Et après… Covid-19 – Tribune de Arnaud Devigne – Sortie de crise : la nécessité d’une approche globale

Publié le 20 avril 2020 à  10h12 - Dernière mise à  jour le 30 novembre 2022 à  15h28

« Stop-Think-Act » : tout bon instructeur de plongée sous-marine vous le dira, il s’agit de la règle d’or pour gérer une situation imprévue, un événement qui n’a pas été anticipé. Ce processus en 3 étapes est une exigence qui vise à éviter les réactions émotionnelles excessives, irrationnelles, qui conduisent à commettre des erreurs parfois fatales. Pour autant, la pause, la réflexion et l’action doivent s’enchaîner rapidement. Il en va de même pour les pilotes d’avion confrontés à des avaries ou situations inhabituelles. Le temps de l’analyse et de la réflexion est indispensable mais il doit être court face à un processus dont l’évolution peut suivre une courbe exponentielle, et les décisions ondes car, si agir dans la précipitation est souvent préjudiciable, ne rien faire ou agir trop tard conduit souvent au pire. Quel rapport avec la crise du Covid-19 me direz-vous ? Hé bien, nous sommes collectivement dans le même état de stupeur que le plongeur qui se trouve face à un animal hostile, mutant, inconnu, à 40 mètres de profondeur. Que faire ? Remonter sans palier au risque de faire une accident de décompression ? L’affronter au risque de ne pas triompher et épuiser ses réserves en air ? Ne rien faire et attendre qu’il parte ? Ou bien prendre quelques secondes pour réfléchir et élaborer une stratégie de remontée progressive tout en respectant des paliers de décompression et en maintenant un contact visuel avec la bête ? Nul besoin de poursuivre l’analogie ; vous avez compris de quoi je voulais parler.

Arnaud Devigne (Photo Robert Poulain)
Arnaud Devigne (Photo Robert Poulain)

Gare aux experts

Ces derniers jours, j’ai donc été contraint d’appuyer sur pause [[A lire du même auteur: Covid-19: le jour où la planète a appuyé sur « Pause »]], comme tout le monde, et j’ai pu réfléchir. Mais pas en vase clos, prisonnier de mes propres certitudes. Tout d’abord, j’ai passé deux semaines en immersion en tant que bénévole au sein de l’IHU à Marseille afin de faire des prises de vue et réaliser un petit film documentaire destiné à l’établissement du Pr Raoult. Profitant de ma bande passante fraîchement libérée, j’ai également beaucoup lu tout en prenant soin de prendre mes distances avec Facebook et Twitter qui me semblent peu compatibles avec une quelconque prise de recul. Tout d’abord, parce qu’ils inondent nos ondes et la toile, j’ai pris connaissance de nombreux avis d’experts scientifiques, épidémiologistes, virologues, prof de médecine, biologistes, etc. Je me suis très vite rendu compte que, bien que passionnants, leurs propos étaient souvent incomplets et rarement adaptés à la diversité des enjeux et des décisions qui vont devoir être prises dans les jours et semaines à venir par le politique. Leur noble mission est de sauver des vies « à tout prix » et non d’estimer l’impact sociétal, politique à long terme des décisions permettant de sauver ces vies. Quant aux politiques, justement, ils sont bien peu nombreux à être capables de mettre de côté leurs réflexes partisans et faire passer au second plan leur agenda personnel. Bref, pas beaucoup de hauteur de vue ni de profondeur à attendre de ce côté là, avec une mention particulière pour la plupart des opposants au gouvernement qui voient dans cette crise une occasion d’exister en critiquant à tout va, en expliquant comment ils auraient géré la situation différemment et en appelant à régler les problèmes immédiatement, faisant mine d’ignorer les contraintes avec lesquelles il faut composer. Laissons les déverser leur propagande sous forme d’inutiles salves de 140 caractères sur Twitter.

Quid des consultants ?

Prometteuse étude du BCG qui a fait tourné ses modèles prédictifs pour produire quelques graphs illustrant la date de sortie probable du confinement dans les principaux pays touchés par la crise. Illustration parfaite d’une approche déterministe, linéaire, inadaptée à la situation. Une vision qui sous-tend que la décision politique de la stratégie de déconfinement serait la résultante d’une analyse purement rationnelle et mathématique basée sur l’évolution de l’épidémie. Cette approche n’intègre ni les agendas politiques des dirigeants, ni l’évolution imprévisible des opinions publiques, ni les interactions entre les décisions des nations, ni les avancés scientifiques pourtant très rapides, ni le libre arbitre des dirigeants face à des données imparfaites. Bref, cette étude est le parfait exemple des approches statiques, qui nous ont conduits à être dépassés par la crise actuelle. Terriblement décevant qu’un des « plus prestigieux cabinets de conseil au monde » tombe dans de tels travers de l’ancien monde et ignore à ce point la théorie du chaos et la dimension systémique infiniment complexe qui caractérise la crise actuelle.

Vers un point de bascule civilisationnel ?

C’est finalement en écoutant et lisant les historiens, philosophes, sociologues et quelques libres-penseurs qu’on arrive à progresser dans sa propre réflexion. Les intellectuels du temps long qui privilégient la mise en perspective et sont à l’aise avec une forme de pensée globale, holistique. Cette crise, initialement sanitaire, constituera vraisemblablement le catalyseur d’un bouleversement plus profond du monde sur le plan économique, social, scientifique, politique, psychologique et philosophique. Se limiter à une évaluation reposant exclusivement sur la dimension sanitaire peut nous amener à faire les mauvais choix sur le long terme. Je suis effaré par l’omniprésence de médecins sur les plateaux TV et la focalisation des médias (et donc de l’opinion publique) sur les débats techniques concernant les protocoles thérapeutiques à suivre, au détriment de débats essentiels sur toutes les autres dimensions induites par la crise. Ce prisme « médical » et cette approche séquentielle visant à vouloir « régler à tout prix » la crise sanitaire nous conduit à ignorer les autres impacts qui seront certainement d’une toute autre échelle et que nous devons pourtant anticiper afin d’esquisser un monde d’après à la fois souhaitable et acceptable.

Nous sommes très probablement à l’aube d’un point de bascule civilisationnel qui ne résulte pas directement de la crise du Covid-19 mais dont cette crise sera probablement le catalyseur principal. Tous les facteurs étaient réunis pour que le modèle de « démocratie libérale » (appellation imparfaite et sans doute réductrice) sous sa forme actuelle, cède la place à un nouvel ordre né du chaos ambiant. Il nous appartient de décider de la façon dont nous sortirons de ce monde et de bâtir les fondations du monde d’après, qui aura pour ambition de corriger les dysfonctionnements du précédent, à bout de souffle. Transition écologique, refondation de l’Europe, place du numérique et des technologies, démocratie revitalisée, nouvelles solidarités locales et internationales, seront très certainement les principales problématiques à traiter. Aussi, face à un tel choix de société, la pensée complexe et globale est de rigueur et il est essentiel d’avoir en tête le caractère structurant et impactant sur le long terme des décisions qui sont prises dans l’urgence. Dans cette optique, un des écrits les plus éclairant et transverse que j’ai lu ces derniers jours est le texte de Dominique Strauss-Kahn : «L’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise» qui aborde à la fois les enjeux économiques, sociaux et géopolitiques associés au moment historique que nous traversons.

La stratégie de déconfinement, allégorie du dilemme sécurité-liberté

Pour revenir aux aspects opérationnels de la gestion de crise, le 1er choix structurant que nous allons devoir faire est celui de la stratégie de sortie du confinement. Nul doute que le Chef de l’État, devenu chef de guerre face à l’ennemi invisible, écoute les différents experts scientifiques mais également les « penseurs libres et globaux » pour se faire sa propre opinion et décider de la façon dont nous sortirons de la mise en sommeil de notre société. Cette décision est éminemment politique et elle ne peut bien entendu reposer exclusivement sur des éléments quantitatifs, sur des courbes et des analyses épidémiologiques. En réalité, il s’agit avant tout d’un arbitrage entre sécurité et liberté qui est relativement habituel pour ceux qui nous dirigent : prendre le risque de sortir rapidement du confinement pour ne pas continuer à asphyxier nos vies et notre économie, au risque de saturer notre système de soins et au prix de milliers de vies perdues, sans savoir exactement combien. Ou bien appliquer le principe de précaution maximum et maintenir un confinement strict tant que la science ne nous permettra pas d’affronter sereinement ce virus. Processus qui pourrait prendre plusieurs mois.

Nos sociétés occidentales ont souvent été confrontées à ce dilemme sécuritaire, notamment depuis les attentats du 11 septembre qui ont marqué un tournant dans la façon d’appréhender nos déplacements. Notre façon de voyager est depuis davantage contrainte et soumise à certaines restrictions et limitations. Nous l’acceptons au prix d’un sentiment de sécurité accru. Mais aujourd’hui ce dilemme est porté de façon inédite à un niveau extrême : avec le confinement, ultime mesure protectrice pour la population face à une situation d’urgence à laquelle nous n’étions pas préparés, c’est l’ensemble de nos vies qui se trouvent soumises à des restrictions de liberté drastiques et non certains événements, certaines occasions. Les différents peuples ont presque tous accepté avec docilité un arrêt de l’économie mais surtout une remise en cause brutale de la liberté de déplacement des individus et des contrôles très stricts. Situation impensable il y a encore 3 mois -une éternité en « temps Covid »- même dans les esprits les plus pessimistes. Or, cela est bien connu, les mesures d’exception prises en période de crise peuvent parfois devenir la nouvelle norme. La gestion du risque d’attentats et le plan Vigipirate en sont de bons exemples. Cela est encore plus vrai dans des régimes non démocratiques où les crises exogènes constituent de formidables opportunités de renforcer durablement le pouvoir des dictateurs.

Combien de temps sommes-nous prêts à accepter de telles atteintes à nos droits les plus fondamentaux ? Une fois passée la crise actuelle, la tentation ne sera-t-elle pas grande de déployer à nouveau de telles mesures liberticides pour prévenir l’arrivée d’une nouvelle crise ? A quelles libertés sommes-nous prêts à renoncer durablement pour réduire les risques à venir ? Aujourd’hui la crise est sanitaire. Mais la suivante pourrait être nucléaire, industrielle, climatique, cyberattaque, etc. Nos sociétés, traumatisées par le choc actuel, résisteront-elles à la tentation d’adopter des mesures de précaution et de prévention pour nous prémunir de tous les risques majeurs identifiés ? Voulons-nous d’un monde anxiogène, paranoïaque qui tente d’anticiper toutes les crises au prix d’un privation de liberté répétée ou, pire, permanente ? Cette quête sécuritaire n’est-elle pas vaine alors que l’histoire nous a montré qu’elle ne frappait jamais là où on l’attendait ? Aussi, la façon dont notre Président et, plus largement les autres chefs d’État, géreront la sortie de crise pourrait avoir un impact majeur et durable sur le monde de demain en terme d’équilibre liberté/sécurité.

Homo Deus ou le refus de la finitude

Comment sommes-nous arrivés à cette situation de crise planétaire, d’une ampleur inédite, alors même que les projections de mortalité liée au Covid-19 sont sans commune mesure avec les grandes pandémies historiques ? Sans remonter jusqu’aux grandes pestes, ni même jusqu’à la grippe Espagnole de 1918-1919, la grippe de Hong Kong, particulièrement virulente, avait tué près de 30 000 personnes en France en 1969, soit le double du nombre de décès liés au Covid-19 à ce jour. Pourtant, cet épisode était passé relativement inaperçu et fort à parier que bon nombre de lecteurs en ignorent jusqu’à l’existence même. Qu’est-ce qui a si profondément changé en 60 ans ? Je vois 2 explications principales à la résonance de la crise actuelle : la première, est d’ordre technologique et informationnelle : les chaînes d’info continue et, plus encore, les réseaux sociaux, constituent des caisses de résonance de l’actualité qui n’existaient pas il y a encore 20 ans. L’info est produite et partagée en masse de façon instantanée, à l’échelle mondiale, et les données épidémiologiques constituent un « consommable » de premier choix pour ces médias particulièrement friands de chiffres et de statistiques qui peuvent être présentés de façon très synthétique, « pré-mâché ». Plus encore, c’est la possibilité de « feuilletoniser » la crise sanitaire qui la rend si adaptée à ces nouveaux médias de l’instant et du « always on. Une sorte de Tsunami qui se renouvelle chaque jour. La seconde, bien plus profonde, est d’ordre philosophique : sous l’effet du progrès scientifique, notamment dans le domaine de la recherche médicale, l’idée même de mortalité de masse résultant d’un simple virus qui s’apparente à une grippe, est devenue inconcevable alors qu’une telle éventualité était abordée avec beaucoup plus de fatalisme il y a quelques décennies. Les citoyens et donc les dirigeants ne peuvent se résoudre à l’idée qu’une catastrophe qui se produit sous nos yeux, dont on observe et mesure la progression chaque jour (cf point précédent), puisse emporter des millions de nos semblables, et ce, alors même que nous avons des moyens, certes contraignants, d’en limiter les conséquences immédiates. Ainsi, Yuval Harari parlera de la tentation pour l’homme de devenir éternel et de notre volonté toujours plus grande de repousser les limites de la mort. L’homme se rêve en dieu amortel : Homo Deus. Sous l’influence de ces deux phénomènes, cette pandémie, par nature universelle, mondiale, a en quelques jours « rempli » la totalité de l’espace médiatique, de nos esprits et de nos conversations. Tous les autres sujets ont été balayés durablement, preuve du choc civilisationnel que nous traversons, comme le décrit si brillamment l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans son entretien «Nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois». Si les caractéristiques sanitaires de cette pandémie sont loin d’être exceptionnelles, l’ampleur de ses retombées et des réponses politiques qu’elle produit sont certainement inédits dans l’histoire.

«Le vrai prix du confinement»

Au delà de cet arbitrage entre (sentiment de) sécurité accrue et libertés individuelles préservées, la radicalité du confinement dans un monde conçu pour la vitesse et les échanges incessants nécessite également de tenter d’en anticiper l’ensemble des impacts à plus long terme. Nous avons eu peut-être trop tendance à considérer de façon réductrice que la question du confinement se résumait à un choix entre des points de croissance, autrement dit de la richesse, et des vies sauvées. Posée en ces termes, la question appelle une réponse relativement consensuelle et tout le monde s’accordera à dire que « la vie n’a pas de prix ». Mais sommes-nous vraiment lucides sur la réaction en chaîne qui pourrait suivre le tsunami que constitue la mise à l’arrêt pure et simple de nos économies et de nos vies ? On pourrait hélas réaliser dans plusieurs mois que les effets en sont dévastateurs dans de nombreux domaines qui vont bien au-delà des questions budgétaires / financières habituelles.

Quelques effets possibles d’un confinement prolongé des pays occidentaux :

a) Sur le plan sanitaire
Impact psychologique : dépressions, suicides, violences conjugales, maltraitance,…
Baisse inquiétante du recours aux soins (services d’urgences à 30% de leurs capacités et chute brutale des consultations) avec un risque majeur de développement de pathologies hors Covid non diagnostiquées. Autant de bombes à retardement sur le plan sanitaire.

b) Sur le plan économique et social
Crise économique majeure en Europe et aux US : faillites, chômage de masse, déficits budgétaires colossaux, disparition d’actifs et de savoirs précieux, rupture de la chaîne de production/approvisionnement dans des secteurs critiques, etc.,…entraînant une profonde crise sociale : renforcement de la précarité, difficulté à se loger, à se nourrir pour les plus vulnérables, notamment tous ceux qui ne bénéficient pas des plans de sauvetage (économie informelle, inactifs, sans papiers,…).

c) Sur le plan humanitaire
Contagion de la crise économique aux pays émergents dont la production peu diversifiée et dépendante des exportations s’effondrera, entraînant une misère pouvant générer des tensions sociales extrêmes, émeutes, instabilité politique, guerres civiles, etc. Suppression de nombreuses aides humanitaires aux pays en développement avec des impacts dramatiques sur les populations. Exacerbation, et potentiellement extension, des conflits armées dans les zones sensibles d’où se retireront les forces internationales de maintien de la paix.

d) Sur le plan politique
Renforcement du nationalisme et de toutes les formes d’isolationnisme s’accompagnant d’un affaiblissement des instances de gouvernance internationale. Consolidation des dictatures et régimes non démocratiques. Risque de tentation pour les « hommes forts » / autocrates dans les démocraties fragilisées par la crise.

Cette liste non exhaustive doit nous amener à réfléchir à l’effet domino que pourrait engendrer la mise à l’arrêt de nos économies jusqu’à présent conçues pour tourner à plein régime dans des situations proches de la « normale ».

Le nécessaire « Pacte de confiance » avec les citoyens pour sortir du confinement

Face à ce tableau bien sombre de la possible réaction en chaîne résultant d’une politique de confinement « prudente » et prolongée jusqu’à fin mai ou au delà, quelle peut être l’alternative ? Aujourd’hui, pour les raisons évoqués ci-dessus, une posture consistant à assumer une surmortalité massive à court terme pour préserver l’équilibre de notre monde à long terme n’est pas envisageable…ou, tout au moins, ne peut être présentée de la sorte. Aussi, il convient de dessiner un chemin de crête, juste équilibre entre l’acceptable par nos sociétés et la préservation des fondamentaux sur le long terme. Une option consisterait alors pour l’exécutif à esquisser un « Pacte de confiance » avec les citoyens en sortant de façon anticipée du confinement strict pour adopter une approche plus ciblée et privilégier l’appropriation par tous des mesures de distanciation sociale. Ce pacte reposerait sur le constat que le risque de saturation de notre système de soins résulte de la contamination d’individus vulnérables : personnes âgées et patients présentant divers facteurs de risque tels que le diabète, l’obésité ou des antécédents cardiaques et de l’hypertension. A l’inverse, la très grande majorité des autres segments de la population traverse la maladie sans hospitalisation et sans soin particulier, comme lors d’une grippe saisonnière. 85% des personnes positives au Covid-19 guériront sans avoir besoin d’être hospitalisées. Ainsi, les restrictions portant sur les actifs et les plus jeunes pourraient être levées assez rapidement tandis que des mesures de confinement encore contraignantes pourraient s’appliquer sur les 20-30% de la population les plus exposés.

Cette approche présente un double avantage :
-Politiquement, cela permet de responsabiliser les citoyens qui sont aujourd’hui dans une logique passive qui peut conduire à tout attendre des autorités pour ensuite leur reprocher de ne pas avoir agi correctement.
-Économiquement, elle permet de remettre en marche une partie de l’économie en « libérant » les actifs et les consommateurs afin de limiter la gravité de la spirale décliniste présentée un peu plus haut dans ce texte.

Une période test de 2 semaines pourrait être envisagée avec une décision d’assouplissement des mesures à la clé…ou bien de retour en arrière au confinement généralisé si les français ne jouent pas le jeu.

Un plan de ce type pourrait être élaboré :
a) Suppression des attestations de déplacement et rétablissement de la liberté de circulation sur tout le territoire national.

b) Confinement recommandé avec contacts extérieurs très limités pour les plus de 70 ans et les populations jugées à risque (sur la base d’un auto diagnostic ou simple diagnostic via une plateforme téléphonique).

c) Réouverture de tous les commerces et entreprises avec mesures de distanciation sociale : télétravail partiel pour limiter la présence d’un grand nombre individus sur le même site, horaires de repas décalées, port du masque, hygiène renforcée,… Le cas particulier des restaurants pourra être géré en mettant simplement en place des services à heure fixe avec un nombre plus limité de clients en salle afin de respecter les gestes barrières.

d) Réouverture des écoles à mi-temps avec un système de roulement (matin/soir ou 1 jour sur 2) pour limiter le nombre d’enfants dans chaque classe et pouvoir appliquer les mesures de distanciation sociale.
L’objectif est moins pédagogique que pour permettre aux parents de reprendre un semblant d’activité professionnel.

e) Interdiction des rassemblements de plus de X (à définir) personnes jusqu’à nouvel ordre (certainement découverte d’un traitement efficace ou d’un vaccin). Cette mesure qui semble relativement inévitable quand on sait que ce sont précisément les grands rassemblements religieux, culturels, etc. qui ont permis la formations de clusters infectieux importants au début de l’épidémie, aura malheureusement un impact économique et culturel fort puisqu’elle revient à annuler les festivals de l’été, maintenir fermés les salles de cinéma, de concert, les théâtres, annuler les événements professionnels et salons. Des mesures d’accompagnement économiques spécifiques devront être mises en œuvre pour garantir la survie du plus grand nombre d’acteurs.

f) Obligation de port du masque dans le rue et dans les commerces: jusqu’à nouvel ordre.

g) Plan de dépistage massif des personnes symptomatiques ou ayant été au contacts de malades, éventuellement en s’appuyant sur l’utilisation de l’app, StopCovid, en cours de conception.
Dans tous les cas, le temps est sans doute venu de donner de la visibilité sur les grands jalons de la sortie de crise…même si ces derniers sont amenés à être revus au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie qui demeure encore en partie inconnue (traitements, impact de la saisonnalité, immunité etc.).

De la tentation nationaliste

Le propos de ce texte n’est pas de présenter dans le détail les grands chantiers qui nous attendent pour rebâtir notre société post-Covid…ou plutôt pour rebâtir une société différente qui en aura appris davantage sur ses faiblesses et fragilités grâce à la crise.
Néanmoins, la gestion de la sortie de la crise sanitaire ne doit pas nous faire oublier que le plus complexe et le plus difficile restera devant nous. Si nous parvenons à gérer correctement cette transition -par « correctement » j’entends « en évitant l’effondrement systémique global qui nous conduirait inexorablement à traverser une période particulièrement sombre avant de pouvoir reconstruire un semblant de monde souhaitable ».
Si nous y parvenons, il faudra alors éviter de tomber dans un double écueil :
-Celui des ajustements et des changements incrémentaux apportés à notre modèle libéral mondialisé : en gros ce que nous avons fait après la crise financière de 2008. Nous changeons quelque peu les règles, nous refermons le couvercle et nous ne profitons pas cette mise à l’arrêt brutale pour repenser en profondeur notre façon de vivre, produire, interagir entre nous et avec notre écosystème. Certains « patrons » que je qualifierais de conservateurs, font preuve d’aveuglement face aux mutations profondes de notre société et appellent déjà les travailleurs à se serrer la ceinture dans les années à venir pour rattraper les points de croissance perdus. Ils n’ont pas compris (ou ne veulent pas comprendre) que cette course sera non seulement vaine mais elle nous conduirait à notre propre déclin car c’est une mutation qui s’impose et non une course au « toujours plus » à tout prix. Je ne crois pas trop à cette hypothèse car la profondeur et le caractère absolu de la crise à venir ne devraient tout simplement pas permettre de continuer à opérer comme avant. Leur discours deviendra rapidement déplacé et inaudible.
-Celui du renforcement du nationalisme et du « chacun pour soi » : c’est aujourd’hui la plus grande menace qui est face à nous car 1) elle était déjà présente avant la crise du Covid-19 notamment depuis l’arrivée au pouvoir de leaders populistes comme Trump, Bolsonaro, Orban, Erdogan… et 2) la crise actuelle met en exergue les dysfonctionnements de la mondialisation : propagation exponentielle sous l’effet des nombreux échanges, incapacité pour chaque nation à assurer sa sécurité alimentaire, sanitaire, absence de réponse coordonnée face à un ennemi mondial, besoin de rétablir des solidarités et des chaînes d’approvisionnement locales. En synthèse, il serait tentant de considérer que la plus grande « résilience » que tout le monde appelle, pourrait revêtir la forme d’un repli sur soi, d’un simple recentrage sur les intérêts nationaux et la mise à mal de tous les outils et instances de collaboration et de solidarité internationale.

Or, comme le souligne DSK mais également Bill Gates dans une tribune qu’il vient de publier dans Le Monde (« Pour une approche globale de la lutte contre le Covid-19 »), il convient tout au contraire de mettre en place des mécanismes de réponse et de solidarité au niveau planétaire face à cette catastrophe et à celles à venir, climatiques, migratoires, technologiques ou à nouveau sanitaires, qui ne connaîtront pas les frontières. Négliger les pays les plus vulnérables serait non seulement une faute morale mais une erreur stratégique majeure pour notre propre équilibre dans les années à venir. Cette crise est notamment pour l’Europe l’occasion de se refonder sur la base d’un nouveau Pacte. Un Pacte qui devra très certainement prendre la forme d’un « new green deal » qui sera également l’occasion de renforcer notre coopération avec le continent africain qui pourrait devenir notre premier partenaire en 2030.

L’exigence de la créativité pour demain

Frugalité, inventivité, sobriété…autant de clés pour rebâtir demain. Réflexion à suivre…

Arnaud Devigne est aujourd’hui consultant indépendant à Marseille en stratégie et transformation des organisations, chargé de mission auprès de La French Tech. Il a été directeur marketing de Google France, puis directeur du moteur de recherche d’emploi Indeed pour la France. Il a notamment créé dans ce cadre, il y a deux ans : Indeed Job Academy, pour aider les jeunes à trouver un emploi sur Internet.

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