Entretien avec Caroline Gora: ‘J’observe un phénomène très inquiétant, celui d’une banalisation de la violence’

Publié le 2 janvier 2023 à  11h13 - Dernière mise à  jour le 8 juin 2023 à  15h36

Présidente de l’association Egali-terre, Caroline Gora est engagée dans la cité. Femme d’action elle est impliquée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, celle contre le harcèlement scolaire mais aussi contre la sérophobie et l’homophobie. Elle est aussi investie dans le soutien au peuple Ukrainien. Dans cet entretien Caroline Gora dresse un bilan de l’année 2022 et évoque les projets à venir.

Caroline Gora présidente de l'association Egali-Terre (Photo D.R)
Caroline Gora présidente de l’association Egali-Terre (Photo D.R)

Destimed: L’année 2022 vient de s’achever. Quel bilan pouvez-vous en tirer ?
Caroline Gora: En cette année 2022 les phénomènes de violences se sont aggravés. C’est en effet 135 féminicides. Je veux insister sur le fait que ces meurtres concernent l’ensemble des milieux sociaux et culturels. L’âge même ne détermine aucun facteur. Je repense par exemple à Émilie, 89 ans, assassinée par son conjoint dans la commune de Grand-Fayt, au mois d’avril dernier. L’ensemble de la population est malheureusement concerné. Nous voyons, au quotidien, combien la violence demeure universelle. Je reviendrai plus tard sur ce point.

Il s’agit donc d’une année très sombre pour les femmes ?
Oui mais la mobilisation est très forte. La prise de conscience n’a peut-être jamais été aussi grande. Pourtant les chiffres sont là ! Glaçants! En Novembre, l’Ifop a publié les résultats d’un sondage réalisé pour la Fédération nationale Solidarité Femmes.
Selon cette étude, 14% des Françaises déclarent avoir été victimes de violences conjugales en 2022. Le chiffre est en progression par rapport à celui relevé après le deuxième confinement, en novembre 2020.

Cela appelle deux réflexions. Tout d’abord une libération de la parole, susceptible d’expliquer la progression de ce chiffre. Dans les faits, si la parole est en voie d’émancipation, grâce notamment au travail des associations, la violence augmente réellement. Dans cet ordre d’idées, nous conseillons de ne rien laisser passer. Pas un mot déplacé, pas un geste, pas une « pseudo » pulsion agressive. Je m’explique. La violence monte souvent en puissance. Je voudrais prendre l’exemple d’une dame de Gardanne, que nous appellerons Margaux. Durant le confinement, le conjoint aurait développé « des angoisses ». En réalité, l’homme s’est montré verbalement menaçant. Une fois le processus enclenché, l’agressivité est devenue la norme. La violence a fini par prendre le dessus.

J’observe, par conséquent, un phénomène très inquiétant : celui d’une banalisation de la violence. En ce sens, la société elle-même est frappée par une sorte de crispation. Les relations conjugales sont, je le vois tous les jours, extrêmement tendues. Le foyer est une sorte « d’espace sans filtre ». Les « décharges émotionnelles” telles que la colère et l’agressivité gagnent progressivement droit au chapitre. Un nombre croissant de femmes, en particulier chez les jeunes, avouent « comprendre » ou « excuser » l’attitude intolérable de leurs conjoints. Des motifs tels que « ses collègues de travail ont été infects », « il a peur d’un licenciement », « Il se lève tôt et on lui demande toujours plus » reviennent en boucle.

Nous assistons, selon vous, à une nouvelle forme de soumission ?
Ce type de comportement est très ancien. Il devient plus fréquent. J’insiste, avec l’association Egali-terre, sur deux points.

Premièrement la nécessité de relations saines. Un couple est construit sur la réciprocité, le partage et le respect. Le sacrifice absolu, total, le don de soi jusqu’à la souffrance n’est pas acceptable. La femme n’a pas de rôle dans un couple. Encore moins celui d’être la personne qui « accueillerait » et « accepterait » les décharges émotionnelles violentes du conjoint. On ne souffre pas par amour. Voilà pourquoi nous tentons, inlassablement, d’agir et de sensibiliser.

Mes BTS asce du Campus Fontlongue de Miramas (13), ont pu intervenir publiquement sur le thème des relations amoureuses. Leur prestation a été remarquable. Elle a remis en question cette culture de l’excuse, celle qui vient du conjoint violent. Rien ne justifie l’agressivité. Ni la situation sociale, ni la crise de la valeur travail, ni la peur du déclassement ! Mon discours est clair : Tolérance zéro!

Mon deuxième point est alors logique : Nous voulons, avec Egali-terre, sécuriser le parcours des femmes vers l’émancipation. Les crises multiformes que nous subissons peuvent être un frein. Quitter le foyer c’est avoir la fausse impression de faire un saut vers l’inconnu. Les femmes victimes de violences ont besoin de la mobilisation de tous. Notre méthode est simple : créer des partenariats avec les acteurs de la société civile. Associations, entreprises, collectivités territoriales, mutualisent peu à peu leurs efforts pour reconstruire et accompagner les victimes .

C’est une méthode que vous avez également appliquée dans le cadre de la lutte contre le harcèlement scolaire.
Oui. J’ai pu mettre en place, au lycée agricole de Miramas, un dispositif pilote nommé « Prévention Fontlongue ». Ce dernier dépasse la lutte contre le harcèlement. L’idée est d’impliquer concrètement les jeunes. Que la jeunesse sensibilise la jeunesse est une chose qui me tient à cœur. Leur parole est fondamentale. Autour de 4 pôles, harcèlement, cyber-harcèlement, relations amoureuses et addiction, nous veillons au bien-être et à la sérénité de tous. Dans ce cadre nous associons la société civile du territoire : nous travaillons, hors les murs, avec des associations, des services médicaux et sociaux, mais aussi avec la mairie et la Police.

Ce dispositif a été remarqué. Le 18 janvier prochain, nous formerons l’ensemble des établissements privés sous contrat du Diocèse Aix-Gap ! Il s’agit d’un tournant majeur dans le cadre de la lutte contre le harcèlement. Mon dispositif va être généralisé. J’en suis très fière !

Justement quels sont vos projets pour cette année 2023 ?
Nous continuons à nouer des partenariats avec la société civile. Des temps forts sont déjà programmés. Le 14 janvier nous organisons à Simiane-Collongue une initiation gratuite au self-défense en partenariat avec FMFS France. La séance est exclusivement réservée aux femmes ! Elle sera animée par Christophe Bertin Champion du monde WIBK handisport.

Nous sommes de plus partenaire du spectacle « L’étoile féminiscente » de Tariah Rézaiguia. Cette œuvre est produite par Lionel Parrini et la petite barque des artistes. Elle a pour objet précisément les violences faites aux femmes. Lors de sa prochaine représentation nous organiserons un débat avec le public.

Par ailleurs, notre permanence est ouverte tous les 1er samedis du mois à Simiane-Collongue. Nous allons intervenir dans les établissements scolaires pour sensibiliser et éduquer. Nous comptons mettre l’accent sur deux autres formes de violences. Nous observons sur le terrain une recrudescence de violences faites aux hommes ainsi que de celles faites aux parents. Je reçois de plus en plus d’hommes victimes de violences. Ce phénomène doit être entendu et ces hommes accompagnés.

Concernant la violence faite aux parents, elle prend deux formes bien distinctes.
Celle d’une part d’adolescents tyrans. J’accueille des parents dont la vie est un enfer !
Celle d’autre part d’adultes qui maltraitent littéralement leurs pères ou mères âgés de plus de 70 ans : insultes, colère, contrôle sur leurs dépenses, leurs déplacements, confiscation de la carte bleu, jugement sur leur vie affective, infantilisation, humiliation publique. Le phénomène est tabou mais pourtant bien réel. Nous lancerons une campagne en 2023. Ce scandale doit cesser.

Concernant la lutte contre le harcèlement scolaire, les projets sont, eux aussi, assez nombreux…
J’ai parlé tout à l’heure de l’événement du 18 janvier. Nous allons former à Miramas l’ensemble des établissements privés sous contrat du diocèse Aix-Gap. Nous avons été, de surcroît, sélectionnés par la MSA pour participer à un concours ayant pour thème la lutte contre le harcèlement professionnel. Les étudiants vont réaliser un film. Nous serons présents, en Avril, 3 jours à Nice pour défendre nos convictions.

Vous êtes engagée dans le soutien au peuple Ukrainien. En 2022, votre collecte de denrées a été un franc succès. En 2023, avez-vous prévu d’autres initiatives?
Le 24 février prochain, dasn el cadre de la première année de guerre, nous lancerons un concours de poésie en faveur du peuple Ukrainien. Nous remettrons les prix lors du 1er salon du livre de Simiane-Collongue. Notre association, vous le savez, organise le Salon du livre dans cette commune. Il se tiendra le 27 mai. Un temps sera dédié à la solidarité internationale envers l’Ukraine. Nous souhaitons que la littérature et plus largement la culture s’engagent pour la liberté et la démocratie. Le temps de l’art pour l’art est à mes yeux terminé.

Dans cette perspective nous sommes partenaires du spectacle de Christophe Lancia « Mandelstam matière ». Il s’ agit d’une œuvre conjuguant création plastique, musique et danse autour des textes du Ossip Mandelstam, poète assassiné par Staline. Nous espérons la faire jouer à Simiane-Collongue. Sa représentation sera suivie d’un débat de soutien à l’Ukraine.

Vous êtes partie prenante de la lutte contre l’homophobie et la sérophobie. Des initiatives sont à venir ?
Nous participons au Copil sur ces thématiques à Miramas. Nous serons en 2023, comme en 2022, partie prenante des semaines préventions, santé, IST, VIH Sida et vie affective.

Enfin, avez-vous un vœu ou un projet à plus long terme?
Je souhaite m’investir dans le soutien à la parentalité. A ce titre nous serons probablement présents lors du salon du bien-être de Simiane Collongue. Mon ambition, cependant, est de créer une Maison des femmes sur le secteur de Gardanne. Nous avons besoin d’un lieu ressource. Un espace d’accueil, d’écoute, d’orientation, de formation et de sensibilisation. Je suis une femme d’action. Je veux continuer fermement à agir.
Propos recueillis par Raphaël RUBIO

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