Covid-19. Entretien avec Romain Cluis, président de l’agence de voyage Orsud

Publié le 14 février 2021 à  9h00 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  14h55

Avec quatre points de vente répartis entre Marseille et Paris, l’agence Orsud, spécialisée dans le voyages d’affaires et le tourisme, est pilotée par Romain et Michael Cluis. Après avoir intégré l’entreprise en 1994 et gravi tous les échelons, l’aîné Romain est à la tête de la société depuis 2016. A l’heure où la crise sanitaire fait perdre à son entreprise – dont le siège est à Marseille – entre 70 à 80 % de ses activités habituelles, il était intéressant d’avoir son point de vue au sujet de toutes les répercussions causées depuis mars 2020 par le Covid sur tout le secteur du tourisme. Entretien.

Romain Cluis, président de l’agence de voyage Orsud © Bruno Angelica
Romain Cluis, président de l’agence de voyage Orsud © Bruno Angelica

L’agence Orsud est une entreprise familiale. Pouvez-vous revenir sur sa genèse ?
C’est en effet une histoire de famille. Tout a commencé avec ma grand-mère paternelle qui avait créé Orchape en 1958 à Paris : une agence de voyages spécialisée dans la chasse et la pêche. En 1970, mon père Renaud s’est installé à Marseille pour créer Orchape Sud, devenue Orsud en 1982. Très rapidement, il s’était orienté vers le voyage d’affaires. Aujourd’hui, la société est dirigée par mon frère, Michael, et moi-même. Nous détenons 100 % du capital. Il n’y a aucun actionnaire au-dessus. Orsud est une structure familiale à taille humaine qui compte 36 salariés, pour un volume d’affaires de 40M€.

Accompagner le développement commercial de nos clients

De quelle manière a pu se développer l’entreprise entre ses différentes activités ?
Tournée au départ vers les TPE-PME du territoire régional, la société s’est développée avec une clientèle loisirs et surtout professionnelle amenée à voyager à l’international. Notre principale mission est toujours d’accompagner le développement commercial de nos clients. Nous sommes membre du réseau Manor, qui pèse 1,4 milliard d’euros, regroupe des agences de voyages indépendantes, soit 74 raisons sociales. Une affiliation qui nous nous permet de faire bénéficier nos clients des meilleurs tarifs négociés du marché : qu’ils soient aériens, hôteliers, les locations de véhicule.

Des clients du monde de l’industrie du spectacle… du sport

Comment s’articule l’organisation de votre point de vente sur Paris ?
L’équipe se compose de 6 billettistes dédiés à l’accompagnement de nos clients en Île-de-France. Nous avons une spécificité : être positionnés sur des marchés de niche ou spécialités. Sur Paris, on s’occupe de nombreux clients du monde de l’industrie du spectacle. Nous y avons développé une expertise dans la gestion des déplacements des équipes des sociétés de production, de spectacles vivants, programme télévisuel, cinéma et publicité. On a aussi une vraie valeur ajoutée au niveau de la gestion des déplacements sportifs. Tout comme pour le secteur de la production, nous savons nous occuper dans la discrétion des déplacements VIP ainsi que des équipes techniques, sportives ou médicales, lors de compétitions, matchs, entraînements ou différents voyages relatifs à la vie d’un club sportif.

Des déplacements liés aux secteurs maritimes et de l’énergie

Avec votre siège sur Marseille, comment dans le même temps fonctionne votre société dans la capitale provençale ?
Nous avons 3 points de vente. Le plateau affaires dans le 9e arrondissement qui regroupe 16 personnes pour être le cœur d’Orsud. Il s’occupe de toute la clientèle affaires régionale. Sur ce site, nous avons également une niche, car depuis plus de 25 ans nous sommes spécialisés dans la gestion des déplacements liés aux secteurs maritimes et de l’énergie : Oil & Gas, nouvelles énergies. Nous gérons les rotations de l’ensemble des équipes : personnels de bord, équipes ingénierie et technique, plongeurs, VIP. Ils proviennent du monde entier et doivent se rendre sur des plateformes en mer, sur des chantiers, des barges à l’international dans tous les pays impliqués dans ces secteurs.

On est ainsi présents en Afrique de l’Ouest, Amérique du Sud, Asie, Moyen Orient. Nous sommes en mesure de délivrer tous les tarifs spéciaux marins et Offshore sur l’ensemble des compagnies aériennes. Toujours sur ce plateau, nous avons un pôle PME qui gère une clientèle plus classique. Notre 2e point de vente est un implant, avec 5 salariés physiquement installés dans les locaux d’un grand groupe industriel marseillais. Enfin le 3e point de vente est situé rue Paradis, dans le 8e. Il est entièrement consacré à notre clientèle loisirs.

Justement, entre vos entreprises partenaires et les particuliers, comment se répartit aujourd’hui votre activité ?
Notre clientèle affaires représente environ 85 % de notre activité. C’est notre cœur de métier. La clientèle loisirs représente les 15 % restants. Nous constatons avec cette pandémie un retour de la clientèle loisirs vers notre agence de la rue Paradis. C’est souvent en temps de crise que les clients se rendent compte des bénéfices de passer par une agence physique et non un site Internet. De leurs côtés, les entreprises attendent toujours plus de nous un accompagnement pour les aider à faire des économies sur la gestion de leurs voyages.

Covid-19: gérer le mieux possible le rapatriement de tous nos clients

Pouvez-vous décrire la situation qu’une grande agence de voyages comme la vôtre a connue au moment de l’annonce du premier confinement en mars 2020 ?
La plupart des frontières ont fermé en l’espace de trois jours. Et des dizaines de milliers de Français se sont retrouvés coincés partout dans le monde ! En quelques heures, nous avons mis en place une cellule de crise afin de gérer le mieux possible le rapatriement de tous nos clients. Je vous laisse imaginer la galère pour tous ceux qui avaient acheté leur billet sur internet. Le seul cas précédent, avec les mêmes effets, avait été l’irruption du volcan islandais, en 2010, avec, là encore, des gens qui avaient acheté les billets sur internet et s’étaient retrouvés sans solution, le trafic aérien étant complètement fermé. A cette époque, déjà, nous avions pris en charge tous nos clients en rade à travers l’Europe.

Nous avons un service d’urgence, 24 heures sur 24, avec un suivi de la clientèle

Dans de telles circonstances, quelle est la grande différence entre le fait de réserver ses billets via une agence ou par internet ?
En achetant ses billets en agence, le client bénéficie d’un service sur-mesure. Comme cela a été le cas avec la crise sanitaire, nous sommes en capacité de rappeler un à un tous nos clients, c’est donc tout à fait différent du service proposé sur le web. Tous nos clients ont pu le remarquer lors du premier confinement : nous avons un service d’urgence, 24 heures sur 24, avec un suivi de la clientèle. Toutes les agences de voyages physiques ont des garanties financières, contrairement à certaines agences « online ». En ce moment, certaines agences physiques sont acculées financièrement. Grâce aux garanties financières, tous les acomptes de nos clients sont garantis par nos assurances. En passant par une agence de voyages physique, le client a la garantie d’être remboursé en cas de dépôt de bilan de l’agence.

Le seul point positif de cette crise est d’avoir réussi à démontrer aux clients la valeur ajoutée de passer par une agence de voyages

Quel est pour vous et jusqu’à maintenant le plus grand enseignement de la crise sanitaire dans votre secteur ?
Pour moi, le seul point positif de cette crise est d’avoir réussi à démontrer aux clients la valeur ajoutée de passer par une agence de voyages. Sur internet, tout dépend par qui vous passez. Les grandes structures de réservation sur internet ont des garanties, mais le web reste très opaque et vous ne le savez pas au départ… Avec l’agence physique, une personne peut vous suivre du devis jusqu’à votre retour en France. Au moindre pépin, vous avez une réponse. Je reste résolument optimiste pour l’avenir des agences de voyages. Depuis des décennies, leur fin est annoncée, mais nous sommes toujours debout, joignables 24 heures sur 24. A l’avenir, les gens auront de plus en plus besoin d’être rassurés pour avoir la garantie d’être suivis pendant toute la durée de leur voyage.

Comment voyez-vous l’avenir de votre société et celui du secteur du tourisme si la crise sanitaire devait encore durer plusieurs mois ?
L’État nous aide, mais notre société comme les autres dans le secteur est sous respiration artificielle. Cette année 2021 sera encore très compliquée… Quand la crise sanitaire est arrivée en mars, du jour au lendemain notre activité a chuté et nous avons ainsi dû gérer tous les rapatriements de nos clients. Nous avons tout de suite créé un groupe de discussion interne et toutes les équipes étaient sur le pont pour trouver des solutions.

On fait, on défait, on refait en permanence

On a connu une reprise durant l’été, à la suite du déconfinement, avec beaucoup de réservations de voyages en juillet-août pour des départs en février. Mais ces derniers sont en train de s’annuler et aujourd’hui : on fait, on défait, on refait en permanence. Quand je sonde mes clients affaires et loisirs, je constate qu’ils ne rêvent tous que de voyager à nouveau ! Avec l’arrivée des vaccins, je m’attends à un important rebond de notre activité. Je suis optimiste : les voyages vont reprendre, mais il va falloir s’armer encore d’un peu de patience.

Si la baisse de 70 % de l’activité se poursuivait, il faudra malheureusement se poser des questions…

Si la crise devait durer et impacter toujours plus le secteur du tourisme, pourrez-vous continuer à assurer les charges, loyers ?
Nous avons activé toutes les aides de l’État. Depuis le confinement de mars 2020, mes salariés sont en activité partielle et j’ai voulu maintenir le salaire intégral. L’État paye 84 % du salaire net avec le chômage, j’ai décidé de rajouter 16 % dès le départ. Je sais que des familles souffrent, donc j’ai acté un maintien. Maintenant, dès que les aides de l’État se réduiront, et on en parle à partir de mars ou avril, se posera la question de ce maintien. Car les charges salariales sont très lourdes à assurer, chaque mois, en plus des loyers à payer. Si la baisse de 70 % de l’activité se poursuivait, il faudra malheureusement se poser des questions…

Depuis les dernières années, quels sont les investissements que vous avez consentis pour satisfaire au mieux votre clientèle affaires ?
Aujourd’hui, nous leur gérons à la fois les billets d’avion et de train, les locations de voiture, les chambres d’hôtel, les transferts, VTC, taxis, G7, les visas. Nous faisons voyager depuis plus de 20 ans de nombreuses entités issues du milieu de la santé et de la biotech. En leur organisant souvent de A à Z leurs colloques, congrès à l’international. Nous tendons de plus en plus vers un modèle de conciergerie. Dans le même temps, on a développé de nombreux outils technologiques pour nos clients : dans la gestion et l’accessibilité des factures, la dématérialisation fiscale, la gestion des notes de frais, l’accompagnement dans l’élaboration d’une politique voyages ou d’un circuit de validation en interne.

Nous devons garder notre ADN qui permet à nos clients de se sentir en confiance

Sur quels atouts allez-vous miser pour sortir au mieux de la crise sanitaire ?
Sur notre double compétence : un accompagnement de type conciergerie, tout en proposant tous les services technologiques qui existent sur le marché. Très peu d’agences ont cette synergie. Les petites agences de quartiers proposent l’humain, mais n’ont pas la technologie. Les grosses structures proposent la technologie mais n’ont pas la ressource humaine pour pouvoir apporter un service dédié VIP. Nous avons les deux et devons garder notre ADN qui permet à nos clients de se sentir en confiance. On doit faire penser à chacun qu’il est notre seul client, alors que nous avons plus de 600 sociétés en compte chez nous.

Quel regard portez-vous sur le tissu entrepreneurial des Bouches-du-Rhône ? Est-il assez soudé, en relation étroite pour pouvoir peser ?
Nous avons besoin de plus de solidarité au sein de notre région. Je fais passer un message dans ce sens : faites confiance aux entreprises du territoire ! Nous sommes compétents, réactifs et proposons les meilleurs tarifs négociés du marché. Sincèrement, je ne vois pas l’intérêt de passer par une multinationale pour la gestion de ses déplacements professionnels… Je suis satisfait de voir que l’Aéroport Marseille-Provence prépare une série de grands chantiers pour améliorer l’accueil des voyageurs. Concernant l’AMP, je tiens juste à souligner qu’en dehors des 3 majors : Air France, Lufthansa et British Airways, il nous manque une grande compagnie aérienne, une compagnie du golf par exemple. Il est indispensable d’ouvrir une porte vers le Moyen-Orient. Nice et Lyon ont leurs vols directs vers Dubaï ou Doha. Pourquoi pas nous ?
Propos recueillis par Bruno ANGELICA

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