Entretien avec Lionel Maltese. Affaire Mediapro : « Les clubs français ont laissé s’installer un état de dépendance »

Publié le 17 décembre 2020 à  10h57 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h20

Le couperet est tombé : la chaîne Téléfoot, lancée cet été pour retransmettre les matchs de Ligue 1, va mettre la clé sous la porte le 31 janvier 2021 et ne sera pas en mesure de payer la totalité des 800 millions d’euros qu’elle s’était engagée à régler à la Ligue Professionnelle de Football. Au final, c’est une ardoise de plus de 300 millions que le groupe sino-espagnol laisse à des clubs clairement dans la panade. Pour tenter de comprendre comment on en est arrivé là, rien de mieux qu’un expert du sport stratégie. Lionel Maltese, consultant sport business et membre de l’Observatoire international en management du sport, livre une analyse éclairée de ce désastre… pas si étonnant.

Lionel Maltese apporte un éclairage sans concession sur l'affaire Mediapro ©FFT
Lionel Maltese apporte un éclairage sans concession sur l’affaire Mediapro ©FFT

Destimed: La débâcle Mediapro est-elle inquiétante pour le football français?
Lionel Maltese: Ce qui vient de se passer doit nous amener à nous poser les bonnes questions. La Ligue 1 n’est-elle pas victime d’une surcote due à trois ou quatre clubs comme le PSG, l’OL, l’OM et Monaco ? Ces écuries ne sont-elles pas, au final, une sorte de miroir aux alouettes ? Le spectacle de nos pelouses méritait-il le montant pharamineux mis sur la table ? Le diffuseur a misé sur la qualité du foot français pour faire exploser le nombre de ses abonnés et il n’avait pas un portefeuille clients assez solide pour travailler sur le long terme, notamment avec cette période très délicate de la Covid-19 et ces longs mois sans rencontre.

Mediapro ne présentait donc pas toutes les garanties nécessaires ?
Si je devais faire un parallèle avec le monde de l’entreprise, je dirais que Mediapro avait tout du business angel, plus que celui du partenaire solide qui peut accompagner votre développement pendant quelques années. C’est sans conteste l’histoire du serpent qui se mord la queue et on voit où cela a mené le diffuseur comme le foot français qui est aujourd’hui en position très délicate.

« Le foot français s’est littéralement brûlé les ailes et n’a pas préparé des fondations solides »

Que peuvent faire les formations pour sortir de cette ornière ?
Le trou dans la caisse de la Ligue et, par ricochet, dans celles des clubs, va être très important. Du coup, il ne va pas y avoir de nombreuses solutions pour amortir la chute. Les écuries du championnat français vont être dans l’obligation de vendre des joueurs, car elles sont dépendantes de ces droits télés et elles ne sont pas en mesure d’aller chercher des profits autres, à court terme.

Les présidents et la LFP se sont-ils laissé griser par le montant ?
En marketing sportif, on appelle cela le paradoxe d’Icare, en référence au héros de la mythologie grecque qui, étant parvenu à voler, se rapprocha tellement du soleil que la cire utilisée pour coller les plumes de ses ailes fondit et qu’il tomba dans la mer. Le foot français s’est littéralement brûlé les ailes et n’a pas préparé des fondations solides.

Qu’entendez-vous par fondations ?
Comme dans une entreprise classique, il est important de créer de la valeur pour éviter la dépendance à un seul type de ressource. Nous avons assisté, comme trop souvent en France, à une stratégie à court terme et opportuniste qui a consisté à acheter des joueurs dans un premier temps, avant de penser à structurer les clubs. De fait, ils ne vont pas avoir d’autres choix que celui de couper dans la masse salariale qu’ils ont fait grossir en tablant sur les revenus de Mediapro. Malheureusement, cela semble inéluctable car en période de Covid, on ne peut pas compter sur la billetterie pour renflouer les caisses.

«En Angleterre, la révolution de la « Premier League » en 92 est un modèle du genre»

Cette situation est-elle commune aux autres championnats ?
Cette crise n’impacte pas seulement la France, mais certains ont mieux travaillé que d’autres et n’ont pas tout misé sur la manne financière des droits télés. Je pense notamment aux Allemands qui ont œuvré pour des revenus plus équilibrés en mettant en place une politique commune à l’ensemble des clubs. En Bundesliga, la billetterie, le merchandising, la participation des partenaires… Tout a été pensé pour une diversification des revenus permettant une certaine indépendance. En Angleterre, la révolution de la «Premier League» en 92 est un modèle du genre. Tous les patrons se sont assis autour de la table et ont décidé d’appliquer une politique commune pour sortir le football anglais du marasme dans lequel il végétait. Cette notion d’action commune est essentielle si la LFP veut rebondir.

En France, certains présidents avaient-ils entamé un travail allant dans ce sens ?
Jean-Michel Aulas est clairvoyant, car il a depuis longtemps compris où était la plus-value de l’OL. Il n’hésite pas à vendre de jeunes joueurs mais, il sait garder ses formateurs. La vraie valeur d’un centre de formation sont ses éducateurs. Il faut avoir conscience que la planète football nous envie notre savoir-faire et rêve de nous piller. Je dis attention, car de plus en plus d’éducateurs partent à l’étranger. Une fois encore, toute l’Europe va se tourner vers notre championnat pour dénicher des pépites à moindre coût. Si les clubs se laissent charmer, nous allons assister à un réel exode, qui soit dit en passant, a déjà commencé. Mais je le répète, conserver jalousement nos formateurs doit devenir notre priorité !

«Chaque club prêche pour sa paroisse, il semblerait que l’argent ait fait tourner les têtes»

Finalement, nous n’êtes pas franchement surpris par cette situation ?
Dire que je suis surpris par cette débâcle serait mentir. Ce qui m’étonne en revanche c’est le manque de rigueur des clubs français qui ont laissé s’installer un état de dépendance à ce type de ressource. Prenez l’exemple de Jean-Claude Blanc, actuel directeur exécutif du PSG, quand il est arrivé à la Juventus de Turin, il s’est rendu compte que 80% du budget de la Vieille Dame reposait sur ce modèle. Il a rapidement rééquilibré tout cela en travaillant une diversification des revenus au travers d’une réfection du stade, le développement du merchandising…

Cela voudrait-il dire qu’il n’a pas été écouté par les autres présidents au moment de prendre la décision de signer avec Mediapro ?
Chaque club prêche pour sa paroisse, il semblerait que l’argent ait fait tourner les têtes. Il faut dire que le projet Mediapro avait tout pour charmer et aurait pu fonctionner.

On parle beaucoup de trading. Acheter des joueurs pour les revendre est une solution de croissance économique qui peut être lucrative.
Il ne faut pas croire que la Ligue 1 est conditionnée pour faire du trading. Vendre un joueur est quelque chose de très particulier et seuls quelques experts savent faire cela. L’OM, en misant sur Pablo Longoria, a trouvé l’homme providentiel. Monaco avait dans ses rangs un bon vendeur. On doit se poser la question : peut-on devenir rapidement un championnat basé sur le trading quand on n’a jamais su le faire auparavant ? Cela risque de prendre du temps et en attendant ce sera le niveau des équipes qui va en pâtir.

«La ligue ne peut pas continuer à ne vendre que de l’image, elle doit impulser une nouvelle politique plus diversifiée»

Maintenant, comment combler le manque à gagner ?
Il est utopique de croire que le spectateur va supporter cet échec. Je ne vois pas comment on pourrait demander plus à ceux qui se déplacent dans les stades. L’expérience client ne justifie pas une augmentation importante des tarifs ! Je pense que la bouée de sauvetage se trouve davantage du côté des entreprises partenaires. C’est sans conteste l’une des satisfactions de ce naufrage. Les sociétés n’ont pas abandonné le navire et elles continuent de soutenir les clubs. Il va donc falloir adapter l’offre pour s’appuyer davantage sur elles.

Doit-on s’attendre à ce que certains clubs soient obligés de mettre la clé sous la porte ?
Ceux qui n’ont pas de gros actionnaires vont tanguer, mais je ne pense pas qu’ils soient économiquement en réel danger dès cette année. Sur le long terme, ce sera plus compliqué. Le premier réflexe sera de se séparer des meilleurs joueurs. Et, c’est sur la pelouse que cela va se traduire dans un premier temps. Sportivement, cela va être catastrophique pour les plus faibles économiquement.

Que faut-il faire pour repartir de l’avant ?
S’asseoir et décider d’une stratégie commune pour la marque LFP. La ligue ne peut pas continuer à ne vendre que de l’image, elle doit impulser une nouvelle politique plus diversifiée. Les acteurs du foot français ne peuvent pas travailler chacun dans leur coin, c’est impossible si notre championnat veut progresser et s’installer sur le devant de la scène.
Propos recueillis par Fabian FRYDMAN

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