Ajaccio, a tenu toutes ses promesses techniques. Et le test doit durer 15 jours… Certes, mais après ?

Engagement des décideurs et évolution de la réglementation

Après… il faudra bien ménager les conditions de la pérennisation du système. «Il faut pour cela un engagement des décideurs corses», expose Philippe François, directeur de la flotte de La Méridionale. A savoir, les CCI gestionnaires des infrastructures portuaires, l’Office des transports de la Corse, ainsi que les fournisseurs. Autre impératif, «une évolution de la réglementation relative au transport du GNL, laquelle est très contraignante», martèle encore le directeur de la flotte. Puisque se pose forcément la question de l’acheminement de ce gaz naturel liquéfié afin d’alimenter le système. Deux solutions pour l’heure : soit solliciter l’unique navire desservant la Corse pour les matières dangereuses. Ce dernier escale toutefois à l’Ile Rousse… L’acheminement du GNL par voie routière, de la Balagne au Sud de la Corse, générateur là encore d’émissions polluantes, «serait incohérent avec l’objectif visé», poursuit Philippe François. L’alternative qui a la préférence de La Méridionale, c’est le transport de ce GNL par ses propres ferries. «Aujourd’hui, un navire peut le faire si c’est le carburant de sa propulsion, mais il est soumis à des contraintes rigoureuses s’il s’agit d’un transport de conteneur GNL pour un usage autre», avance de son côté Benoît Dehaye. Plus précisément, la réglementation impose d’avoir un nombre bas de passagers s’il y a citerne à bord, « soit un pour trois mètres de navire», précise Christophe Seguinot. La compagnie de Marc Reverchon doit donc obtenir de l’administration les autorisations nécessaires à ces acheminements. Du côté d’Air Flow, on regarde forcément ces futures tractations avec beaucoup d’intérêt. Car pour la PME, comptant quelque 20 salariés et déjà cinq filiales à l’étranger, il s’agit bel et bien de capitaliser sur ce nouveau segment de marché, à la suite du test corse. «Notre cible privilégiée, ce sont les ports. C’est auprès d’eux que nous entendons commercialiser notre solution. Ils revendront ensuite l’électricité aux compagnies maritimes», décrypte Nathalie Mosca en termes de modèle économique.

Essaimer sur le continent ?

Toujours est-il que côté décideurs, l’initiative est forcément saluée de façon positive. «Rarement je n’ai vu une union aussi forte de toutes les parties prenantes. Il faut dire que l’on respire tous le même air, on est tous impliqué», poursuit la directrice générale d’Air Flow. Ainsi Paul Marcaggi, président de la CCI 2A, qui «entreprend des études et teste toutes les solutions, afin de mettre en place un bouquet de services comprenant hydromaréthermie, photovoltaïque, hydrogène, dans un objectif de smart port», est-il on ne peut plus favorable à l’initiative de La Méridionale. Même chose du côté de la municipalité d’Ajaccio, dont «le port de commerce se situe en centre ville. Cependant, l’activité économique portuaire ne doit pas représenter une menace. Elle nécessite une prise de conscience urgente, ce que propose La Méridionale aujourd’hui», a-t-on avancé du côté de la Mairie, elle aussi formulant le vœu de la pérennité de l’électrification des quais au GNL. Et de fait, l’intérêt du monde maritime est manifeste pour cette innovation : les ports de Toulon, Monaco et Nice se sont déjà fait connaître et suivent de près les évolutions du projet, dans le sillage de celui d’Ajaccio.
Carole PAYRAU

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