Dossier de Gilbert Dulac. Coupe du Monde au Qatar : au nom du fric et du marketing

Publié le 16 novembre 2022 à  11h55 - Dernière mise à  jour le 21 novembre 2022 à  9h35

La FIFA organise du 20 novembre au 18 décembre, la 22e coupe du monde de football dans cette monarchie du Golfe Persique qui n’a aucune culture sportive et footballistique. Explications.

Logo officiel de la Coupe du Monde au Qatar
Logo officiel de la Coupe du Monde au Qatar

C’est l’histoire d’un dîner sous les ors de l’Élysée où tout s’est joué le 23 novembre 2010. Selon une enquête présentée par l’émission « Complément d’enquête » et la cellule d’investigation de Radio France, les dirigeants français auraient joué un rôle central dans l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, avec une réunion à l’Élysée qui aurait tout fait basculer.

Alors que l’État qatari «avait le plus mauvais dossier», selon Sepp Blatter, Président de la FIFA, la France et Nicolas Sarkozy sont parvenus à inverser la tendance. En échange du soutien présidentiel, le pouvoir français de l’époque aurait proposé au Qatar le rachat du Paris Saint-Germain, la vente d’avions de combat Rafale ainsi que différents contrats concernant les investissements qataris en France.

Durant ces négociations sept personnes étaient présentes : le Président de la République Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, Sophie Dion (la conseillère des Sports du chef de l’État), Tamim Ben Hamad Al Thani (héritier et désormais à la tête de l’Émirat), Hamad Ben Jassem Al Thani (ministre des Affaires étrangères du Qatar), une interprète et Michel Platini. L’ancien président de l’UEFA et vice-président de la FIFA aurait, toujours selon Complément d’enquête et la cellule d’investigation de Radio France, été la passerelle entre les aspirations franco-qatariennes et le vote final.

Trouvant la candidature du Qatar « loufoque » et se tournant plus vers l’Angleterre (pour le Mondial 2018) et les États-Unis (pour le Mondial 2022), Platini s’est finalement laissé convaincre par Sarkozy et aurait fait tout son possible pour influencer le vote des fédérations européennes. Douze ans après, Platini nie, toujours avec fermeté, l’influence de Nicolas Sarkozy dans sa prise de décision.

Sarkozy, avocat du Qatar

Dans une longue interview accordée au Journal du Dimanche le 23 octobre dernier, l’ancien Président de la République défend l’organisation de la Coupe du Monde au Qatar. Il estime que « le football est un sport universel et chaque région du monde doit pouvoir organiser une compétition internationale», explique Nicolas Sarkozy qui siège au conseil d’administration d’Accor dont le Qatar est actionnaire. L’ancien Président souvent présent au Parc des Princes où joue le PSG, propriété de l’émirat, déclare que «le ballon rond n’appartient pas qu’aux Occidentaux, qu’ils soient Français, Anglais, Italiens ou Américains.»

Voilà comment un État qui compte trois millions d’habitants et a une superficie de 11 586 kilomètres carrés va organiser le deuxième plus grand événement sportif de la planète après les Jeux Olympiques.

6 500 morts sur les chantiers

Le premier pays arabe à organiser l’événement est critiqué par Amnesty International et d’autres ONG pour le traitement des travailleurs étrangers, de la communauté LGBTQ et des Femmes. Une loi interdit l’homosexualité au Qatar. Plusieurs pays qualifiés pour la compétition comme le Danemark ont dénoncé le non respect des droits de l’Homme dans cette monarchie du Golfe Persique. La France n’a pas appelé au boycott mais les déclarations hypocrites de la Fédération française de football et du gouvernement se sont succédé avec la langue de bois. Un footballeur professionnel est un citoyen comme les autres. Il a le droit d’avoir des opinions qu’il peut exprimer dans la presse avant ou pendant la compétition. Il ne doit pas rester silencieux devant la réalité du pays où il joue.

En 1978, la Coupe du Monde était organisée par l’Argentine dirigée par une dictature de généraux dont le président était Videla. L’équipe de France entraînée par Michel Hidalgo n’était pas allée en Argentine avec des œillères.

Pas de brassard arc-en-ciel mais un soutien financier aux ONG.

Comme promis par Hugo Lloris, lundi dernier, en conférence de presse, les joueurs de l’Équipe de France ont présenté la manière avec laquelle ils allaient agir pour la défense des droits humains pendant la Coupe du monde, après plusieurs discussions et des hésitations.

L’association Génération 2018, créée après le sacre mondial en Russie, a publié une lettre qui associe les 26 joueurs retenus pour le Mondial ainsi que le staff, ce mardi, et dans laquelle ils annoncent le versement de dotations aux organisations non gouvernementales engagées dans les droits de l’homme.

Le 29 octobre, après la publication d’une vidéo des joueurs de l’Australie qui joueront le premier match de la Coupe du monde face aux Bleus le 22 novembre, le Qatar a répondu sur les critiques évoquées par la sélection des « Socceroos » expliquant qu’«aucun pays n’est parfait». «Nous avons réalisé tous les efforts possibles pour nous assurer que cette Coupe du monde va améliorer la vie des gens», a répondu un porte-parole du comité organisateur. «Protéger la santé, la sécurité et la dignité de chaque travailleur contribuant à cette Coupe du monde est notre priorité.»

On peut vraiment en douter quand une enquête du quotidien britannique The Guardian publiée en février 2021 révèle que la construction des stades aurait causé la mort de 6 500 ouvriers étrangers. The Guardian est un journal sérieux qui fait autorité. Les journalistes vérifient leurs sources avant la publication des informations. Sur la base de données en provenance d’Inde, du Bangladesh, du Népal et du Sri Lanka, ainsi que de chiffres émanant de l’ambassade du Pakistan au Qatar, le journal arrivait à la conclusion que 5 927 ouvriers originaires des quatre premiers pays cités et 824 du dernier sont morts sur les chantiers qataris entre 2010, date d’attribution du Mondial à l’émirat, et 2020.

Le Guardian précisait aussi que le bilan total était en réalité « bien plus élevé » puisqu’il n’incluait pas les décès d’ouvriers originaires d’autres pays, «dont les Philippines ou le Kenya», également très pourvoyeurs de main-d’œuvre pour les pays du Golfe. Le Qatar emploie quelque 2 millions de travailleurs migrants, soit près de 90 % de sa population totale. « Les morts des derniers mois de 2020 ne sont pas non plus inclus», concluait l’article, tout comme ceux de 2021 et 2022.

Le Qatar et la FIFA dans le déni

Depuis la publication de ces chiffres par le quotidien britannique, la FIFA et le Qatar minimisent ce bilan. En janvier 2022, l’Italien Gianni Infantino, le puissant patron de la FIFA, expliquait devant le Conseil de l’Europe que ce chiffre de 6 500 morts « était simplement faux ». Il assurait que seules trois personnes avaient perdu la vie sur les chantiers qataris. Un chiffre semblable à celui des autorités locales qui annoncent 37 morts dont 34 non liées au travail.

Salaires non payés

Le non-paiement des salaires constitue la «principale plainte» des travailleurs migrants auprès du ministère qatari du Travail, selon deux rapports de l’Organisation internationale du travail (OIT) publiés mardi 1 novembre.

Le nombre de plaintes a «plus que doublé», atteignant 34 425 entre octobre 2021 et octobre 2022, grâce au lancement en 2021 d’une plateforme de dépôt de plainte en ligne comprenant un canal de dénonciation anonyme, selon ces rapports qui exhortent le Qatar à «continuer à œuvrer pour le plein respect des normes internationales du travail». On est loin des satisfécits que s’attribue le comité d’organisation.

Le Qatar rejette aussi les appels d’ONG à la création d’un fonds d’indemnisation pour les migrants travaillant sur les chantiers de la Coupe du monde de football dans le riche État du Golfe, a déclaré son ministre du Travail à l’AFP dans un entretien exclusif publié mercredi 2 novembre.

Ali Ben Samikh Al-Marri qualifie ces appels d’ONG de «coup de communication», déplorant par ailleurs le fait que diverses organisations et certains pays tentent de «discréditer le Qatar» des affirmations délibérément «trompeuses» et parfois «motivées par le racisme». Les dirigeants qataris sont inquiets car chaque journée de la Coupe du monde de football sera suivie par 1,5 milliard de téléspectateurs dans le monde.

Une aberration écologique

Pourquoi avoir décidé d’organiser l’un des événements sportifs les plus médiatisés au monde dans un pays où la chaleur est écrasante ? Paradoxalement, les spectateurs qui iront suivre les matchs dans les stades devront se couvrir contre le froid puisque la quasi-totalité d’entre eux sont climatisés et à ciel ouvert.

En été, le thermomètre peut atteindre jusqu’à 50 degrés au Qatar, plus petit État du Golfe. Les organisateurs ont décidé de décaler la compétition, qui se tient habituellement au début de l’été, en fin d’année, du 20 novembre au 18 décembre.

En dépit de températures plus clémentes à cette saison (entre 19,5 et 29,5 degrés en moyenne en novembre et 15 et 24,1 degrés en décembre). Ce pays est l’un des principaux exportateurs de gaz au monde et détient le record mondial d’émissions de CO2 par habitant.

Selon le Daily Mail, l’aéroport international Hamad à Doha ne serait pas prêt à faire face à l’afflux massif de supporters à cause d’un manque de personnel qualifié. Une campagne de recrutement urgente a été lancée avec une formation accélérée. Le nombre de vols quotidiens passera de 700 à 1 600. Ces informations inquiétantes ont été confirmées par L’Equipe dans son édition du 11 octobre.

Deux gros contrats pour TotalEnergies

Dix mille supporters français assisteront au Mondial-2022 et 300 représentants des ministères français de l’Intérieur et de la Défense asureront la sécurité de l’événement au Qatar, a annoncé l’ambassadeur de France Jean-Baptiste Faivre lors d’une interview récente sur la chaîne de télévision sportive locale Al-Kass.

L’ambassadeur a évoqué des «idées préconçues» sur le Qatar dans l’Hexagone. «Il faudrait plus d’équilibre, et c’est pourquoi je suis ici», indique-t-il avant d’insister sur la qualité du «partenariat» entre les deux États. «Bien sûr, le Qatar est connu comme un partenaire économique car les investissements et les contrats sont synonymes d’emplois et de croissance en France, mais les relations entre le Qatar et la France vont bien au-delà», a-t-il dit. Le groupe français TotalEnergies a notamment signé cette année deux importants contrats avec l’émirat pour le développement du plus grand champ de gaz naturel au monde, le North Field.

Depuis 2010, année de l’attribution de la Coupe du Monde au Qatar, tous les éléments sont réunis pour satisfaire cette monarchie du Golfe Persique qui ne respecte pas les droits de l’homme et privilégie les millions de dollars reçus avec des gros contrats signés.
Gilbert DULAC

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