Conflit israélo-palestinien: Des mesures propres à réduire la tension par le Pr Gilbert Benhayoun*

Publié le 5 mars 2016 à  19h12 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  22h04

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Dans les médias, le conflit israélo-palestinien est passé au second plan de l’actualité qui concerne le Moyen-Orient. Face aux menaces de l’État islamique, à la catastrophe humanitaire en Syrie, à l’afflux de migrants en Europe, en Jordanie, en Turquie, à la tension grandissante entre les pays sunnites, en particulier l’Arabie Saoudite, et les pays chiites tel l’Iran, à la tension en Égypte, généré par la lutte entre le pouvoir et les frères musulmans, le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens apparait de moindre importance stratégique. Pourtant, sur le terrain la tension reste forte. D’après BBCwatch, entre le 1er octobre et le 31 décembre 2015, 34 israéliens, civils ou militaires, ont été tués. Et, entre le 1er janvier et le 24 février 2016, huit israéliens ont été tués. Et, du 1er octobre 2015 au 25 janvier 2016, 105 palestiniens, dont 25 enfants, ont été tués. Le risque d’une escalade de la violence s’accroît, aussi la population, aussi bien israélienne que palestinienne, est de plus en plus sceptique quant à une éventuelle résolution du conflit dans un avenir proche.

La situation à l’intérieur de l’Autorité palestinienne risque également de se détériorer, ce qui aura comme conséquence le soulèvement d’une intifada armée, et, peut-être la démission du Président Mahmoud Abbas. C’est l’opinion d’un responsable politique israélien de premier plan, membre influent du Likoud, parti de Benjamin Netanyahu, Zeev Elkin, ministre des Affaires de Jérusalem et de l’absorption des immigrants. Dans une interview accordée à Al-Monitor du 10 février dernier, Elkin prophétise: «L’Autorité palestinienne devrait cesser d’exister dans un délai assez bref (…), dans un mois ou dans un an». Il a 81 ans, sa santé est fragile et il n’a pas nommé de successeur. Pour Elkin, on assiste à la destruction totale de la structure hiérarchique du monde arabe, et ce processus atteint aujourd’hui les Palestiniens.
Dans ces conditions, qui poussent au pessimisme, quelles décisions devraient être prises, pour réduire la tension à court terme sur le terrain.

-Pour Denis Ross et David Makovsky [[Denis Ross a été négociateur de paix entre Israéliens et Palestiniens du Président Clinton, et conseiller du président Obama pour le Moyen-Orient de 2009 à 2011. David Makovsky a fait partie de l’équipe de négociation du Secrétaire d’Etat, John Kerry entre 2013 et 2014, durant les pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens. Ils appartiennent, tous deux, au Washington Institute for Near East Policy.]], le meilleur moyen pour modifier le climat de méfiance, consisterait à adopter une nouvelle approche concernant les implantations israéliennes en Cisjordanie. Pour eux toutes les implantations ne sont pas identiques. Obama, dans son discours de Mai 2011 avait évoqué la question du tracé de la future frontière entre Israël et la Palestine. Celle-ci, devrait prendre comme référence la ligne d’armistice de 1949, communément appelé la ligne verte, avec des échanges de territoires, sur la base de 1 pour 1. Le nouveau tracé de la frontière, ainsi défini et agréé par les deux parties, devrait permettre aux Israéliens de conserver les blocs importants d’implantation (Maalé-Adumim…). Cette proposition d’échange de territoires avait reçu l’aval des Palestiniens. En 2008, le Président Abbas avait admis le principe de blocs d’implantations qui seraient, à l’issue des négociations, israéliens. Le litige d’alors entre lui et le Premier ministre israélien Ehud Olmert portait sur le % de territoires à échanger. Pour les Israéliens, celui-ci devrai être de 5.9% alors que pour les Palestiniens il fallait s’en tenir à 1.9% de la superficie de la Cisjordanie à échanger. Les négociations d’alors ont été stoppées, Olmert ayant été mis en examen par la justice israélienne, avait dû démissionner, alors qu’un compromis aurait été, à notre sens, possible.

Le problème est que, alors qu’il est reconnu que toutes les implantations ne se valent pas, que les principales d’entre elles (appelons-les de type 1, les implantations de type II seraient amenées à passer sous souveraineté palestinienne [[Les experts]] ) devraient, à l’issue des négociations, passer sous souveraineté israélienne, l’administration américaine, l’Union européenne continue de traiter toute activité dans l’ensemble les implantations comme inacceptables. Le fait de ne pas différentier les implantations, renforce la droite israélienne, qui elle, fait la distinction.

Pour Ross et Makovsky, une nouvelle approche consisterait à reconnaître que construire à l’intérieur de ces implantations, qui feront partie de l’échange de territoires, ne changera pas les termes de paix («peace map »). Pour eux, cela n’implique pas une approbation de la part de l’Autorité palestinienne, qui admettrait de distinguer entre les constructions dans les implantations de type I et celles construites dans les implantations de type II. Dans cette hypothèse, Israël s’interdirait de construire dans celles-ci, en particulier dans une zone hautement sensible, et, probablement source de désaccords futurs entre Israéliens et Palestiniens, lors de futures négociations, celle d’Ariel (20 000 habitants). Il faudrait dans le même temps autoriser les Palestiniens à construire dans la Zone C (60% de la Cisjordanie), ce que les accords d’Oslo de 1993 ne leur permettent pas de faire. Israël devrait également cesser de construire dans le voisinage de Jérusalem-est. Enfin, il devrait s’engager à accepter le principe d’un échange de territoires. Tout ceci montrerait aux Palestiniens, qui dans leur ensemble, pensent que les Israéliens n’ont aucunement l’intention de rendre quelque partie de toute la Cisjordanie, qu’un changement significatif est en train de s’opérer. Reste un obstacle, celui de convaincre le Premier ministre israélien d’accepter cette proposition, car il considère que le contexte actuel est un jeu à somme nulle (ce que l’un gagne, l’autre le perd). Aussi, il faudrait, pour qu’il accepte, recevoir une compensation à trois niveaux. En premier, les Américains devraient s’engager à continuer à user de leur droit de veto à toute résolution du Conseil de Sécurité, considérée comme hostile par les Israéliens. En second, ils devraient s’engager à ne pas présenter de résolution au Conseil de Sécurité portant sur la définition de paramètres de résolution du conflit [[Rappelons que la France tente, actuellement, de prendre une initiative diplomatique, visant à proposer les termes d’un compromis, acceptable et agréé par la communauté internationale, y compris des pays arabes, tels l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite.]]. Enfin, troisièmement, les Américains s’engageraient à faire pression sur les Européens et les pays arabes, pour, que ceux-ci demandent fermement aux Palestiniens, que, d’une part, ils acceptent de normaliser à nouveau les contacts avec les Israéliens, et, d’autre part, de cesser toute action visant à délégitimer Israël, ce qui est incompatible avec une solution à deux États [[Il serait possible d’inclure une autre initiative, de la part cette fois, de l’Union européenne. Celle-ci s’engagerait à assouplir les conditions de mise en œuvre, de ses décisions consistant à discriminer les productions israéliennes issues des implantations de celles proprement israéliennes.]] .
-Akiva Eldar, journaliste israélien, pense également que, compte du blocage actuel, il faut adopter un certain nombre de mesures. Et, à défaut de négociations sérieuses de paix, émet dix suggestions concrètes susceptibles d’améliorer la situation à court terme. Ses propositions ne concernent pas les questions-clés du conflit israélo-palestinien, que sont le problème des réfugiés, le statut de Jérusalem, le tracé des frontières et l’avenir des implantations, ni même la construction d’un port à Gaza, tel que pourtant recommandé par l’armée israélienne.
Reprenons ses propositions:
-1) Cesser l’annexion de facto de la Cisjordanie par les Israéliens. Pour ce faire, l’administration israélienne s’appuie sur la législation en vigueur au temps de l’empire ottoman, qui permettait de déclarer toute terre privée, «terre d’État». Toute terre est, d’après la législation ottomane qui date du milieu du 19e siècle, est considérée comme terre d’État à moins de prouver le contraire. La preuve repose sur les supposés propriétaires privés. Pour pouvoir enregistrer une terre en tant que bien privé, il faut l’avoir cultivée depuis au moins dix ans. Dans l’hypothèse du non enregistrement, celui qui la mettra en culture durant cette période sera alors considéré comme propriétaire légitime s’il est attesté de la mise en culture effective ainsi que de l’acquittement des taxes. en revanche, si la terre n’est pas cultivée pendant trois années successives, elle peut devenir propriété de l’Empire Ottoman, elle est «terre d’État [[En octobre 1979, la justice israélienne avait considérée comme inconstitutionnelle la pratique de saisie de terres palestiniennes, pour « raisons militaires », mais en pratique pour autoriser l’établissement d’implantations. Depuis, c’est la loi ottomane qui s’applique.]]».
-2) Modifier la planification de construction. Pour Eldar, il convient que les Israéliens transfèrent les compétences en matière de construction aux Palestiniens dans la zone C. Le fait que l’administration israélienne rejette la majorité des permis de construire (94% de rejets) incitent les Palestiniens à construire sans permis.
-3 La législation en matière d’expulsion stipule qu’une personne dont la terre a été confisquée doit apporter la preuve de la propriété. Très souvent les preuves font défaut, aussi les colons radicaux occupent ces terres. Il faudrait que l’armée intervienne pour les en empêcher, et poursuivre devant les tribunaux les soldats qui refusent à intervenir.
-4) Empêcher l’attribution de fonds aux avant-postes illégaux.
-5) Arrêter de bloquer les revenus des taxes collectées par Israël qui appartiennent aux Palestiniens («clearences revenues»), comme ce fut le cas à plusieurs reprises, en particulier en 2012, lorsque les Palestiniens ont demandé à être considérés comme non-membre observateur de l’Assemblée Générale des Nations-Unies.
-6) Connecter tous les villages palestiniens situés dans la zone C aux infrastructures d’eau, d’évacuation des eaux usées, d’électricité.
-7) Éliminer toute mesure de restriction de déplacement des malades, des médecins et des ambulances. Les médecins et infirmiers palestiniens devraient être autorisés à travailler dans les hôpitaux palestiniens (au nombre de six) situés à Jérusalem-est.
-8) Les services de sécurité ne devraient pas être autorisés à user de leurs armes pour disperser la foule, à moins que leur vie soit en danger.
-9) Les officiers en charge des checkpoints devraient veiller à empêcher toute humiliation, car, en plus des considérations morales, cela contribue à accroître l’animosité de la population.
-10) Révoquer l’injonction qui limite sévèrement la liberté de paroles lors des manifestions.

Le problème que la mise en œuvre de ces mesures pose, est que, dans une période où les attaques individuelles contre les civils israéliens sont quasi-quotidiennes, cela pourrait être interpréter comme le bénéfice obtenu par les Palestiniens. Mais, par ailleurs, si la violence diminue et cesse, alors les décideurs à Jérusalem pourraient estimer qu’il y a peu d’intérêt à sortir du status quo. En définitive, la vraie question n’est pas de savoir quel est le bon moment pour prendre des décisions, mais d’avoir ou non la volonté d’agir.

(*) Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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