Festival de Cannes. Dans ‘Rapito’ Marco Bellocchio livre une fresque marquante sur le rapt d’un jeune juif

Publié le 26 mai 2023 à  20h47 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  19h40

L’Enlèvement (Rapito), en lice pour la Palme d’or, relate l’arrachement d’un enfant juif à sa famille par les brigades du pape, en 1858. Edgardo Mortara, a 6 ans. Bébé, il a été baptisé en secret par une servante catholique, inquiète pour le salut de son âme. Il devient ainsi, à l’insu de ses parents, « chrétien pour l’éternité » et l’otage de la papauté.

L'enlèvement © Kavac Film & IBCmovie
L’enlèvement © Kavac Film & IBCmovie

Une osculation de l’Italie

Bellocchio porte à nouveau le fer là où son pays a péché (fascisme mussolinien, Brigades rouges, Mafia…), cette fois il appui sur les enlèvements d’enfants juifs pour les convertir au milieu du 19ème siècle. À travers l’affaire Edgardo, il livre un drame historique et lève le voile sur cette pratique, répandue à l’époque, et exercée au nom de dieu pour sauver l’âme des juifs. Le maestro italien signe un film puissant. Ses plans sont des tableaux du Caravage, tout en clair- obscur. Il renforce les oppositions et les sentiments. Famille juive éplorée et papauté implacable.

Une aliénation progressive

L’histoire d’Edgardo Mortara est le récit d’un lavage de cerveau. Edgardo, converti en curé abandonnera la foi juive pour celle du Saint-Père. C’est bien sûr à l’Église que Bellocchio, à jamais pourfendeur d’institutions, réserve ses piques et un procès. Des scènes sont mémorables comme celle du drôle de cauchemar de Pie IX qui se voit cerné de rabbins venus le circoncire dans son lit. Mais ce cauchemar s’efface, l’hubris y succède quand il reçoit des émissaires juifs venus plaider la cause des Mortara et les contraints de ramper devant lui : «Je pourrais vous faire mal, très mal. Je pourrais vous forcer à retourner dans votre trou.» Dans le même temps, le travail d’embrigadement est à l’œuvre, basé sur l’enfermement et la culpabilisation. Lorsque Edgardo demande quand il pourra revoir sa mère, on lui répond que c’est elle qui viendra et qu’il devra “le mériter”. Dès son arrivée, on explique au jeune Edgardo, devant une statue du Christ crucifié sur la croix, que les juifs ont tué Jésus. Un soir, comme pour absoudre ses péchés, le jeune garçon retire les clous des mains et des pieds de la statue de Jésus, et le ramène à la vie. Cette scène fantasmagorique symbolise le rêve de l’enfant de quitter sa prison.

Deux trajectoires communes

Edgardo Mortara deviendra finalement prêtre et demeurera jusqu’à sa mort un fervent catholique, à l’écart de sa famille. Mais Bellocchio laisse un halo de mystères sur la psychologie d’Edgardo tout au long du film. Fait-il semblant ? Est-il dans un réflexe de protection ou victime du syndrome de Stockholm ? Tout au long du récit, le personnage fascine et interroge. Il est à l’image de l’Italie à l’époque faite de contradictions et hésite entre religiosité et indépendance. Joël BARCY

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