Faculté de Droit et de Science Politique, Marseille

Publié le 12 mars 2013 à  1h00 - DerniÚre mise à  jour le 10 août 2023 à  10h35

Les femmes au cƓur du monde arabe

PHOTO PHILIPPE MAILLÉ
PHOTO PHILIPPE MAILLÉ

« Les femmes au cƓur du monde arabe, droit, Ă©conomie et sociĂ©tĂ© », tel est l’intitulĂ© du colloque qui s’est dĂ©roulĂ© ce 8 mars, Ă  l’occasion de la journĂ©e des femmes, Ă  la facultĂ© de Droit et de Science Politique, Campus CanebiĂšre, Ă  Marseille. Une journĂ©e organisĂ©e par le DiplĂŽme coopĂ©ration juridique et commerciale avec le monde arabe.
La matinĂ©e, aprĂšs l’ouverture de la journĂ©e par la sĂ©natrice et maire des 15/16, Samia Ghali a portĂ© sur religion(s) et droit et droit et statut(s) personnel(s).
La sĂ©natrice se rĂ©jouit de voir un amphithĂ©Ăątre comble et une quasi-paritĂ© dans le public « d’habitude, pour le 8 mars, nous avons 80% de femmes alors que les droits de la femme, ce sont aussi les droits de l’homme, il ne faut jamais les opposer ». Elle lance le dĂ©bat en s’interrogeant : « Votre intitulĂ© parle de femmes au cƓur du monde arabe. Mais il est oĂč le monde arabe ? Il est partout. Quand je regarde cette salle, je vois le monde arabe. A Marseille, la mĂ©diterranĂ©enne, le monde arabe est prĂ©sent, non ? Alors je parlerai de la femme du monde arabe. Or, dans notre sociĂ©tĂ© en crise, non seulement les inĂ©galitĂ©s persistent mais nous assistons Ă  des rĂ©gressions en matiĂšre de condition fĂ©minine, et si l’Europe recule cela fera reculer tous ceux qui doivent nous regarder comme un exemple ». Puis de conclure en proposant Ă  la facultĂ© d’inviter des femmes des quartiers Ă  un dĂ©bat : « Elles apprendraient beaucoup mais elles pourraient aussi beaucoup apporter » .

Blandine Chelini-Pont introduit la premiĂšre session, sur religion(s) et droit en mettant en lumiĂšre les mutations contradictoires qui secouent la rive Sud de la MĂ©diterranĂ©e avant de cĂ©der la parole Ă  Asma Lamrabet. Cette derniĂšre, mĂ©decin biologiste Ă  Rabat, et prĂ©sidente du Groupe International d’Études et de RĂ©flexion sur les Femmes en Islam (GIERFI), intervient sur la question des femmes en Islam. Elle note en premier que « la question de l’inĂ©galitĂ© homme/ femme transcende toutes les religions ». Elle n’omet pas de signaler : « Ce n’est d’ailleurs pas dans le Coran qu’il est dit que la femme est issue de la cĂŽte d’Adam, la crĂ©ation est Ă©galitaire ». Elle poursuit : « ce n’est pas le Coran qui pose problĂšme, ce sont les interprĂ©tations qui en ont Ă©tĂ© tirĂ©es ». De plus, selon elle « il faut faire la part des choses entre l’Islam en tant que fait institutionnalisĂ© et la dimension spirituelle. Il faut donc Ă©vacuer les contingences et revenir au sens premier du texte qui est libĂ©rateur, tant pour les hommes que les femmes. Le premier verset parle ainsi du savoir, invite Ă  la raison, Ă  la rĂ©flexion, et donc Ă  la justice. D’ailleurs, plusieurs versets du Coran imposent la justice, aucun la croyance. Mais cela est malheureusement trop absent de la rĂ©alitĂ© arabo-musulmane. Des avancĂ©es existent, mais les rĂ©sistances sont lĂ . Ainsi, un brouillon de la constitution marocaine parlait de libertĂ© de conscience, avant que cela ne soit remplacĂ© dans le texte par libertĂ© de culte, ce qui n’est pas la mĂȘme chose ».
Puis de plaider pour plusieurs lectures du Coran, pour une lecture contextualisĂ©e « afin de permettre Ă  l’Islam d’ĂȘtre Ă  la hauteur des dĂ©fis de notre Ă©poque. Car il faut bien constater que 98% du texte relĂšve du fondamental, le reste rĂ©pond Ă  des questions conjoncturelles de son Ă©poque, ce qui, pour partie, nĂ©cessite interprĂ©tation, et, pour d’autres points, est aujourd’hui complĂštement dĂ©passĂ© ».

« Il faut rejeter une lecture patriarcale pour retrouver l’idĂ©al humaniste du Coran »

Elle poursuit en indiquant que la rĂ©pudiation n’existe pas dans le Coran, pose la question de l’hĂ©ritage dans le cadre de l’Ă©galitĂ© des sexes, plaide pour une rĂ©forme profonde du droit musulman, une rĂ©forme profonde de l’Ă©ducation. « Les femmes doivent reprendre la parole, s’Ă©manciper, au nom mĂȘme du sacrĂ©. Il faut rejeter une lecture patriarcale pour retrouver l’idĂ©al humaniste du Coran ».
Imad Khillo est maĂźtre de confĂ©rence en droit Public de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble, il intervient sur « le statut de la femme musulmane dans le monde arabe : entre vision religieuse et vision internationales ? ».
« Le dĂ©bat remonte au milieu du XXe siĂšcle avec la dĂ©claration Universelle des Droits de l’Homme. Le texte parle de la libertĂ© de changer de religion, face Ă  cela l’Arabie Saoudite a menacĂ© de rejeter tout le texte, mais elle n’a pas Ă©tĂ© Ă©coutĂ©e car ce texte n’a aucune valeur contraignante. Mais, en 1966, la communautĂ© internationale a considĂ©rĂ© qu’un texte contraignant s’imposait. L’Arabie Saoudite a alors menacĂ© de monter un groupe d’États qui rejetteraient le texte si l’article sur la libertĂ© de changer de religion en faisait partie… et cet article a disparu. Puis il a Ă©tĂ© question d’un texte, en 1979, relatif Ă  la disparition de toutes les discriminations envers les femmes. LĂ  encore, il y a eu conflit entre la vision universaliste et celle religieuse. LĂ  encore on a vacillĂ© entre les droits de l’Homme et le droit interne liĂ© Ă  la charia ».Plusieurs oppositions ont Ă©tĂ© formulĂ©es, notamment par le Maroc dĂšs l’article premier, sur l’Ă©galitĂ© homme/ femme. De mĂȘme, concernant l’article 16 qui avance que les hommes et les femmes ont les mĂȘmes droits et responsabilitĂ©s au cours du mariage et lors de sa dissolution. « Le Maroc s’est opposĂ© Ă  cette rĂ©daction proposant que l’on parle Ă  la place de respect du droit des femmes pendant le mariage et lors de sa dissolution ».
Il aborde alors la question de la notion de rĂ©serve en droit international, la rĂ©serve Ă©tant une dĂ©claration unilatĂ©rale faite par un État en vue de modifier pour lui-mĂȘme les effets juridiques de certaines des dispositions d’un traitĂ© Ă  l’Ă©gard duquel il s’apprĂȘte Ă  s’engager dĂ©finitivement. La Cour Internationale de Justice accepte cela, Ă  la condition que la rĂ©serve ne soit pas en contradiction avec l’objet mĂȘme du texte.
Alors, lorsqu’un texte international prĂ©voit l’Ă©galitĂ© homme/femme sur la nationalitĂ© de l’enfant, l’ensemble des pays arabes formule une rĂ©serve car leur codes nationaux fixent une diffĂ©rence entre homme et femme. Il en est allĂ© de mĂȘme sur la question du divorce. Une rĂ©serve, gĂ©nĂ©ralement est explicitĂ©e, sauf par le KoweĂŻt qui a rejetĂ© des articles sans mĂȘme prendre la peine d’expliquer pourquoi. « Le summum a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par l’Arabie Saoudite qui a signĂ© une convention, s’engageant Ă  la respecter. Mais le Royaume prĂ©cisait, Ă  la derniĂšre ligne, qu’en cas de contradiction entre la convention et les normes islamiques, il n’avait pas d’obligation Ă  respecter la convention ».

« Selon que vous soyez puissant ou misĂ©rable… »

L’intervenant prĂ©cise alors que « si un État peut Ă©mettre des rĂ©serves, un autre peut Ă©mettre des objections Ă  propos de ces derniĂšres. Ce qu’a fait l’Allemagne Ă  propos de la rĂ©serve de l’Arabie Saoudite. Sachant que ces objections ne peuvent empĂȘcher un État d’ĂȘtre membre d’une Convention, mais cela permet tout un jeu politique. A ce propos il faut savoir qu’il y a eu 55 objections contre la Libye, 12 contre l’Arabie Saoudite. Selon que vous soyez puissant ou misĂ©rable… ».
Point question de pessimisme de sa part, il note les avancĂ©es du Maroc suite Ă  « l’appel de Rabat en 2006 pour une Ă©galitĂ© sans rĂ©serve ». Il conclut : « Il faut travailler les mentalitĂ©s sur la dĂ©mocratie et le droit des femmes ».

« Des pĂšres se convertissent Ă  l’Islam pour rĂ©cupĂ©rer leur enfant et ne pas payer de pension alimentaire »

Nael Georges, enseignant-chercheur Ă  l’universitĂ© Paris11 aborde la question du statut de la femme dans les États multiconfessionnels arabes. Il note en premier lieu qu’ « on ne peut pas ne pas appartenir Ă  une religion dans cette partie du monde, mĂȘme si l’on est athĂ©e ». Et la discrimination est lĂ , une femme musulmane ne peut pas Ă©pouser un non musulman alors qu’un musulman peut Ă©pouser une non-musulmane, pourvu qu’elle relĂšve du Livre, qu’elle soit donc juive ou chrĂ©tienne. « Le Liban est le seul a accepter le mariage mixte, pratiquĂ© Ă  l’Ă©tranger. Mais la Charia est pratiquĂ©e Ă  partir du moment oĂč un musulman est concernĂ© ». En Syrie, depuis un arrĂȘt de la Cour de Cassation, en 1981, la justice peut enlever un enfant Ă  une mĂšre non musulmane s’il considĂšre qu’elle a une influence nĂ©gative sur la religion de l’enfant : « RĂ©sultat des pĂšres se convertissent Ă  l’Islam pour rĂ©cupĂ©rer leur enfant et ne pas payer de pension alimentaire ».
En Syrie et en Jordanie « les crimes d’honneur sont trĂšs pratiquĂ©s par les pĂšres, fils et maris, en cas d’adultĂšre. Sachant que l’homme ne commet l’adultĂšre que s’il pratique l’acte Ă  son domicile. Et, bien sĂ»r, en cas de crime d’honneur, le coupable est exonĂ©rĂ© de la peine ».
Face Ă  cela, l’intervenant se prononce en faveur « d’un code civil laĂŻque dans ces pays, permettant d’avoir le choix entre le code religieux et le laĂŻque ».

« Si Dieu tolÚre la polygamie, il y associe des conditions impossibles à tenir, ce qui impose la monogamie »

La deuxiĂšme session, sur droit et statut(s) personnel(s) est placĂ©e sous la prĂ©sidence de Jean-Philippe Agresti et c’est StĂ©phane Papi, chercheur, qui aborde la question des « droits de la femme Ă  l’aulne des statuts personnels et successoraux ». Il indique en premier lieu que « le monde arabe est un espace de tension entre tradition et modernitĂ© ». Il rappelle Ă  ce propos que la baisse du taux de natalitĂ© et le taux croissant d’alphabĂ©tisation montrent un monde arabe qui tend vers la modernitĂ©. « On perçoit un individu arabe autonome, qui a soif de modernitĂ©, ce qui ne veut pas dire qu’il rĂȘve d’un mimĂ©tisme avec l’Occident, objet en mĂȘme temps de fascination et de rejet ». Il constate que les États arabes « ne sont pas globalement sĂ©cularisĂ©s », constate des inĂ©galitĂ©s entre hommes et femmes « et cela relĂšve plus des interprĂ©tations que du Coran lui-mĂȘme ». Il note dans ce sens : « Si Dieu tolĂšre la polygamie , il y associe des conditions impossibles Ă  tenir, ce qui impose la monogamie ». Il continue : « Seule la Tunisie a interdit la polygamie alors que l’Arabie Saoudite, Ă  l’opposĂ©, juge que tout le monde sait que l’homme a des dĂ©sirs qu’une seule femme ne peut satisfaire ». Un fossĂ© « pour mettre en lumiĂšre le fait que le monde arabe est pluriel ». Avant de revenir Ă  la diffĂ©rence qui existe entre le texte et les interprĂ©tations : « Le ProphĂšte donne des droits aux femmes qui prouvent sa volontĂ© d’aller de l’avant d’autant qu’Ă  son Ă©poque il n’Ă©tait pas rare d’enterrer des filles vivantes ».

« Le cĂ©libat comme expression d’un libre choix »

Enfin, Barkahoum Ferhati, maĂźtre de recherche au Centre National de recherche prĂ©historique, anthropologique et historique d’Alger, aborde le statut des femmes cĂ©libataires en AlgĂ©rie. Un pays oĂč l’homme cĂ©libataire est vu avec indulgence « car il attend le mariage », contrairement Ă  la femme cĂ©libataire qui, selon un dicton populaire, est celle « qui mange l’enfant dans son ventre ».
Elle indique, que, dans un pays oĂč le sujet est tabou, l’Ăąge du cĂ©libat augmente puisque les femmes se marient de plus en plus tard. Du fait, notamment « que les filles s’impliquent de plus en plus dans les Ă©tudes, meilleur moyen pour obtenir son indĂ©pendance ». Mais, un diplĂŽme, pour une femme : « cela peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une source de revenus, mais cela peut aussi ĂȘtre considĂ©rĂ© comme dangereux par un homme diplĂŽmĂ© qui aura tendance Ă  chercher une femme plus jeune et sans diplĂŽme ».
La sociĂ©tĂ©, malgrĂ© les blocages, les pesanteurs, Ă©volue, 7 000 naissances hors mariage sont recensĂ©es par an : « Les mĂšres cĂ©libataires lancent un dĂ©fi Ă  la sociĂ©tĂ© en voulant assurer, coĂ»te que coĂ»te, la garde de leur enfant. Et un nouveau phĂ©nomĂšne se fait jour : le cĂ©libat comme expression d’un libre choix. L’affirmation de : je donne l’amour donc je suis, quand je veux, avec qui je veux ».
L’intervention de Nolwenn Lecuyer, chargĂ©e de mission « Ă©galitĂ© Hommes-Femmes » pour l’universitĂ© d’Aix-Marseille, maĂźtre de confĂ©rence Ă  la Maison MĂ©diterranĂ©enne des Sciences de l’Homme, aura, au prĂ©alable, Ă©viter de croire que tout est rĂ©glĂ© en France : « Cette mission peut paraĂźtre anecdotique dans un pays dĂ©mocratique et laĂŻque. Malheureusement une telle fonction montre que les situations sont loin d’ĂȘtre celles d’un pays oĂč sont respectĂ©s les droits de la femme ».

Luc CONDAMINE

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