Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Pires et Goerner : deux pianistes au sommet de leur art

Publié le 16 avril 2022 à  15h34 - Dernière mise à  jour le 5 novembre 2022 à  12h05

Maria João Pires d’une part et Nelson Goerner ensuite, programmés dans le cadre du Festival de Pâques ont fait éclater leur génie du piano. Et le public de leur faire une ovation ô combien méritée.

Maria João Pires un médium mozartien

Maria João Pires avec l'orchestre de Monte-Carlo est chez Mozart comme en son jardin. (Photo Caroline Doutre)
Maria João Pires avec l’orchestre de Monte-Carlo est chez Mozart comme en son jardin. (Photo Caroline Doutre)

On peut dire de la pianiste Maria João Pires qu’elle est un medium de Mozart. Chaque note, chaque souffle sortant de son piano quand elle interprète un concerto, ou une sonate du grand Wolfgang Amadeus distille en la matière une force inégalée, une poésie qui donne le frisson, une sorte de vertige, un supplément d’âme. Maria João Pires est chez Mozart comme en son jardin, et on l’impression à chaque concert qu’elle donne à l’entendre pour la première fois. A l’image de Martha Argerich ou du regretté Nelson Freire, la pianiste portugaise qui compte parmi les plus grands virtuoses du monde, ne joue jamais un concert de la même manière que la veille. C’est sa particularité qui confère à la magie, et on saluera une fois encore sa prestation sur le « Concerto n°9 » de Mozart dit concerto «Jeunehomme» qu’elle a interprété au GTP dans le cadre du Festival de Pâques sous la direction de Kazuki Yamada à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.

Un orchestre qui ne cesse sous sa baguette de progresser même si l’ouverture du «Songe d’une nuit d’été» de Mendelssohn donné en début de programme avait un côté par trop décoratif. Le duo Yamada-Pires a fonctionné à merveille durant ce concerto «Jeunehomme» que Mozart aurait écrit ,contrairement à ce que l’on pense, pour une jeune femme, une pianiste française de passage à Salzbourg portant ce nom de famille, dont l’identité resta longtemps un mystère pour les spécialistes de l’histoire de la musique. Dès les premières notes Pires excelle, subjugue, fait respirer les silences, fait entendre la voix du cœur et celle de l’âme. C’est absolument divin, inoubliable, absolument parfait, et c’est absolument inoubliable. Pires se rapproche du travail de référence de Murray Perahia dont l’enregistrement des concertos pour piano de Mozart demeurent des sortes de perfection. Pires au piano c’est un pont entre Mozart et le ciel ! Et que dire de son rappel où elle nous fit entendre un «Clair de lune» de Debussy d’une beauté à tomber par terre.

Nelson Goerner, Empereur du piano chez Debussy, Albeniz, Fauré et Schumann

Nelson Goerner au Conservatoire d'Aix est au service d’une partition et la sert sans se servir d’elle. (Photo Caroline Doutre).
Nelson Goerner au Conservatoire d’Aix est au service d’une partition et la sert sans se servir d’elle. (Photo Caroline Doutre).

Tout comme Maria João Pires, le pianiste argentin ne joue jamais deux concerts au programme identique de la même façon. Ceux qui tous les ans assistent à ses concerts au Festival de La Roque d’Antheron peuvent l’attester, et leur admiration n’a d’égale que celle des Aixois présents au Conservatoire Darius Milhaud en ce 13 avril. C’est avec Debussy que s’est ouverte la soirée. Trois moments de grâce : «Pagodes», «La soirée dans Grenade», «Jardins sous la pluie» constituant les «Estampes» une œuvre écrite en 1903 et qui peut se définir comme la première œuvre pianistique majeure de Debussy. Celle qui définit son style, et annonce les «Préludes». Non seulement Debussy invente une nouvelle technique pianistique, plus intime et délicate, par opposition aux prouesses techniques alors à la mode mais il redéfinit également le rôle du piano. Celui-ci n’est plus cet instrument sentimental et passionnel tel que le voyaient les romantiques, convergence de tous les maux et tourments, il se mue en machine à rêve et en compagnon de voyages imaginaires. Dans «Estampes», c’est une palette de sonorités inconnues que découvre l’auditeur, à la fois douce, poétique, expressive et dénuée de tout maniérisme que rend avec fougue, technicité et poésie un Nelson Goerner au sommet de son art. Puissant, Nelson Goerner fait exploser son génie dans les «Variations» de Gabriel Fauré, données ensuite. Dense, sa vision des trois extraits de «Iberia» d’Albeniz offrait un piano coloré, mettant en lumière de façon subtile des lieux chers au compositeur. Nelson Goerner au service de la partition, et la sert sans se servir d’elle. Cette humilité associée à sa flamboyance de jeu explose littéralement dans les Études symphoniques de Schumann venant clore ce récital comme suspendu hors du temps. Avec en rappel un «Nocturne» de Chopin et un morceau de Liszt d’une beauté sombre. Cela s’appelle le piano du cœur et de l’excellence. Pour une soirée sublime.
Jean-Rémi BARLAND

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