Entretien avec Pierre-Maurice Courtade: « Le vélo a retrouvé sa popularité. Il faut maintenant travailler à recréer le lien entre le public et les champions »

Publié le 17 juillet 2020 à  10h08 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h52

Pierre-Maurice Courtade, d’origine franc-comtoise, tout juste 40 ans, est aujourd’hui à la tête de «PMC Consultant ». La société qu’il a créée en 2018, après avoir notamment était responsable du merchandising de l’équipe cycliste de la FDJ pendant 5 ans, et avoir déjà organisé des arrivées du Tour de France, comme à Risoul. Depuis peu, il est le nouveau producteur-organisateur de la course cycliste du «Tour de La Provence », récemment classé en « UCI Pro Series ». Et vient de reprendre en main le Tour de Savoie Mont-Blanc, qui sera organisé cet été entre le 5 et le 8 août. Il nous a consacré une interview pour dérouler son parcours professionnel atypique et faire le point sur l’actualité cycliste estivale en mode déconfinement…

Pierre-Maurice Courtade (Photo Tess Baes)
Pierre-Maurice Courtade (Photo Tess Baes)

Destimed : Quels rapports personnels de jeunesse entretenez-vous avec le vélo, le Tour de France, les grands champions de ce sport ?
Pierre-Maurice Courtade: Mon père a été un cycliste amateur de très bon niveau et courait beaucoup dans le Sud de la France. Mais il est décédé quand j’étais très jeune, je n’avais que 8 ans. J’ai pris le relais et fais beaucoup de vélo dans ma jeunesse, participé à différentes épreuves, mais une autre mauvaise nouvelle est survenue, à l’âge de 14 ans, avec l’annonce d’un cancer qui m’a obligé à subir de longs traitements pendant deux ans. Cela m’a permis de prendre du recul et de commencer à solliciter les coureurs les plus connus du peloton pour leur demander à distance, en leur écrivant, des photos dédicacées, maillots… pour pouvoir faire une grande collection (lire article ci-dessous). Quand j’ai pu me déplacer à nouveau, j’ai continué à suivre les plus grandes courses en me déplaçant sur place et en sollicitant sur place les champions. Sur le plan professionnel, le déclic est arrivé en 2003 avec la proposition de Marc Madiot, à la tête de l’équipe de la FDJ, de le rejoindre en tant que responsable merchandising de la formation. J’ai ensuite travaillé à l’organisation d’arrivées du Tour de France, comme sur la station de Risoul. Le groupe La Provence est ensuite venu me solliciter en 2018 pour prendre la tête de l’organisation de son Tour, et j’ai relevé le défi. Avec ma société, nous nous occupons aussi depuis deux ans de l’organisation du Grand Prix de France de F1 qui est revenu en France, sur le circuit du Castellet.

Comment votre profession et le monde cycliste en général ont-ils vécu cette période de crise sanitaire ?
Ce fut une période très compliquée avec des annonces différentes, du jour au lendemain, à devoir gérer le plus souvent… Le vélo n’était pas la priorité du gouvernement pendant cette crise, on peut le comprendre, mais on aurait quand même aimé être fixés plus tôt et avec plus d’intelligence en matière de connaissance sportive. Car les questions ont été nombreuses pour tous les organisateurs des courses, et notamment une : est-ce qu’on doit annuler ou reporter les épreuves ? Pour ma part et pour beaucoup d’organisateurs d’épreuves de Classe 2, nous n’avons pas baissé les bras, car c’était sûrement le plus facile d’annuler. On a fait preuve de résistance, il fallait maintenir les épreuves. Nous devions être des acteurs de la reprise. C’était une bêtise de dire dans un premier temps que le Tour de France et les autres courses devaient se dérouler à huis clos. Nous ne sommes pas dans un stade, mais à l’air libre. Avec un public disposant d’assez de place pour pouvoir garder les distances de sécurité. Le huis clos pour le vélo, c’était pour le moins inimaginable…

Qu’en est-il des coureurs et de tout ce qui concerne le montage financier pour organiser de telles épreuves ?
Les coureurs ont besoin de revenus, il fallait reprendre, aussi, pour leur permettre de retrouver la compétition et pouvoir honorer leurs contrats dans chaque équipe. Pour nous, organisateurs, la couverture médiatique et la présence de la télé en direct pour suivre les épreuves sont les éléments les plus importants à prendre en compte sur le plan financier afin de pouvoir boucler les budgets. Le dernier Tour de La Provence a pu être diffusé dans 700 millions de foyers, c’est le plus gros événement en matière médiatique de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. On a réussi à trouver des accords avec les grandes chaînes de plusieurs pays pour le diffuser. Aujourd’hui, 190 pays voient le Tour de La Provence et toutes les belles images de nos territoires. On en est assez fiers, car nous avons une grande concurrence à certaines dates avec notamment des pays du Golf qui émergent dans le domaine en organisant de plus en plus d’épreuves, comme Abou Dabi et Oman. Le nerf de la guerre pour un grand Tour est donc de pouvoir avoir la télé en direct. C’est ce que nous sommes arrivés à avoir. Notre dernier Tour, qui a pu se dérouler dans 3 départements de la région, entre le 13 et le 16 février 2020, a été diffusé dans 19 pays pour toucher 700 millions de foyers dans le monde. Les retombées économiques estimées de l’épreuve dans la région approcheraient les 3 millions d’euros. Il faut aussi en tenir compte, qui plus est dans la situation de crise sanitaire actuelle.

Quelles sont les plus grandes contraintes pour pouvoir organiser de telles épreuves cyclistes dans la région ou dans le pays ?
Notre terrain de jeu est la voie publique, et c’est notre premier gros chantier, car on doit pour cela bien connaître les villes où nous passons, et bien sûr en premier lieu celles des départs et des arrivées, que nous devons maîtriser de A à Z, à chaque fois. Nous avons toujours des boucles à imaginer, à dessiner, sur un Tour, quel que soit où il se déroule. Pour le Tour de Provence, il y a aussi l’obligation de ne pas avoir de liaisons de plus de 100 km à effectuer entre deux points. Nous avons un gros travail à réaliser en amont avec les préfectures. Il faut comprendre que notre passage fait que l’on doit fermer à chaque fois une ville à la circulation pendant 20 bonnes minutes. Avec des arrivées que j’ai voulues en plein cœur des centres-villes pour pouvoir attirer du public et susciter un plus grand spectacle, qui est je pense au rendez-vous. A ce titre, l’arrivée sur le Cours Mirabeau, à Aix-en-Provence, est une vraie réussite, aujourd’hui saluée par tous. Les images, l’ambiance, sont magnifiques. Et les commerçants, sur place, sont désormais conquis par l’idée au regard des bénéfices économiques dont ils peuvent profiter. Le public et les touristes de plus en plus internationaux sont au rendez-vous, ils viennent en nombre suivre les coureurs sur le Tour. Les Colombiens, par exemple, les Asiatiques, sont de plus en plus nombreux. Sur la dernière épreuve dans la région, nous avons démarché en tout 15 tours opérateurs, notamment dans ces pays, pour faire venir des gens de l’étranger. Il faut comprendre que le Ventoux, la ville d’Aix-en-Provence, par exemple, sont des lieux magiques qui sont porteurs d’offres touristiques. Des organisateurs, à mon image, doivent être là aussi pour le faire comprendre aux autorités publiques.

Comment expliquez-vous la popularité toujours aussi importante du vélo et du Tour de France auprès des Provençaux et des Français, malgré toutes les affaires qui ont touché ce sport depuis les années 1990 ?
Le Tour de France, avec les millions de Français qu’il attire chaque année sur les routes du pays, fait partie de notre histoire, de notre patrimoine. Vous n’avez qu’à voir que tous les présidents de la République se rendent pratiquement chaque année sur une étape pour suivre l’épreuve. Un été sans Tour de France, du même coup, serait incompréhensible. Les dernières années, et les jeunes coureurs français qui ont émergé y ont grandement contribué, le vélo a retrouvé sa popularité. Il faut maintenant travailler à recréer le lien entre le public et les champions. Il avait sûrement un peu disparu avec les affaires Festina et autres, à partir de 1998. Dans le même temps, il faut profiter de l’essor des plans dédiés au vélo dans nos villes pour se déplacer. Le vélo est aujourd’hui un véritable phénomène de société. Beaucoup de gens, de citadins, sont en train de retrouver son usage. On doit surfer sur ce phénomène. Nous essayons, en tant qu’organisateurs de telles épreuves, de nous inscrire de plus en plus dans la politique des villes concernant les Plans vélo. Notre ambition est de développer nos échanges dans ce sens avec chaque mairie que l’on rencontre à l’occasion de l’organisation des étapes. Je crois beaucoup à de grands Plans vélo mais sur toute l’année ! Et nos épreuves doivent être là, aussi, pour booster ces politiques qui sont en train d’être mises en place par les collectivités. Pour cela, je crois beaucoup au développement des vélos à assistance électrique. Ils sont vraiment en train de changer la donne, dans le but d’élargir les usagers et davantage montrer tout ce que le vélo peut apporter à une ville. Là-encore, je considère partie intégrante de ma fonction le fait de collaborer avec les collectivités travaillant avec nous pour pousser franchement dans ce sens. Les organisateurs de grands Tours, grandes épreuves, doivent être influents pour aider, convaincre à prendre cette voie, en pensant à la fois au public passionné de vélo, comme à tous les concitoyens.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA

Son avis sur Julian Alaphilippe :
Je le connais particulièrement bien car je peux dire que c’est un ami, devenu proche. Vous pouvez imaginer ma joie sincère de le voir aujourd’hui être devenu une vedette du peloton, qui plus est très abordable, pour sa part, au quotidien. Julian a le don autour de lui, de sa présence, de pouvoir générer des foules et susciter du plaisir aux gens. Je vous donne un exemple : ils étaient 20 000 spectateurs pour venir le voir lors de la dernière épreuve de la Ronde d’Aix, en 2019, dans notre région. Je le répète, il est, en toutes circonstances, disponible pour les gens. Il veut marquer l’histoire du vélo, et je pense que la France a la chance d’avoir un tel champion en ce moment. Un sportif avec autant de panache dans son style, qui peut faire raviver les souvenirs liés à un Richard Virenque par le passé.
Son avis sur le prochain Tour de Savoie Mont-Blanc
Nous avons l’opportunité incroyable de bénéficier d’un terrain de jeu qui est énorme en Savoie et Haute-Savoie, avec tous ces territoires, paysages, reliefs. La dernière étape de cette édition 2020 sera unique. On compte, avec mon équipe d’organisation, innover pour faire que cette course soit encore plus grande, reconnue, pour être au top. Des partenaires nous suivent pour cela. Notre ambition est d’avoir une épreuve qui sorte du lot et qui soit la plus belle dans cette région. Ce Tour a su toujours révéler de grands talents comme Romain Bardet, Thibault Pinot, Dan Martin ou encore le dernier vainqueur du Tour de France, Egan Bernal, vainqueur en 2017.
Sa première échappée belle à Marseille, sur le Tour de France 2017
Du 8 au 30 juillet 2017, dans les salons de l’Orange Vélodrome, Pierre-Maurice Courtade s’était déjà fait remarquer en présentant au grand public une grande exposition temporaire unique au monde. Alors que l’enceinte marseillaise accueillait le 22 juillet 2017 l’arrivée de l’avant-dernière étape du Tour, le Gapençais d’adoption avait exposé 1 300 objets personnels de sa collection ayant appartenu aux plus grands champions du peloton. A cette occasion, l’organisateur avait un peu plus pensé à son papa champion cycliste, d’origine marseillaise, parti trop tôt. Pour exprimer le sentiment particulier d’avoir «comme bouclé la boucle… ». Motivé à la fois par sa famille, l’adjoint au sport de l’époque à la Ville de Marseille, Richard Miron, ou Jean-François Pescheux, l’ancien directeur adjoint du cyclisme pour la société organisatrice du Tour de France (ASO), il avait décidé de faire faux bond au peloton pour s’échapper seul et comme un grand ! La proposition acceptée était de présenter au plus large public, passionné ou non de vélo, les plus belles pièces de sa collection personnelle. Il explique : «Au moment où j’ai éprouvé de graves soucis de santé dans ma jeunesse, j’avais alors décidé de solliciter les plus grands champions du vélo en leur écrivant le plus souvent directement, pour leur demander des objets personnels. Par la suite, en travaillant pour l’équipe de la FDJ, j’avais pu encore collectionner des maillots, médailles, coupes, livres… qui étaient venus rejoindre tous les autres dans mon garage! » En association avec l’agence MJPC, la ville de Marseille et l’Orange Vélodrome, Pierre-Maurice avait alors exposé sur 1 200 mètres carrés plus d’un millier d’objets des 4 500 qu’il possède depuis sa jeunesse. L’entrée de l’expo faisait alors partie du billet pour effectuer durant le mois de juillet 2017 une visite compète du stade Orange Vélodrome. Provençaux et de nombreux touristes avaient pu ainsi découvrir les maillots que portait Fabio Casartelli sur le Tour de France 1995, où il devait perdre la vie lors d’une chute. Mais encore du « pirate» italien Marco Pantani, Bernard Hinault, Christopher Froome, Alberto Contador, Sean Kelly…
B.A.

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