Entretien avec Esther Fouchier, présidente de Forum Femmes Méditerranée, chef de file du réseau français de la Fondation Anna Lindh

Publié le 23 mai 2013 à  3h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h56

Esther Fouchier, présidente de Forum Femmes Méditerranée (PHOTO P.M.-C.)
Esther Fouchier, présidente de Forum Femmes Méditerranée (PHOTO P.M.-C.)

Comment le Forum Anna Lindh a-t-il été organisé ?

Il a été préparé 18 mois durant. Lorsque les membres de la Fondation Anna Lindh (FAL) sont venus à Marseille, ils ne connaissaient pas la réalité marseillaise, les structures. Ils ont donc demandé au chef de file du réseau Français, Forum Femmes Méditerranée (FFM) quelques pistes. Des réunions préparatoires ont été organisées avec une soixantaine de personnes. La première a concerné les jeunes, elle s’est déroulée à Istanbul en 2012, ensuite il y a eu celle sur les Femmes, en novembre 2012. Cette rencontre a été présentée par le FFM, le réseau marocain et le réseau espagnol. Une réunion exceptionnelle avec des participants de très haut niveau. Après il y a eu l’atelier sur les migrants qui s’est déroulé en mars 2013 à Alger et celui sur les médias à Barcelone en mars-avril 2013. Au cours de toutes ces réunions, il y a eu des appels à participation, des sélections de projets. Un travail important a été réalisé en amont. L’équipe de direction de la Fondation Anna Lindh a pris en compte tous ce que les chefs de files ont proposé lors de la dernière réunion à Nicosie à Chypre. Le réseau français à fait une liste de suggestions par exemple : que l’équipe de direction ne décide pas seule de la venue de personnes et de personnalités sans s’appuyer sur la base, c’est à dire nous, la société civile. Il faut savoir que la FAL est une fondation gouvernementale, elle est dirigée par des ambassadeurs. Le conseil d’administration ce sont les États. Elle a tenu compte de toutes nos suggestions et nos propositions car nous, nous connaissons les structures à la base et on sait qui est intéressant.

Qu’est-ce qui a fait la réussite de ce Forum de la FAL ?

L’intérêt de ce forum est qu’il y a eu 11 agoras, plusieurs dizaines de Médinas. Des débats stratégiques, 3 par jour. Les premiers ont abordé les tensions, puis les transitions, toutes les questions qui traversent actuellement la Méditerranée. Et enfin le futur sur des questions de fonds avec des gens extrêmement qualifiés. Sont intervenus des femmes, des jeunes, des grands experts. Cette diversité qui a fait la force du Forum de la FAL. Les experts se sont exprimés et la parole a été donnée à la salle. Les agoras ont suivi les débats stratégiques. Il y a avait un expert président, un modérateur et trois interventions de 10 minutes et des interventions préliminaires de 5 minutes chacune. Sur les 4 jours, 158 personnes ont pris la parole officiellement sans compter les prises de paroles du public. Cela veut dire que les 42 pays représentés se sont exprimés sur la diversité culturelle, la jeunesse, sur les migrants, les femmes, la culture, l’éducation, les médias. Pour chaque Agora, de jeunes voix arabes se sont élevées pour témoigner. J’ai découvert des jeunes avec beaucoup de dynamisme, de réflexion . C’était extraordinaire. Dans les Médinas, il a été question des bonnes pratiques qui ont déjà été réalisées pour les reproduire ailleurs et des projets pour l’avenir. Des stands ont également été mis en place. Le public a beaucoup circulé, discuté. Pour la foire interculturelle, il n’y avait pas beaucoup d’espace mais cela a permis de voir des expos, des films. Le réseau français a été très motivé. Une association aixoise a proposé un spectacle de danse avec des Syriennes qui sont venues spécialement.

Qu’avez-vous apprécié dans ce Forum ?

J’ai été très impressionnée par les jeunes. L’avenir de la Méditerranée passe par les jeunes de ces 42 pays. Ensuite, il y avait 500 femmes, je n’ai jamais vu dans des réunions de la société civile avec les États autant de femmes, c’était très émouvant. On a vu à la tribune des hommes et des femmes de grande qualité. Je suis très satisfaite car à la fois on a eu Stefan Füle, commissaire européen qui est venu rencontrer les jeunes et Martin Schulz et d’autres parlementaires européens qui sont venus écouter ce que les femmes avaient à dire. Ensuite, il y a eu Israël, la Palestine et le Liban, des femmes qui ont discuté sur ce qui pouvait être fait et ce qui est fait. En ce moment, il existe une politique de boycott et elles n’arrivent plus à se rencontrer. Au sein de la FAL et de Forum Femmes Méditerranée, les femmes de ces trois pays travaillent ensemble pour la paix. Le problème du boycott est qu’il touche aussi ceux qui dans leur pays respectifs se battent pour la paix et qui ont plus de difficultés pour s’exprimer. Enfin dans l’atelier que j’ai présidé, nous avons eu des moments très émouvants. Le Centre de Haïfa a présenté les formations qu’il proposait aux Palestiniennes. Une Palestinienne a souligné ce dont les femmes avaient besoin, etc. des choses magnifiques sont ressorties. Cela a fait du bien aux membres du réseau français, ils ont pu découvrir cette grande diversité.

Les femmes reviennent souvent dans votre propos. Est-ce que dans le cadre de ce Forum de la FAL, elles ont été au centre des débats ?

Au niveau des femmes tout ce qui a été dit était essentiel : la lutte contre les préjugés sexistes, le système patriarcal, les difficultés rencontrées par les femmes, leur place dans l’économie, dans la société, la lutte pour leurs droits, avec des voix différentes de la rive Nord mais aussi de la rive Sud. J’ai adoré la cérémonie d’ouverture car la première personne à s’être exprimée était une journaliste Syrienne. Elle a dit des choses fantastiques. Commencer un tel Forum par la Syrie, par une journaliste femme et jeune, c’est toute la Méditerranée qui a parlé à travers elle. Et le moment le plus fort a été celui de l’intervention d’une jeune Égyptienne qui portait un voile. Il s’est avéré qu’elle était une militante féministe. Elle a commencé à lutter contre l’excision à l’âge de 8 ans. Elle est allée voir ses copines et elles ont manifesté dans la rue. Il faut savoir que 90% des petites filles sont excisées en Égypte. Elle a tenu un discours féministe, elle a appelé les femmes à résister. Elles sont très déçues par la révolution. Le 8 mars, journée de la Femme, elles n’ont pas pu manifester. Une femme s’est faite arracher sa robe, d’autres ont été violées et battues. Elle a lancé un appel à la résistance : « Vous n’arriverez pas à nous faire retourner à la maison. Vous ferez le pays avec nous, nous sommes des citoyennes. Il n’y aura pas de démocratie sans la participation des femmes. »
En revanche, j’ai été très déçue par un des représentants religieux, l’année dernière au cours d’une réunion à Tunis pour préparer le forum de la femme et le processus démocratique dans les pays arabes. J’ai demandé à un des responsables les plus engagés, ce qu’il comptait faire contre l’excision, il m’a répondu : « La lutte contre l’excision n’est pas à l’agenda de la démocratie .»

Forum Femmes Méditerranée s’est énormément investi dans cet événement mais qui êtes vous exactement ?

Le Forum Femmes Méditerranée international existe depuis 20 ans. La première réunion s’est tenue en novembre 1992. J’ai représenté officiellement la France et nous avons créé le FFM le 13 juin 1993 avec Wassyla Panzali qui était la directrice du programme Méditerranée à l’Unesco. C’est une écrivaine qui a notamment écrit : Une éducation algérienne ; Une femme en Colère. Elle sera bientôt à Marseille, pour l’exposition du genre « féminin masculin ». FFM a existé, fait des choses très intéressantes mais en raison de l’intifada, il a éclaté parce que les Libanaises et les Palestiniennes ne voulaient plus travailler avec les Israéliennes, alors que pendant des années on a cru au processus de paix et il y avait une symbiose. Nous, en tant que FFM, on a continué à Marseille qui est la Méditerranée. Nous nous sommes engagées avec les Algériennes. On les a soutenues contre le terrorisme, les islamistes, etc. pendant « la décennie noire ». On les a accueillies quand elles étaient menacées. On a fait énormément de coopération. On a beaucoup œuvré aussi auprès des Marocaines pour qu’elles puissent faire reconnaître un statut de qualité. Au début, on ne faisait que le concours de nouvelles et après on s’est mis à créer des activités génératrices de revenus, à former des associations, des cadres associatifs. On a commencé à changer de catégorie quand FFM a été élu chef de file de la Fondation Anna Lindh, c’est là que l’on a été reconnue au niveau national et international.

Comment FFM est devenu chef de file du réseau français de la fondation Anna Lindh ?

En 2006, FFM a déposé un dossier de subvention et a obtenu 32 400 euros. On a proposé avec la Grèce, l’Espagne, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la France de donner la parole aux femmes, de créer des ateliers d’écriture dans toutes les langues, d’organiser des colloques dans chaque pays sur des thèmes différents : le verbe au féminin, le genre à l’œuvre, la place des femmes dans les médias, la littérature. On a publié tout cela et on a également édité un jeu des sept familles sur l’histoire des femmes à Marseille à partir du « Dictionnaire des marseillaises ». On s’est dit Anna Lindh est un formidable outil. Il n’y avait alors pas énormément d’associations françaises, on a contribué à ce qu’il y en ait de plus en plus. Adhérer à la Fondation, ce n’est pas compliqué. Il suffit d’aller sur le site de la Fondation, remplir une fiche qui arrive après sur mon ordinateur. Nous sommes 12 membres du réseau français à être dans le Comité de pilotage et à étudier les candidatures. On donne alors un avis favorable ou pas. A 95% les avis sont favorables car il s’agit très souvent d’associations pour la coopération. Après cet avis, elles appartiennent au réseau de la FAL. Actuellement il y a 404 associations françaises.

Forum Femmes Méditerranée a également été retenu en tant qu’association pour porter le projet de la Fondation des femmes de la Méditerranée. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce projet ?

Le gouvernement français, le Maroc, le Liban, la Jordanie, lors de la dernière réunion ministérielle des Droits des femmes qui s’est tenu à Marrakech ont lancé l’idée de créer un Fondation des Femmes de la Méditerranée. Cette Fondation existait déjà, elle a été lancé officiellement le 14 juin 2011 à Paris à l’Institut du Monde Arabe (IMA). Elle a tenu un colloque d’universitaires et de scientifiques à Paris en décembre 2011. Malheureusement en février 2012 cette Fondation a été mise en liquidation judiciaire, les 9 salariés ont été mis au chômage, tous les acquis disparus. C’était dommage car un travail remarquable avait été réalisé. Le gouvernement français a contacté Forum Femmes Méditerranée pour lui proposer d’être l’association qui allait porter le projet. Nous n’avons pas réussi à récupérer les logos mais nous avons racheté la plateforme. Cette Fondation que l’on est en train de relancer a eu l’accord de l’Union pour la Méditerranée lors du dernier sommet. C’est pour cela que Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, lors de la conclusion du Forum de la FAL a annoncé que cette Fondation était relancée ainsi que la plateforme Internet.

En quoi va consister cette plateforme Internet de la Fondation des femmes de la Méditerranée ?

Cela va fait partie des trois axes de la Fondation des femmes de la Méditerranée. Le pôle de la connaissance avec des chercheurs, des universitaires ; l’Observatoire euroméditerranéen qui va servir à obtenir toutes les statistiques, les chiffres pour orienter les politiques. Par exemple on sait que dans la région MENA ( Middle East and North Africa- Moyen-Orient et Afrique du Nord » ndlr), il n’y a que 25% des femmes qui sont actives, c’est très peu, en France on est à 58% . Cela manque au PIB des pays. Si les femmes travaillaient plus, si elles étaient considérées, si elles avaient l’égalité cela permettrait la liberté, le niveau de vie s’élèverait, la société serait plus développée. On sait par exemple que lorsque les femmes ont moins d’enfants, elles arrivent mieux à s’émanciper. On fait souvent le lien entre le nombre d’enfants par femme dans chaque pays et leur niveau d’émancipation. Jusqu’à maintenant on comptait en Jordanie 7 enfants par femme, en Algérie 6. Là, c’est tombé à 3 et 4. En Tunisie le taux de fécondité est moins important qu’en France, il est descendu au-dessous de 1,5 alors qu’en France on est remonté à 2.

Le deuxième Pôle concerne la banque de projets. Des projets pour développer l’autonomie financière des femmes, lutter contre les violences dont sont victimes les femmes, la création d’entreprises, des projets de terrain. Le troisième axe c’est le réseau des réseaux. Il y a déjà des femmes qui sont constituées en réseau. Dans le cadre de la Fondation des femmes pour la Méditerranée on va les développer. On va créer le réseau de femmes journalistes en Méditerranée, le réseau des artisanes, des blogueuses, des chanteuses, des femmes de lettres, des scientifiques, etc. Ce réseau des réseaux est très important, il lie la structuration, les projets de terrains et la connaissance. Et puis, on veut faire du local à l’international. J’aime beaucoup la phrase du poète René Char qui parle du local à l’international « Penser globalement agir localement » c’est cela aussi la Fondation des femmes de la Méditerranée.

Pourquoi est-ce votre association qui a été choisie ?

Il faut savoir que Forum Femmes Méditerranée est une association modeste, elle est chef de file avec peu de salariés, peu de moyens mais avec une expertise. Depuis 20 ans on sait qui est compétent dans tel ou tel domaine. On mutualises les compétences, les ressources et l’on essaie de mettre tout ce dont on est capable à disposition. Bien sûr que l’on ne pourra pas être nous même la Fondation mais on va porter le projet pour créer cette Fondation. C’est pour cela que l’on a lancé un appel qui a été retenu lors du Forum Anna Lindh. Notre proposition est que la Fondation parte de la base et dit :qu’il faut que les gouvernements, les institutions, les associations travaillent ensemble sans perdre de temps pour que l’égalité soit au cœur des préoccupations de toutes et de tous. Et que les femmes se structurent pour défendre leurs droits car leurs acquis sont remis en cause dans tous les pays. Avec la crise en Espagne, en Grèce, en Italie et en France, les femmes sont les premières victimes. Et de l’autre côté il faut que les femmes gardent leur place et participent au processus démocratique.

Propos recueillis par Patricia MAILLE-CAIRE

Forum Femmes Méditerranée
51, rue des Dominicaines
Tél: 04.91.91.14.89 ou ffm13@wanadoo.org

Plus d’info : www.femmes-med.org
www.annalindhfoundation.org

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