Entretien. Dr Sofiane Benhabib, PDG de Synlab Provence : « L’accès au dépistage est à prioriser pour faire face à la crise sanitaire »

Publié le 20 octobre 2020 à  20h06 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h14

Le 29 septembre 2020, le groupement Synlab Provence a ouvert un grand centre de dépistage, hors les murs de ses laboratoires d’analyses médicales, au niveau 0 du parking du centre commercial Grand Littoral (16e arrondissement) à Marseille. D’une superficie de 150 m², avec un rendu de résultats sous 48 heures maximum, le centre a pour vocation de faciliter l’accès aux soins, notamment en direction des habitants des quartiers Nord de Marseille, via une filière piéton ou une filière voiture. Le Dr Sofiane Benhabib, PDG de Synlab Provence, qui compte 65 laboratoires d’analyses médicales dans Bouches-du-Rhône, Vaucluse et Alpes-de-Haute-Provence dresse un bilan de la crise sanitaire. Entretien. [[En raison de l’évolution de la situation sanitaire, il est à noter que cet entretien a été réalisé le vendredi 9 octobre 2020.]]

Le Dr Sofiane Benhabib © Synlab Provence
Le Dr Sofiane Benhabib © Synlab Provence

Destimed : Docteur Sofiane Benhabib, comment est née l’idée de mettre en place un premier centre de dépistage dans les quartiers Nord de Marseille ?
Cette idée de centre que j’ai voulu pousser au tout début du mois de septembre découle de plusieurs constats observés. Nos sites de laboratoires de biologie ont connu une affluence record en août, un peu plus en septembre, et force est de constater qu’ils n’étaient pas dimensionnés et calibrés en termes de locaux et ressources humaines pour pouvoir accueillir autant de monde. Nos équipes ont résisté et ont fait face à la crise sanitaire tant bien que mal, mais les conditions ne pouvaient pas rester en l’état trop longtemps. On ne pouvait pas rester dans ce dispositif, avec des files d’attente de plusieurs heures, dans lesquelles le plus souvent ne pouvaient pas être respectées les distances de sécurité et gestes barrières. Je me disais, dans le fond, que des patients prenaient le risque peut-être de se faire contaminer dans ces conditions en venant se faire dépister. Sans compter qu’il fallait penser à une météo qui allait changer un peu plus la donne à partir de septembre. Il n’était plus possible de faire attendre les personnes sous la pluie, dans le froid. C’est un premier constat que je dressais, lié aux infrastructures.

Comment a été actée la décision de sortir de vos murs pour aller davantage à la rencontre des gens désireux de se faire tester ?
J’ai mené une réflexion avec mes collaborateurs, avec le directoire de Synlab Provence. On s’est dit qu’il fallait impulser du «hors site», dans le but d’aller créer un espace ailleurs, pour mieux penser l’accueil des patients. Cela passait par un positionnement dans un lieu stratégique du territoire, pour pouvoir accueillir des patients dans des filières à la fois voiture et piéton, avec un temps d’attente réduit pour accéder au prélèvement et avoir ses résultats. Il fallait réfléchir à une infrastructure légère et éphémère. Pour gérer les flux dans ce sens, nous avons développé un portail spécifique –provence.synlab.fr– qui permet aux patients de prendre rendez-vous, de choisir la filière, le créneau horaire. Je le répète, un tel centre nous a permis réellement de pouvoir gérer les flux de patients. Nous remarquons sur le terrain que les gens préfèrent la filière voiture, car ils disent s’y sentir chez eux, dans une situation plus confortable, rassurante, pour pouvoir bénéficier du prélèvement.

En matière d’infrastructures à penser ou repenser pour accueillir les personnes, comment s’est déroulé le travail consenti par vos équipes depuis les derniers mois ?
Dans le but de raccourcir le délai de rendu des résultats, on devait augmenter nos capacités d’analyse, de réalisations de tests. Il s’en est suivi la création d’un service dédié de biologie moléculaire avec un recrutement spécifique, la mise en place de machines dans ce sens, pour pouvoir traiter, dès début septembre, 3 000 prélèvements par jour. Et cela est en train de monter progressivement pour pouvoir absorber l’augmentation de la demande. Début septembre, toujours, je me suis dit que tout cela ressemblait à une course contre-la-montre, et que seul le dépistage pouvait lutter contre la diffusion de ce virus. Le 25 juillet, le président Macron avait parlé de l’accès au dépistage en l’ouvrant de la manière la plus large possible. Nous sommes du même coup tombés dans une situation où nous avons reçu, sans discernement, un public massif. A la question de savoir comment faire pour optimiser, augmenter notre efficience, j’ai poussé pour dire : autant viser davantage les personnes qui ont le plus de chances d’être infectées, afin de casser les chaînes de transmission. D’où l’idée de priorisation, en disant que le dépistage restait ouvert à tous, mais que tout le monde devait comprendre qu’il serait bénéfique pour la collectivité de prioriser les personnes qui avaient le plus de chances d’être infectées.

Vous avez milité pour que le médecin traitant retrouve ses prérogatives en reprenant son rôle de régulateur. Qu’entendez-vous signifier par là ?
En ouvrant un accès aussi large au dépistage, de facto, le médecin traitant a été privé de ses prérogatives. En l’ouvrant de manière aussi large, mon idée est de dire que dans toute cette population qui demande à pouvoir bénéficier d’un test, quelqu’un peut réguler et hiérarchiser les demandes ; c’est le médecin traitant. La personne qui venait dans nos centres avec une ordonnance était priorisée, et c’était assez facile de l’expliquer aux autres personnes qui attendaient. Autre idée forte : qui dit crise sanitaire dit crise économique. Je disais dès le départ, en mars, qu’il y avait un ordre des choses à observer. A savoir qu’il y a une crise sanitaire et aussi la volonté de faire redémarrer une économie. Les deux nécessitent de consommer des tests de dépistage, car pour reprendre son travail, il faut faire un test. Pour prendre l’avion, vous avez besoin d’un test. A côté de cela, vous avez des cas contacts, et vous avez encore besoin d’un test. En effet, le système de santé doit assurer ces deux missions : lutter contre la crise sanitaire et permettre la reprise économique. Sauf que cela doit se faire dans cet ordre-là ! Dans le sens où l’accès au dépistage est à prioriser pour faire face à la crise sanitaire. Parce que faire face à la crise sanitaire et lutter contre la diffusion du virus permettra la reprise de l’activité économique, alors que l’inverse n’est pas vrai.

Concernant les différents tests proposés, pouvez-vous faire le point sur leur efficacité?
Je tiens d’abord à dire que chaque personne se présentant dans un laboratoire pour se faire tester a une bonne raison de le faire, et pense souvent que sa raison est meilleure que celle de son voisin. Dans un pays où le triptyque parle d’égalité, où le Président de la République ouvre l’accès au dépistage de la manière la plus large, il faut comprendre qu’il devient très difficile pour nous de dire et expliquer derrière aux gens que telle personne est prioritaire par rapport à une autre… Après, la réalité est que personne ne va se faire tester par plaisir. Il est aussi marginal de voir une personne venir se faire tester plusieurs fois. Pour répondre directement à la question : l’étalon or pour les tests reste la biologie moléculaire et la RT-PCR (naso-pharyngés), parce que vous faites votre prélèvement et avez la réponse à la question de savoir si oui ou non le virus est présent dans le prélèvement du patient. Il y a eu beaucoup de critiques sur la manière de procéder à ces tests. Tout le monde en a fait des kilos sur la manière de prélever. Or il n’y a rien de très compliqué. La qualité du prélèvement s’est améliorée, et la technique, par elle-même, est ce que nous avons de plus performant.

Quel avis portez-vous sur les critiques aux sujets des faux négatifs, sur les délais de rendez-vous et les résultats jugés trop longs vis-à-vis des tests ?
J’entends toutes ces critiques sur le fait qu’il y a peut-être 30 % de faux négatifs, par exemple. Mais je préfère raisonner à l’inverse, en disant : essayez d’imaginer un monde sans moyen de dépistage ? Comme celui que nous connaissions lors des dernières pandémies, où à chaque fois l’humanité subissait totalement les choses. Aujourd’hui, tout n’est pas parfait, certes, mais en quelques heures on peut savoir si une personne est infectée, et au moins on peut agir. Avec la combinaison actuelle de mêler un interrogatoire médical, une prise de température et un prélèvement, vous augmentez la spécificité globale d’appréhender le malade qui est devant vous. Le rendu de résultat doit être le plus court et le plus proche du moment où le prélèvement a été effectué, c’est très important. Les gens se plaignent pour obtenir un rendez-vous, ou les résultats, mais cela s’améliore. Toute notre profession a fait en sorte qu’une montée en puissance soit effective, en quelques mois, pour passer de quelques tests à plus d’un million réalisés aujourd’hui par semaine.

Comprenez-vous la frustration de la population sur la véritable utilité et efficacité des tests ?
Je la comprends d’autant plus que je vis en ce moment avec deux frustrations qui s’entrechoquent. Celle des concitoyens qui estiment que c’est encore trop long pour avoir un rendez-vous, un résultat. Et celle de mes équipes qui estiment faire le maximum du maximum pour pouvoir répondre à cette demande. Nous avons consenti un énorme engagement pour faire monter la capacité de prélèvements dans notre pays. Donc on a l’impression que la frustration de la population nous a privés d’une forme de reconnaissance. Dans le sens où on ne peut pas dire que l’on ait beaucoup parlé des efforts consentis de notre côté… J’ai plutôt entendu et vu des tutelles et certaines personnalités haussaient le ton, mais assez rarement nous féliciter pour dire que nous avions été à la hauteur du défi logistique que cela représentait… Notre profession, dans son ensemble, s’est engagée dans cet effort. Après, il faut dire la vérité : il n’y avait pas de tests pendant le confinement, pas du tout. Et même lorsque des personnes étaient symptomatiques, elles ne pouvaient pas bénéficier de tests, car il n’y en avait pas. Cela a créé une situation pénurique, et ce fut la même chose avec les masques ou les respirateurs. Et les Français qui pensaient avoir le meilleur système de santé au monde ont ouvert les yeux sur cette situation, où des patients ont même été soignés avec des médicaments de vétérinaires.

Comment jugez-vous la volonté du gouvernement de vouloir élargir les tests au plus grand nombre, sans avoir à délivrer d’ordonnance pour cela ?
A la suite du confinement, cette volonté a été le moyen d’éteindre précisément la situation d’incompréhension des Français vis-à-vis de leur système de santé. Du coup, il s’est passé une ruée vers ces tests. Il y a en ce sens un côté rassurant dans le message pour la population, afin de baisser la défiance, la méfiance, à l’égard des décideurs de ce pays. Je tiens une deuxième réflexion sur le sujet. J’entends souvent que la stratégie a louvoyé. Mais quand je relis les maîtres et par exemple les travaux de l’École pasteurienne, je m’aperçois que lors de toutes les grandes découvertes de la fin du XIXe siècle début du XXe, et dans l’entre-deux guerres ; la science et la médecine n’ont jamais emprunté une autoroute. C’est-à-dire que dans son cheminement, sa progression, la science dit et la science se contredit, avance, recule, fait un pas de côté… Les débats scientifiques houleux ont toujours existé, avec des grands professeurs qui s’écharpent, parfois en public. Et souvent quand il ressort de tout cela une certitude, on entend alors, dans le débat public, que Fleming a trouvé un antibiotique. Avant et après le confinement, il n’y avait plus qu’un seul sujet qui avait le monopole de tout : la crise sanitaire. Et d’une certaine manière le débat public a été remplacé par le débat scientifique. Or quand vous avez l’habitude d’assister à ce genre de débats, vous vous dites que c’est normal. Mais quand vous n’en avez pas l’habitude, cela augmente le sentiment de désorientation. Et je comprends qu’une bonne partie de nos concitoyens se sont sentis et se sentent toujours déboussolés par la situation.

Les dernières mesures prises par le gouvernement vont-elles, selon vous, dans le bon sens ?
Je crois que nos dirigeants actuels sont à l’écoute et essayent de prendre des décisions dans un timing qui soit compatible avec les besoins du terrain. Cela a été vrai pour la régulation des tests, pour la création des centres de dépistage. Après, il y a d’autres décisions fortes dont on doit parler, comme la ré-industrialisation, la fin de la pénurie en médicaments, des sujets qui requièrent plus de temps pour être mis en œuvre. Mais il y a une réalité, aujourd’hui, nos équipes ont réalisé un peu moins de 200 000 tests depuis le début de la crise sanitaire. Mi-août, tous les indicateurs nous emmenaient à croire qu’une deuxième vague était inéluctable, surtout chez nous, dans les Bouches-du-Rhône. On s’apercevait que la circulation du virus était plus active dans les quartiers Nord de Marseille que dans d’autres endroits. Cela m’a fait penser à l’Ile-de-France et la Seine Saint-Denis qui avaient payé un lourd tribut au début de l’épidémie. On s’est dit que c’était à cet endroit qu’il fallait encore renforcer notre offre de dépistage. Nous sommes allés rencontrer les dirigeants du centre commercial du Grand Littoral pour parler de notre projet. Ils ont été réceptifs, et nous avons créé notre premier centre de dépistage sur place dans le but de maîtriser la circulation dans ces territoires. Car mieux maîtriser cette circulation dans ces territoires permet de mieux maîtriser la circulation dans sa globalité. Nous avons décidé de prioriser les endroits où le virus circule le plus.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA

Au centre de dépistage du Grand Littoral

Centre de dépistage du Grand Littoral © Synlab Provence
Centre de dépistage du Grand Littoral © Synlab Provence
Centre de dépistage du Grand Littoral © Synlab Provence
Centre de dépistage du Grand Littoral © Synlab Provence

Sur place, le taux de positivité au virus dépasse les 13%. Le Dr Sofiane Benhabib souligne que «ces données nous apportent concrètement la preuve que nous avons décidé d’agir au bon endroit. Notre prochain centre s’adressera toujours à la population du territoire nord de la ville, dans les 13e et 14e, arrondissements de Marseille, au centre commercial Le Merlan. Il y a toujours l’idée que nos centres soient les mieux situés sur le plan stratégique, où les gens ont l’habitude de s’y rendre, facilement, via les transports en commun, de manière régulière.» Il annonce que le prochain projet de centre de dépistage de Synlab Provence se situera dans les Alpes-de-Haute-Provence, «le département où le délai de résultats est le plus long ». Dans ce but, Synlab Provence mène actuellement une réflexion avec l’ARS pour prévoir bientôt la mise en place d’un tel nouveau centre à Manosque. Le premier centre au Grand Littoral est ouvert du lundi au vendredi, de 9 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Il fonctionne uniquement sur prise de rendez-vous (à effectuer sur le site : –provence.synlab.fr)

Synlab Provence en chiffres :
Synlab Provence est un groupement de 65 laboratoires d’analyses médicales répartis sur les Bouches-du-Rhône (54 sites), le Vaucluse (7 sites) et les Alpes de Haute-Provence (4 sites), accueillant en moyenne entre 5 000 et 6 000 patients quotidiennement. Il compte 70 biologistes médecins et pharmaciens, 5 pôles médicaux d’excellence, 6 plateaux techniques de proximité et près de 420 collaborateurs. Synlab Provence constitue la plus importante filiale française du groupe Synlab, leader européen du diagnostic médical.

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