Disparition de Jean-Claude Carrière : un homme de plume artisan de l’écrit s’en est allé…

Publié le 10 février 2021 à  23h10 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  14h55

Jean-Claude Carrière qui vient de s’éteindre dans son sommeil était l’élégance même. Tout comme Henri Gougaud, dont l’écriture humble peut se rapprocher de la sienne, il se définissait lui aussi comme un conteur. Et quelle plume !

© Jean-Claude Carrière
© Jean-Claude Carrière

Rencontre en 1957 avec Jacques Tati et Pierre Etaix

L’intelligence de cet homme cultivé né dans une famille de viticulteurs à Colombières-sur-Orb et qui pratiqua le bilinguisme occitan-français, le conduisit vers l’École normale supérieure de Saint-Cloud, une maîtrise d’Histoire et le dessin puis l’écriture. Sa rencontre en 1957 avec Jacques Tati et Pierre Etaix au moment où il publia son premier roman intitulé «Lézard» l’engagea sur les chemins des courts et longs métrages. Bien qu’il soit l’auteur d’un très grand nombre de scénarios, Jean-Claude Carrière doit une partie de sa renommée à sa collaboration avec le cinéaste Luis Buñuel. Celle-ci débuta en 1964 et va durer près de 20 ans, jusqu’à la mort du réalisateur. La première fois qu’ils travaillèrent ensemble ce sera sur l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau «Le Journal d’une femme de chambre».

Cinq autres films suivront dont «Belle de jour» d’après Kessel, et «Le charme discret de la bourgeoisie» une satire joyeuse qui permit au tandem Buñuel et Carrière d’obtenir une nomination pour l’oscar du meilleur scénario original, fait assez rare pour un film français. Scénariste hors pair, Jean-Claude Carrière travailla avec Forman mais on lui doit aussi des merveilles de films noirs comme «Borsalino» et «La piscine » de Jacques Deray, cinéaste avec qui il travailla sur «Un peu de soleil dans l’eau froide » d’après Sagan, «Un homme est mort », et surtout « Un papillon sur l’épaule» qui offre une stupéfiante plongée dans la Barcelone des espions avec dans le rôle principal un prodigieux Lino Ventura, sans oublier le moins connu mais magnifique «Credo» du même Deray. Côté scénario n’oublions pas «Le tambour» de Schlondorff, «Le retour de Martin Guerre », César du meilleur scénario 1982, et un «Danton» de Wajda d’une vaste ambition.

Son autre maison c’est le Théâtre

Scénariste, on l’a dit, auteur on le rappelle, Jean-Claude Carrière était également un formidable adaptateur pour le théâtre. «Harold et Maude» traduit et mis au théâtre pour Barrault-Renaud d’abord, Darrieux ensuite et Line Renaud-Thomas Solivéres, c’est de lui ! De cette rencontre entre deux personnages que tout oppose : Harold, jeune homme de dix-huit ans, et Maude, jeune idéaliste de quatre-vingt ans, Jean-Claude Carrière dira : «C’est l’histoire d’un jeune homme qui simule des suicides pour montrer le mal-être qu’il éprouve dans sa famille et qui rencontre une femme qui se suicidera vraiment.» Et d’ajouter quand Gilles Costaz lui demanda si l’auteur doit, ou non, comme Harold se connaître lui-même pour écrire ses œuvres : «J’ai toujours pensé que la formule socratique « connais-toi toi-même » est une imposture. L’auteur devant ouvrir en lui toutes les portes inconnues.» Beau credo pour, au final, offrir, avec plus de textes aux personnages que dans le film, une comédie dramatique puissante et émouvante sur la vie qui, s’emballant transforme le simple quotidien pour en faire un moment drôle et extraordinaire. Pareil pour «La terrasse», et toutes ses adaptations de Shakespeare pour Peter Brook, un de ses metteurs en scène de prédilection.

Une Controverse et une Audition toutes deux sublimes

Mais parler de Jean-Claude Carrière c’est immanquablement parler de son amour de la littérature (il prit part en 2005 à la Fondation de la Société des amis de Victor Hugo, et imagina une conversation avec jean-Jacques Rousseau), ainsi que de ses lectures très personnelles de «Cyrano de Bergerac», «Le Roi des Aulnes», «Le rêve mexicain» de Le Clézio, ou encore «L’insoutenable légèreté de l’être» avec une succession chez lui de manières de briser le réel pour offrir des textes poétiques comme « Le client » proche de Harold Pinter ou «Les mots et la chose » avec Jean-Pierre Marielle et Agathe Natanson dans une mise en scène de Daniel Bedos. Et summum de force et de virtuosité «La controverse de Valladollid» 1992 pour le roman et 1999 pour la pièce mise en scène de jacques Lassalle avec Jacques Weber et Lambert Wilson, pour laquelle il déclara : «La vérité que je cherche dans le récit n’est pas historique, mais dramatique». Beau plaidoyer pour le mentir-vrai romanesque qui nous plonge ici dans un couvent en 1550 qui va débattre d’une question fondamentale : «Les Indiens du Nouveau Monde sont-ils des hommes comme les autres ?»

On connaît le film qu’on en tira et attachons-nous à vanter les mérites de «Audition», pièce créée le 9 février 2010, soit il y a 11 ans jour pour jour, avec Jean-Pierre Marielle Manu Payet, Roger Dumas, Audrey Dana, et Hubert Saint-Macary dans une mise en scène très inspirée de Bernard Murat. Là encore, deux hommes se rencontrent et se jaugent, s’affrontent finalement, dans une salle d’attente d’une audition de théâtre, avec l’intrusion du diable en personne, pour une réflexion sur l’acteur, et son rôle, où le personnage un peu comme chez Pirandello devient l’enjeu d’une comédie épicée.

Aux Écrivains du Sud invité de Paule Constant

Ce qui frappait enfin quand on rencontrait Jean-Claude Carrière, présent à Aix-en-Provence par exemple au Festival des Écrivains du Sud, aux côtés des deux astrophysiciens auteurs de «Conversations sur l’invisible», paru en 1988 chez Belfond, qui fut un succès de librairie. Les astrophysiciens s’appelaient Jean Audouze et Michel Cassé et Jean-Claude Carrière, mêla sa plume à la leur pour se retrouver en 2017 pour échanger sur l’avancée des connaissances dans le domaine astrophysique, en faisant paraître chez Odile Jacob un ouvrage intitulé «Du nouveau dans l’invisible».

«J’ai été très heureuse d’accueillir Jean-Claude Carrière à Aix » confie très émue Paule Constant, l’âme littéraire des Écrivains du sud. «C’était un débat passionnant auquel il participa avec Jean Audouze et Michel Cassé car c’était un philosophe qui interrogeait des savants sur l’univers. Le rendu étant d’une grande poésie. Les trois conférenciers ne souhaitant nous expliquer ce qu’était le monde que par l’onirisme. J’ai été très impressionnée par cet homme, auteur et dramaturge, compagnon de route des plus grands cinéastes. Est-ce lui qui les a choisis d’ailleurs et pas l’inverse ? On peut se poser la question. Avec Jean-Loup Dabadie, un être exceptionnel dont je partageais l’amitié, Jean-Claude Carrière fut l’écrivain du 7e art qui m’a le plus éblouie. Tous deux sont partis…. mais leurs œuvres demeurent.» On ne saurait mieux conclure.
Jean-Rémi BARLAND

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