Crif Marseille-Provence : déjeuner débat avec Chantal Bussière, Première Présidente de la Cour d’appel d’Aix sur les enjeux de la justice dans le contexte de crise actuel

Publié le 18 février 2015 à  12h08 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h41

Le Crif Marseille-Provence vient d’accueillir, dans le cadre de ses déjeuners-débat, Chantal Bussière, Première Présidente de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Juge au Conseil supérieur de la magistrature. Une rencontre lors de laquelle ont été longuement évoqués la montée de l’antisémitisme, les attentats et les réponses judiciaires à y apporter. Plusieurs intervenants réclamant que les lois soient durcies.

Chantal Bussière, Première Présidente de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence entourée de Michèle Teboul, présidente du Crif Marseille-Provence et de Me Isidore Aragones (Photo Robert Poulain)
Chantal Bussière, Première Présidente de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence entourée de Michèle Teboul, présidente du Crif Marseille-Provence et de Me Isidore Aragones (Photo Robert Poulain)

C’est Daniel Sperling, adjoint au maire de Marseille délégué à l’Innovation et Développement par le numérique et au «mieux vivre ensemble» qu’il revient de présenter l’invitée dont il salue l’énergie et la pugnacité ainsi que sa «connaissance de l’âme humaine»; précise que la magistrate est aussi musicienne: «Vous jouez de l’orgue et du piano, preuve de votre recherche permanente de l’harmonie». Puis, d’indiquer le «besoin de justice de la communauté juive qui souhaite que ses écoles n’aient pas besoin d’être protégées par les militaires, d’aller dans des épiceries casher sans risquer sa vie».
Pour Chantal Bussière: «Il est important de parler de la Justice, cette fonction régalienne de l’État hélas trop peu connue». Et de rappeler que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est la deuxième de France, juste après Paris «son activité équivaut à celle cumulée des Cours d’Appel de Lyon et Versailles». «Le Premier Président, poursuit-elle, est un pair parmi ses pairs, mais son activité change, il a des fonctions élargies en matière d’administration de l’institution judiciaire» ce qui conduit le chef de Cour «à être de plus en plus un gestionnaire». D’insister sur le fait que le rôle du chef de Cour est également d’assurer le développement de l’accès du droit aux plus démunis.
Michèle Teboul, la présidente du Crif signifie: «Chaque jour les juifs se lèvent citoyens et, très vite, sont renvoyés à leur judaïcité alors que leur souhait est de vivre en tant que citoyen français. Le problème, comme l’écrivait Jean-Paul Sartre : « Nous sommes juifs dans le regard de l’autre »».
Jocelyn Zeitoun, conseiller régional PS avance: «Je suis un républicain, de gauche, mais je dois avouer qu’aujourd’hui je me pose la question de savoir s’il ne faut pas remettre en cause les lois de notre République. Certes, on ne peut aller vers un pouvoir autoritaire mais il faut prendre des mesures, légiférer pour éviter que les terroristes reviennent sur le territoire national. Peut être, faut-il leur enlever la nationalité et je le dis avec beaucoup de douleur. La guerre en cours n’est pas menée que contre les juifs mais contre tous les citoyens qui veulent la liberté». Et Michèle Teboul d’ajouter: «Est-ce que Guantánamo est efficace? Ne faudrait-il pas parquer des personnes jugées dangereuses?».

«Mon rôle est d’appliquer la Loi dans sa rigueur et sa mansuétude»

La Magistrate comprend les questions dans le contexte actuel mais, rappelle-t-elle: «Mon rôle est d’appliquer la Loi dans sa rigueur et sa mansuétude, je ne fais pas la Loi, je ne suis pas parlementaire». Elle invite à se méfier de la tendance «à vouloir répondre à un événement par une Loi ». Elle propose de repenser «aux fondateurs de nos Lois. Ces grands juristes ont eu l’intelligence de concevoir des textes qui ont tradition à traverser les siècles.» Et de poursuivre par l’adage: «Trop de lois tuent la loi».
Le constat est fait que des auteurs d’attentats étaient connus des services de police, ne pouvait-on les surveiller ? «Nous sommes dans un État de Droit. La surveillance des individus s’inscrit dans un cadre légal».
Clément Yana, pour sa part, met en exergue ce qui se passe sur les réseaux sociaux: «J’ai l’impression que nous sommes démunis devant l’émergence des réseaux sociaux, des messages qu’ils véhiculent». La Première Présidente assure: «Nous travaillons sur la cybercriminalité, nous disposons pour cela de cellules spécialisées».
Me Isidore Aragones s’interroge à son tour : «Comment faire face à des gens qui n’attendent plus rien, qui sont déterminés à détruire?». Et émet quelque inquiétude: «Le jour des assassinats à Charlie Hebdo, un homme est condamné pour insultes à un rabbin à un an de prison dont 6 mois ferme. N’est-ce pas excessif ? Cela ne va-t-il pas provoquer encore plus d’antisémitisme?».
Pour Chantal Bussière: «Nous appliquons la Loi mais c’est une activité humaine, il y a toujours une part de subjectivité. Et il existe toujours une possibilité d’appel. Mais, la peine est le résultat de la gravité des faits et du contexte dans lequel ils ont eu lieu».
Le Pr.Hagay Sobol avoue être interpellé: «On parle d’acte d’un déséquilibré à propos de l’agression de Nice contre des soldats et, à propos du cimetière de Sarre, un magistrat a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un acte raciste».
La Première Présidente souligne que les faits ne sont pas absous. «Concernant Nice, précise-t-elle, c’est le Parquet antiterroriste de Paris qui a pris la main et en ce qui concerne les auteurs des profanations des tombes, ils répondront de leurs actes en Alsace».
Avec un sens avéré de la formule, Me Gérard Bismuth estime: «On peut faire partie d’une espèce menacée et rester un avocat, considérer qu’il est très important de garder les valeurs de la République. En Israël la menace terroriste est constamment présente et ce n’est pas pour autant que l’on y trouve une justice d’exception». «Nous avons un arsenal judiciaire suffisant pour protéger la société», insiste-t-il. Et à son tour de s’inquiéter «de l’anonymat dans lequel sont véhiculées des idées sur internet».
La dernière question se veut directe: «Si vous étiez juive auriez-vous peur de rester en France ? ». La réponse fuse : «Non, parce que je ne céderais pas au terrorisme».
Michel CAIRE

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