Cyrille Thouvenin : « Je ne peux choisir entre le cinéma et le théâtre. Disons que le théâtre me paraît indispensable et le cinéma me manque ». Rencontre exclusive avec un des comédiens les plus doués de sa génération

Publié le 30 juillet 2020 à  8h18 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h53

Cyrille Thouvenin:
Cyrille Thouvenin:

«J’ai tourné « Juste une question d’amour » voilà vingt ans. Ce téléfilm est passé à l’époque une seule fois sur France 2. Peut-être qu’il n’y a pas eu beaucoup de rediffusions depuis. Il y a certes eu une sortie en DVD, mais je pense que l’impact est marginal. Eh bien il n’y a pas un jour depuis sa sortie en 2000 sans qu’on m’en parle. Dans la rue des gens m’arrêtent encore maintenant, et me témoignent de leur enthousiasme ou de leur émotion. J’ai des messages quotidiens sur les réseaux sociaux, cela me touche infiniment, et je trouve ça incroyable que ce ne se soit jamais arrêté depuis deux décennies». Même son de cloche d’ailleurs chez Eva Darlan la mère de Cédric, l’amant de Laurent dans le film, qui n’en revient toujours pas de l’empreinte de «Juste une question d’amour» sur le public, qui eux aussi lui en parlent régulièrement. A quoi Cyrille Thouvenin attribue-t-il d’ailleurs l’impact de ce téléfilm réalisé par Étienne Faure avec qui il avait déjà travaillé sur «In-extremis » ? « Je ne sais pas trop, répond-il, sans doute le sujet, une histoire d’amour entre deux hommes vécue contre l’entourage immédiat de Laurent le personnage que j’incarne. C’était peu fréquent à l’époque de voir traiter pareil thème, et à la télévision de surcroît. Cela faisait souffler finalement un vent de liberté que l’on parle librement de l’homosexualité. Nous formions aussi avec Stéphan Guérin-Tillé qui incarnait Cédric, un duo qui fonctionnait au millimètre. Une autre des recettes du succès du film.»

L’art de faire respirer les silences

Trop modeste en tout cas, on précisera d’emblée que la grande force du film tient justement dans la qualité de jeu des deux interprètes principaux. Stéphan Guérin-Tillié y est parfait, et Cyrille Thouvenin poignant d’authenticité. Il crève l’écran par un jeu sobre et puissant (sa marque de fabrique), mais il est également remarquable dans son art de faire respirer les silences. Un regard, un geste comme suspendu dans le développement du récit, Cyrille Thouvenin s’impose d’emblée dès qu’il apparaît sur l’écran comme à la scène. Cyrille Thouvenin affirme aussi qu’il est avant tout un travailleur acharné. Il n’empêche ! L’acteur né le 15 mai 1976 à Mont-Saint-Martin en Meurthe-et-Moselle qui a fait ses classes au Cours Florent avant d’être diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, fut absolument prodigieux dans toutes les productions auxquelles il a participé. Notamment dans la pièce «Kalashnikov» de Stéphane Guérin (qui n’a rien à voir avec son partenaire de « Juste une question d’amour), créée en mai 2013 au prisme d’Etancourt, reprise au Théâtre des 13-vents à Montpellier, puis au Théâtre du Rond-Point à Paris, dans la mise en scène audacieuse de Pierre Notte.

«Kalashnikov» de Stéphane Guérin

«Devant une télévision qui représente tout leur univers, le Père et la Mère attendent le retour de l’Enfant, soldat en Afghanistan, qu’ils n’ont pas vu et ne verront jamais grandir, obnubilés par les séries et les pubs des années 1980 et leurs petites misères quotidiennes. À son retour, le seul interlocuteur capable d’aider le fils à se libérer de cette mort sur canapé qui a sclérosé ses parents est le Trans, figure de l’oracle et de la vérité». Voilà le résumé de ce drame tel que le présentèrent à sa création les instigateurs du projet. Cyril Thouvenin incarne l’enfant qui conclut le drame dont le dernier mot prononcé par le Trans est « horreurs» par ces paroles troublantes : «À perdre sa vie on gagne en lumière, et maintenant je n’ai plus rien à raconter, et je n’ai plus rien à dire j’ai fabriqué des cadavres.» Il y est tellurique, essentiel, inoubliable autant radical que le texte lui-même.

Acteur caméléon

Comédien caméléon « mais, dit-il, n’est-ce pas le propre de l’acteur ?», Cyrille Thouvenin peut passer avec une égale aisance du drame («La confusion des genres» qui lui valut une nomination aux César du meilleur espoir masculin 2001, «Vincent River », mis en scène par Jean-Luc Revol, au Théâtre du marais en 2005, «Hamlet» donné au Château de Grignan en 2011 toujours mis en scène par Revol, à la comédie dans «Le jeu de l’amour et du hasard» mis en scène par Catherine Hiegel où il incarnait Mario, aux côtés de Vincent Dedienne, et Clotilde Hesme.

« Mon plus grand bonheur de comédien ?…. avoir joué avec Robert Hirsch »

Quand on demande à Cyrille Thouvenin si ses grands souvenirs de théâtre sont ceux qu’il a eu en tant que spectateur ou en tant qu’acteur, il répond qu’il n’est pas un très bon spectateur au théâtre mais que sans hésiter pour lui son plus grand bonheur de comédien sur les planches fut d’avoir joué avec Robert Hirsch. «C’était au théâtre de l’Oeuvre en 2006 dans la pièce « Le gardien » de Pinter mise en scène par Didier Long. Ce fut merveilleux. Robert Hirsch était un homme délicieux, courtois, chaleureux, amical. Et puis reconnaissez-le quel bonhomme sur les planches ! Un souvenir inoubliable ». Quant à savoir comment il choisit ses rôles Cyrille Thouvenin insiste sur le fait que «ce sont plutôt eux qui m’ont choisi et, c’est par le cinéma que je suis arrivé au théâtre. Je me suis alors retrouvé à aimer le théâtre sans en connaître rien, moi qui adorais David Lynch ou les films de Bertrand Blier. Cela s’est alors imposé à moi je ne me suis jamais battu pour un rôle et aujourd’hui je ne peux choisir entre le cinéma et le théâtre. Disons que le théâtre me paraît indispensable et que le cinéma me manque».

«J’aime les metteurs en scène qui ont un point de vue, et j’ai eu un bonheur fou à jouer dans le « Notre-Dame de Paris » conçu par Gaspard Legendre.

«Je n’aime guère la tiédeur, aime à répéter Cyrille Thouvenin. J’affectionne les metteurs en scène qui ont un point de vue tels que Jean-Luc Revol sur « Vincent River », je n’avais pas l’impression d’aller bosser, ou Catherine Hiegel qui a renouvelé Marivaux. Et j’attends d’un metteur en scène qu’il bosse autant que moi», ajoute-t-il, non sans humour. «Aussi j’ai été fou de joie de participer à l’aventure de « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo dans la nouvelle adaptation de Paul Stebbings, mise en scène par l’étonnant Gaspard Legendre. J’y joue Phoebus, dans une production alliant textes, musiques et chorégraphie d’Eric Tessier-Lavigne où le style est audacieux. C’est Gaspard qui est venu me proposer de participer à ce projet et il était d’une telle vitalité que j’ai accepté immédiatement . Et d’une manière générale, là ce fut encore le cas, je demeure au plus proche de ce que ressent le personnage que j’incarne. Je n’imagine pas avoir un accident de voiture quand je joue un type qui a un accident de voiture. Je n’en ai pas besoin, et je colle au texte avec une grande rigueur », explique-t-il.

« J’ai en matière de cinéma des goûts très éclectiques »

«Le cinéma tient une grande place dans ma vie, insiste-t-il, durant le confinement, par exemple, je me suis fait une cure de classiques un par jour, et découvert des chefs-d’oeuvre. De tous les styles, car j’ai des goûts cinématographiques très éclectiques. Cocteau, Chabrol, Godard, dont j’aime l’ego, Blier, Emmanuelle Bercot, j’ai joué en 2002 dans son court-métrage «Quelqu’un vous aime», David Lynch, tous les cinéastes que j’aime ont des obsessions, et j’aime les suivre dans cette voie-là. J’aime aussi jouer dans des films à costumes et j’ai interprété deux rôles dont l’action se déployait durant la 1ère Guerre mondiale. A savoir «Les Fragments d’Antonin», réalisé par Gabriel Le Bonnin, -produit en 2005 et sorti en France en 2006- et «Les âmes grises» d’Yves Angelo en 2005. Cela m’a psychologiquement éprouvé, car les rôles laissent des traces en moi généralement . Et puis j’ai eu le privilège de jouer dans « Eddy » avec Philippe Noiret. Encore un grand monsieur… »

Une lecture en enregistrement de Hervé Guibert qui impressionna Jean-Louis Trintignant

On peut dire aussi de Cyrille Thouvenin qu’il possède une voix reconnaissable entre mille et qui s’impose par sa netteté, sa profondeur et son élégance. Pour preuve cet enregistrement d’extraits de textes consacrés à la photographie par Hervé Guibert, dans un livre-CD intitulé «Hervé Guibert, l’écrivain photographe» où Cyrille Thouvenin lit des textes aux côtés de Juliette Gréco, Anouk Grinberg, et Jean-Louis Trintignant, sur une musique originale de Dominique A. Dans le livret, Vincent Josse, avec la complicité de Serge Roué, propose un éclairage sur l’expérience photographique de l’écrivain. Les textes sont ponctués de reproductions de sept photographies d’Hervé Guibert avec l’aimable autorisation de Christine Guibert. Cyrille Thouvenin y est si impressionnant qu’il suscita l’admiration de Jean-Louis Trintignant qui déclara que «c’était exactement comme ça qu’on devait lire Guibert.» Le comédien en fut touché, prit cela avec sa modestie légendaire et ajouta non sans fierté que «ce n’était pas rien d’enregistrer en face de Trintignant et… Juliette Gréco… ».

Des projets d’écriture

Fou de lecture, Cyrille Thouvenin aime également écrire. « La loi du talion» un seul en scène de Sandrine Saroche co-écrit avec la comédienne, et Stéphane Guérin qu’il a mis en scène avec ce dernier justement, sur une musique de François Bernheim. Ou encore il coécrit et met en scène le spectacle «Laurent Lafitte, comme son nom l’indique» joué au palais des Glaces et au Théâtre des Mathurins. Il s’attelle depuis le confinement à son propre seul en scène sur des textes extraits de «La supplication» chroniques du monde après l’apocalypse, un récit et essai de la journaliste et écrivaine biélorusse Svetlana Aleksievitch, lauréate du prix Nobel de littérature en 2015, consacré à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl survenue en 1986. «C’est un chef d’oeuvre que je voudrais porter sur les planches, dit Cyrille Thouvenin, mais en ce moment tous les théâtres sont à l’arrêt. C’est un peu compliqué. J’ai pourtant bon espoir de faire aboutir ce projet». En plus d’être inventif et plein d’énergie positive Cyrille Thouvenin est un authentique optimiste. Lucide et déterminé. A l’image de ce qu’il entreprend en tant qu’exceptionnel acteur.
Jean-Rémi BARLAND

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