Forum de la Fondation Anna Lindh: « L’émergence de la citoyenneté méditerranéenne »

Publié le 5 avril 2013 à  4h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h11

Plus de 1 000 ONG prennent part depuis ce jeudi au Forum de la Fondation Anna Lindh qui se tient au Palais du Pharo sur le thème «Citoyens de la Méditerranée». C’est la voix de la société civile qui résonne au cœur de la «Semaine de la Méditerranée».

Michel Vauzelle, président de la Région PACA, en est convaincu:
Michel Vauzelle, président de la Région PACA, en est convaincu:
Si le thème du Forum de la fondation Anna Lindh,
Si le thème du Forum de la fondation Anna Lindh,

«L’émergence de la citoyenneté méditerranéenne» : aux yeux de son président André Azoulay, c’est ce que marque le Forum de la Fondation Anna Lindh, qui a débuté ce jeudi 4 avril au Palais du Pharo à Marseille sur le thème «Citoyens pour la Méditerranée». Au total, ce sont plus de 1 000 ONG de la société civile qui, au-delà des clivages religieux, sont réunies sous l’égide de l’institution partagée par les pays de l’Union pour la Méditerranée et de l’Union européenne, basée à Alexandrie (Égypte). L’événement s’inscrit pleinement dans le cadre de la «Semaine de la Méditerranée» qui se tient à Marseille. «Nous avons pour la première fois en Méditerranée la convergence de la société civile avec la Fondation Anna Lindh, des élus à travers le 3e Forum des Autorités Locales et Régionales de la Méditerranée, et, samedi et dimanche, des présidents des parlements de plus de 40 pays de la Méditerranée. C’est nouveau et c’est porteur», se réjouit le président de la Fondation Anna Lindh. Certes, il aurait aimé que les exécutifs soient «présents en force», ce qui ne sera pas le cas. «Ils sont là à la façon du théâtre des ombres. Certains sont là, mais pas de façon massive comme on l’aurait souhaité. Mais on avance dans le « Printemps de la Méditerranée »», assure-t-il.
D’autant que le rendez-vous phocéen, deux ans après un premier forum à Barcelone, est placé sous le signe de l’universalité des valeurs entre les deux rives de la Méditerranée. «Il faut que la rive Nord comprenne que la rive Sud conjugue comme tous les Européens les mots de liberté, de démocratie, de dignité et de citoyenneté», insiste André Azoulay. Et s’il demeure «des doutes en Syrie, Libye, Égypte», le président de la Fondation Anna Lindh n’en démord pas: «Ce qui se construit, ce n’est pas pour aujourd’hui, même pas pour demain, mais pour après-demain après une période de transition. C’est une Histoire longue qui frappe à nos portes.» Car entre la crise au Nord et le Printemps arabe sur la rive Sud, «des deux côtés, on va inventer quelque chose qui n’existe pas». Un contexte porteur, où «Marseille marque le début d’un nouveau cycle», qui rend «nécessaire que l’on se retrouve dans ces trois dimensions» afin de dresser «un état des lieux» constituant «un acte pédagogique en politique».

L’Europe ne se fera pas en tournant le dos à la Méditerranée

Mais avant d’en arriver là, André Azoulay ne peut s’empêcher de mesurer le chemin déjà parcouru depuis 2008. «La Fondation Anna Lindh est censée nourrir le dialogue des cultures. Or, nous n’étions pas dans ce temps-là en 2008, mais déjà dans le temps des régressions, de la frilosité, de la rupture, des fractures. Toutes ces vieilles peurs revenaient en force», rappelle-t-il. Mais la Fondation Anna Lindh a su être «un espace de résistance de la culture pour dire « non » à l’archaïsme et au retour de ces vieilles peurs». «On a tenu contre vents et marées ce cap. Et alors qu’on réunissait 140 ONG à l’époque, ce sont beaucoup plus de 3 000 aujourd’hui : la société civile méditerranéenne adhère à cette résistance», souligne André Azoulay.
Michel Vauzelle (PS), président de la Région Paca, estime lui aussi que cette «Semaine de la Méditerranée» marque «une nouvelle étape dans la construction de notre communauté de destins». «L’Europe ne se fera pas en tournant le dos à la Méditerranée. Nous sommes à la recherche de nouveaux modèles de société face à la crise et, en même temps, il s’agit de ne pas perdre notre âme et nos valeurs démocratiques. Pourquoi ce nouveau modèle ne viendrait-il pas de Méditerranée qui défend des valeurs avec de la participation de la société civile à la vie politique ? », observe-t-il. Et le président de la Région Paca de refuser le terme de «l’automne» que d’aucuns emploient pour qualifier ce que serait devenu le printemps arabe. «Non ce n’est pas l’automne, c’est toujours un printemps arabe. Mais l’Europe a elle aussi besoin d’un printemps européen face aux valeurs de l’argent. Qui pourrait être un printemps méditerranéen car une autre Méditerranée est possible et elle commence ici. Nous allons construire ce nouveau modèle qui sera le bien commun de tous les Méditerranéens», assure-t-il.

«Marseille est une Méditerranée en miniature»

Jean Roatta, adjoint au maire de Marseille qui représentait le sénateur-maire Jean-Claude Gaudin (UMP), rappelle qu’à l’instar de Michel Vauzelle aujourd’hui, il s’était également vu confier une mission sur la Méditerranée par un président de la République. «Il y a eu le discours à Tanger de Nicolas Sarkozy en 2008. On s’est dit enfin, on tourne le regard vers la Méditerranée», se souvient celui qui allait déchanter. Et de rappeler que l’erreur historique remonte à «Henri IV» qui «avait fait le choix de se tourner vers le Nord». Mais bien que déçu dans le passé, la «passion» anime toujours Jean Roatta quand il évoque la Méditerranée. « Nous devons être des artisans de la Méditerranée. Marseille est la ville la mieux située sur la Méditerranée, forte de 2 600 ans d’histoire. On va parler aux jeunes : pour cette jeunesse, il faut trouver 4 millions d’emplois chaque année autour de la Méditerranée. Nous sommes décidés à Marseille, avec la Région, à agir pour les autoroutes de la mer, la dépollution de la Méditerranée, le plan solaire, à intervenir auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) et au niveau de la formation professionnelle», énumère-t-il.
L’adjoint au maire de Marseille juge lui aussi que c’est bel et bien «le printemps de la Méditerranée». «Nous sommes inscrits dans ce projet. Aujourd’hui sera marqué d’une pierre blanche. On s’en souviendra car enfin ça va démarrer», prédit Jean Roatta.
Un projet dans lequel la CCI Marseille-Provence veut prendre toute sa place. « Tout d’abord parce que l’économie ne saurait être traitée différemment des questions sociales et sociétales, estime Louis Aloccio, vice-président de la CCIMP. Ensuite parce que Marseille est une Méditerranée en miniature : il faut que cette ville joue un rôle de plate-forme d’échanges. Enfin dans ce contexte de refondation institutionnelle, les entreprises ont des attentes fortes d’un environnement plus favorable aux échanges, et la liberté des échanges contribue à cette stabilité.»

«Le processus de Barcelone, ce n’est pas le mur des lamentations»

Si d’aucuns s’interrogent en se demandant pourquoi ce qui a échoué hier, à travers le processus de Barcelone lancé en 1995 ou l’Union pour la Méditerranée en 2008, réussirait aujourd’hui, André Azoulay refuse pour sa part de circonscrire les tentatives passées à de simples échecs. «Ce qui a été lancé en 2008, c’est un processus long. Ce qui était historique, c’est le mot « union » et on a applaudi immédiatement. Nous au Sud, nous ne sommes pas éligibles à l’Union européenne alors que dans nos pays, elle est la première partout, en termes de flux économiques, culturels et financiers», souligne-t-il. Quant au processus de Barcelone, «ce n’est pas le mur des lamentations». «Nous avons passé un cap. L’Europe et le Sud ont créé de la richesse», juge le président de la Fondation Anna Lindh. Et d’estimer que la question qui se pose aujourd’hui est de savoir «dans quelle division allons-nous jouer demain ? ». «Dans un an, dans 50 ans, dans ce que nos enfants vont avoir en tête, cette perspective crée de nouvelles règles. Alors il y aura toujours le conflit israélo-palestinien, la crise en Europe ou un autre événement que l’on nous opposera pour nous dire que ce n’est pas le moment. Mais nous, nous pensons que c’est le moment depuis longtemps», insiste André Azoulay. Certes, la société civile n’a pas le pouvoir des exécutifs pour «trouver des sorties politiques ». Mais qu’importe. «Il faut au moins faire en sorte d’expliquer qu’il y a une sortie politique, institutionnelle à ce que nous construisons ensemble. L’universalité des valeurs qui n’existait pas il y a cinq ans, c’est un rendez-vous que l’Histoire nous donne. Cette histoire a commencé en 2008, elle n’a pas avancé aussi vite qu’on l’espérait, mais l’encre n’est pas sèche encore, le livre n’est pas refermé», martèle le président de la Fondation Anna Lindh.

«Dépasser les convictions religieuses et notre propre conditionnement pour rendre la Méditerranée plus juste»

Et Michel Vauzelle d’abonder dans le même sens. «L’Europe doit constater la communauté de destins avec la Méditerranée. C’est une donnée, un fait : le destin de l’Europe est lié à celui de la Méditerranée, ou ce sera le pire des intégrismes, du refus des visas… Nous ne voulons pas de cette Méditerranée-là », résume-t-il en soulignant qu’«il faut quitter cette image de l’Europe qui irait donner des leçons de démocratie au Sud».
Pour Lilian Thuram, l’ancien vainqueur de la Coupe du Monde 1998 qui a créé une fondation «Éducation contre le racisme», c’est le mot «coopération» qui caractérise cette rencontre. «C’est une nouveauté. Il n’y a pas si longtemps il y avait une hiérarchie établie, il n’y a pas si longtemps, c’était le code de l’indigénat», rappelle-t-il. Et d’estimer qu’à ses yeux «l’universalisme» des valeurs a «toujours été présent». «Nous sommes tous à la recherche de la liberté car nous sommes tous des êtres humains», résume-t-il. Et d’en appeler à «dépasser les convictions religieuses et notre propre conditionnement pour rendre la Méditerranée plus juste». «J’invite les enfants à questionner leur propre religion. Je ne dis pas qu’il ne faut pas croire, mais la religion ne crée pas l’égalité. De la même manière, il faut avoir la capacité de se détacher de nos propres conditionnements. Chacun pense que ce qu’il pense est vrai, chaque pays pense qu’il est le centre du monde. Il faut apprendre à se décentrer et prendre conscience que nous sommes porteurs d’une histoire et d’une capacité à faire évoluer la société», argumente Lilian Thuram.

«Il est important de rêver, c’est la meilleure façon d’éduquer les gens»

Or, «pour dépasser ce conditionnement très fort» qui est l’apanage de chacun, rien ne vaut l’échange. «On a besoin de rediscuter, de ne pas être d’accord. Dans 50 ans, on se dira heureusement qu’il y a des gens pour dialoguer. Il y a au Sud les conditions religieuses, de genre avec les femmes qui sont encore maltraitées car dans certains pays les hommes veulent garder leur avantage. Mais nous aussi nous devons questionner notre société et les accompagner. Voilà pourquoi je suis là car c’est extraordinaire de construire des ponts. Car quand il y a des ponts, il y a souvent plus de compréhension et de respect entre les personnes», plaide l’ancien champion du monde de football.
Et quand bien même le thème du Forum Anna Lindh, «Citoyens pour la Méditerranée» pourrait paraître utopique à bien des égards, Lilian Thuram revendique ce droit au rêve. «Mon grand-père est né en 1908, 60 ans après la fin de l’esclavage. Heureusement que des gens ont rêvé la fin de l’esclavage, le droit de vote aux femmes… Il est important de rêver, c’est la meilleure façon d’éduquer les gens. Il faut prôner l’utopie sinon on va tous déprimer. Moi, je raconte aux jeunes que le racisme diminue. Il faut être porteur que c’est possible : il faut rêver à des choses possibles et se dire que dans le doute, c’est possible», plaide-t-il.
Et André Azoulay d’estimer quant à lui que «nous sommes pionniers sur des bases objectives car les mots de pluralité, diversité… résonnent des deux côtés de la Méditerranée». «C’est ce qui fait la Méditerranée plus que la loi. On est peut-être encore pionniers, mais allumons ce clignotant», conclut le président de la Fondation Anna Lindh.
Serge PAYRAU

Articles similaires

Aller au contenu principal