Experts-comptables – Club Ethic Eco Marseille : portrait en ombre et lumière de la justice

Publié le 24 mars 2016 à  0h35 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  22h05

Le club Ethic eco, initiée par le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paca, vient de recevoir Yves Roussel, le président de la 8e Chambre de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, Charles-Alain Castorla, chef d’entreprise, président du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence et Bernard Nivière, expert-comptable, commissaire aux comptes, président du tribunal de commerce de Marseille.

Mohamed Laqhila, président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paca, vient de recevoir Yves Roussel, président de la 8e Chambre de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, Charles-Alain Castorla,  président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et Bernard Nivière, expert-comptable,  président du tribunal de commerce de Marseille (Photo Robert Poulain)
Mohamed Laqhila, président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paca, vient de recevoir Yves Roussel, président de la 8e Chambre de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, Charles-Alain Castorla, président du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence et Bernard Nivière, expert-comptable, président du tribunal de commerce de Marseille (Photo Robert Poulain)
De nombreuses personnalités ont participé à ce deuxième déjeuner du Club Ethic Eco  (Photo Robert Poulain)
De nombreuses personnalités ont participé à ce deuxième déjeuner du Club Ethic Eco (Photo Robert Poulain)

Un débat dense, vaste, qui a englobé les questions de justice, d’éthique, d’équité, de compromis, voire, même, d’insomnie. Mohamed Laqhila, Président du Conseil régional de l’Ordre des Experts-Comptables de Marseille Provence-Alpes-Côte d’Azur présente les intervenants : «Nous avons le juge professionnel et des juges élus par leur pair dont un est par ailleurs expert-comptable et connaît donc notre code de déontologie». Une réunion d’autant plus riche que la pratique de la langue de bois n’était pas au menu. Il revient à Yves Roussel de planter le décor. Il évoque cette période «où, dans les sociétés occidentales, le jugement de Dieu venait à la rescousse du juge lorsqu’il était à la recherche des preuves manquantes». N’omettant pas de préciser: «Il s’agit là du terrible procédé des ordalies qui consistait à faire passer à l’accusé une épreuve physique décidant de son sort ». «On est loin des exigences de l’éthique professionnelle, constate-t-il, car la cruauté du procédé qui a eu cours jusqu’au 13e siècle, le disputait à l’aveuglement et à la surdité des juges». Il sort de cette sombre période, pour en venir à l’éthique, retient la définition d’André Comte-Sponville pour qui il s’agit d’«un art de vivre». Le philosophe soulignant: «Elle tend le plus souvent vers le bonheur et culmine dans la sagesse». Yves Roussel considère que le rapport entre l’acte de juger et l’éthique «posent toute une série de problèmes anciens». Cite à ce propos Aristote qui considérait que «l’application excessive du droit conduit à l’injustice».«C’est encore vrai, note-t-il, si l’on considère, par exemple, la profusion des lois et des normes qui finissent par créer un sentiment d’insécurité juridique». Il en vient aux rapports entre justice et éthique. «Un acte, pourra être légal mais non conforme à l’éthique, si l’on prend l’exemple de l’achat d’un objet fabriqué dans une usine où travaillent des enfants; ou être illégal mais conforme à l’éthique, comme le serait l’assistance à un persécuté en danger de mort».

«L’indépendance du juge est la condition sine qua non de la crédibilité de son action»

Il en vient alors aux exigences éthiques ou déontologiques qui s’imposent au juge, insiste sur les principes d’indépendance et d’impartialité. «L’indépendance du juge est la condition sine qua non de la crédibilité de son action. En effet, si une personne ou une autorité quelconque pouvait dicter au juge la décision à prendre, alors toute notion d’impartialité serait battue en brèche». Une fois ceci posé, Yves Roussel ne cache pas «les facteurs de fragilité quant à cette indépendance». Il aborde la question de l’impartialité : «Elle est une exigence supérieure et incontournable, largement consacrée par les lois nationales mais également par la Convention européenne des Droits de l’Homme». Mais qu’en-est-il au niveau de l’individu lui-même ? «La question est de savoir comment le juge se protège de ses propres préjugés (…) Une ouverture d’esprit suffisante au monde qui l’entoure sera déjà un premier rempart au parti pris». Il ajoute très vite que les exigences de l’éthique «lui feront prendre conscience de ce qu’il ne peut trahir les intérêts en présence pour des motifs étrangers à l’application du droit». Tout irait donc alors pour le mieux… Que nenni. «Une distanciation, poussée à l’extrême, pourrait faire craindre que le juge se place en situation de dichotomie et refuse la moindre implication personnelle». Le Magistrat rassure: «Il existe des mécanismes qui viennent corriger la tentation de l’isolement ou même la facilité de ne s’en tenir qu’à des informations parcellaires». Et d’évoquer: «La règle procédurale du respect du contradictoire qui veut que le juge ne forme son opinion et ne prenne sa décision qu’après avoir entendu les doléances et requêtes de toutes les parties en cause». Il en vient ensuite aux Prud’hommes, rappelle que, pour la Cour de cassation, «l’impartialité de la juridiction est assurée par sa composition paritaire, mi-employeurs, mi-salariés». Concernant les tribunaux de commerce, il précise que, s’appuyant sur son expérience : «L’immersion des juges consulaires dans la vie économique et leur compétence démontrée leur donne toute leur place dans l’architecture judiciaire». Et de conclure cette entrée en matière : «C’est parce que des juges élus et des jurés populaires rendent la justice, à côté des juges professionnels, que tous ces juges peuvent prétendre décider au nom du peuple français, comme cela est écrit sur chacun de leurs jugements et que nul sentiment d’appropriation de la justice, par une caste de professionnels, qui deviendraient une sorte de technocratie judiciaire, ne peut naître dans le public».

«Le tribunal de commerce de Marseille serait le plus ancien au monde»

Pour Bernard Nivière, président du Tribunal de Commerce de Marseille : «Nous sommes des commerçants qui opérons au sein d’une institution qui traverse les siècles puisque le tribunal de commerce de Marseille serait le plus ancien au monde, sa création datant du milieu du 16e siècle». Et d’insister: «Nous devons être d’une exemplarité absolue». Charles- Alain Castorla poursuit : «Nous avons survécu à la Révolution française et à Montebourg, peut-être survivrons-nous aussi à Macron. Nous sommes une particularité, nous sommes conscients que nous avons une responsabilité donnée par des siècles d’existence». «Nous sommes dans une justice de commerçants, explique-t-il, ils étaient souvent absents. Lorsqu’il y avait un litige, il fallait donc vite trancher. Une logique que nous conservons. Nous rendons à 28 juges, 3 500 décisions de justice contentieuse sur Aix-en-Provence. Nos jugements en contentieux sont rendues cinq semaines après la plaidoirie, une rapidité qui fait partie de nos qualités. J’ajoute que, seulement 3,5% de nos décisions sont infirmées en appel. Au-delà, nous nous assignons des missions, au rang desquelles la prévention. Nous apportons ainsi une aide aux entrepreneurs en souffrance psychologique». Une question émane du public: «Les juges du tribunal de commerce ne connaissent-ils pas les entreprises, les personnes qui comparaissent, avec le danger que cela peut représenter?». Bernard Nivière répond : « Il y a plusieurs juges, 3 ou 5, et le Président n’a pas une voix prépondérante. Puis, si nous avons un doute nous pouvons toujours demandé l’avis du Parquet».

«Ce qui importe c’est d’une part l’impartialité et d’autre part de rendre le jugement le plus pédagogique possible»

Mohamed Laqhila, fort d’une expérience d’expert auprès des Tribunaux, demande aux juges s’ils dorment toujours bien ? Charles- Alain Castorla répond : «Ce qui importe c’est d’une part l’impartialité et d’autre part de rendre le jugement le plus pédagogique possible car, la partie qui va succomber sera mécontente mais il importe qu’elle comprenne les raisons qui font qu’elle perde». Pour Yves Roussel : «Une manière de mieux dormir réside pour moi dans le fait de faire preuve d’empathie et de frustration». Bernard Nivière ajoutera: «Si mauvais sommeil il y a, il est dû à la frustration. On juge en droit, on répond aux questions posées, alors parfois on regrette que l’avocat pose de mauvaises questions ou oublie d’en poser des pertinentes». Maître Vidal-Naquet évoque le rôle de l’avocat : «Il est confronté à un conflit permanent entre sa conscience, son éthique et sa profession. Il doit en effet organiser la défense de quelqu’un qui ne partage ni son éthique ni sa conscience. Mais il doit, selon le titre d’un ouvrage d’Albert Naud « les défendre tous ». Et c’est la contradiction, la controverse, qui permet de rétablir l’équilibre entre celui qui défend Dieu et celui qui défend le Diable».
Un autre intervenant cite Jacques Vergès : «L’ombre et la lumière en même temps, voilà ce qui manque à la justice. Trop souvent, elle préfère le noir et blanc».

«On peut souvent dire mort aux cons…»

L’universitaire Bernard Paranque s’inscrit dans ce débat en se demandant de quelle éthique et de quelle justice avons-nous besoin aujourd’hui pour vivre demain? Puis de revenir sur la question de l’avocat. «En fait, c’est le collectif que nous formons qui fait que tout le monde a le droit à une défense. Il faut donc, si nous voulons être conforme à nos valeurs, défendre les gens qui doivent l’être». Et d’ajouter, pour être tout à fait explicite : «Sinon, on peut souvent dire mort aux cons… Mais c’est dangereux parce que nous sommes toujours le con de quelqu’un». Alors qu’un magistrat du tribunal de commerce avoue parfois mesurer douloureusement l’écart existant entre l’éthique et la justice : «Mais, tant que je n’ai pas les moyens légaux, je suis au regret de donner raison aux textes».

« Est-ce qu’un compromis est au-dessus de la justice ou est-ce l’inverse ?»

le Pr. Gilbert Benhayoun aborde les notions de l’international et du compromis : «Nous allons avoir la journée internationale de l’eau. Nombre de conflits sont liés à cette question. Une convention de 1997 évoque cette question, elle parle dans son article 5 d’un partage équitable et raisonnable et , dans son article 7 du fait que quelqu’un en amont ne peut priver ceux qui sont en aval. Or l’Éthiopie est en train de construire un immense barrage sur le Nil qui risque de priver l’Égypte d’eau. Puis, il y a le conflit israélo-palestinien. Les palestiniens parlent de justice quand les israéliens parlent de compromis. Mais est-ce qu’un compromis est au dessus de la justice ou est-ce l’inverse ? Sachant que si un compromis peut être porteur de solution, on a aussi vu, avec Munich de 1938, qu’il peut être extrêmement dangereux.»
Tandis que Maurice Brun, le président de la CCIR Paca évoque ses 30 ans de vie consulaire, les valeurs qu’il a appris dans les Alpes «qui font que je suis sensible aux valeurs de l’éthique et de la justice». Et de rendre hommage aux juges consulaires : «Ils ont un rôle complexe et ingrat et sont bénévoles à 1000% ».
Michel CAIRE

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