Forum Europe-Afrique: ‘Et si l’Europe commençait à se réveiller…’

Publié le 22 mai 2023 à  7h45 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  16h30

La Tribune et La Tribune Afrique viennent d’organiser la deuxième édition du Forum Europe-Afrique à Marseille. Placée sous le haut patronage du président de la République, cette manifestation a su une nouvelle fois, mettre en avant les potentialités comme les freins à un développement durable des continents européens et africains.

Forum Europe-Afrique (Photo Michel Caire )
Forum Europe-Afrique (Photo Michel Caire )
La première soirée d’échanges, le 15 mai au Mucem, a été consacrée aux questions culturelles, notamment aux « représentations » que construisent les médias et les images. Les industries culturelles et créatives sont également un secteur porteur d’emploi et de revenus. Un dossier sur lequel est intervenue Sabina Roubache, la députée évoquant le volet cinéma du «Grand Marseille», plan porté par le président de la République. «20 millions d’euros sont prévus pour permettre à Marseille d’accueillir des tournages de standing international». affiche.png Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, ouvre en visio la deuxième journée, le 16 mai au Pharo, en insistant sur l’importance de voir se construire une relation Europe-Afrique basée sur un principe d’égalité. Il cite comme exemple les matières premières critiques et le développement de l’économie par le numérique. Concernant les matières premières critiques, il avance: «Il importe, dans le respect de la transition verte et numérique de développer une relation durable, bénéfique pour l’Afrique avec une valeur ajoutée restant sur ce continent. Il faut pour cela développer une base industrielle sur le continent». Concernant le numérique, il avoue «être marqué par la créativité des jeunes africains. Les talents sont là tout comme les concepts d’innovations».

« Bâtir ensemble pour exister dans le monde du futur»

Pour Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée: «Les défis que nous connaissons sont aussi des opportunités. On a une démographie galopante et une jeunesse formée en Afrique alors que l’Europe connaît une crise de la démographie. Nous sommes face à un défi climatique sans précédent, on a une crise de la chaîne des valeurs. L’Europe perd de la population, perd des marchés face à une Chine qui prend de plus en plus d’importance sur le plan politique et économique. Pour moi il est clair que si l’Europe veut continuer de prospérer elle doit renforcer ses liens de voisinages à l’Est comme au Sud. Elle doit s’inscrire dans une politique durable, en produisant plus dans le Sud, en créant plus de valeur ajoutée au Nord comme au Sud. On a besoin de l’Europe et vous avez besoin de nous si elle veut continuer de peser. Elle doit s’allier à l’Afrique, investir en Afrique, y créer des emplois. Et l’enjeu est le même face au changement climatique. Nous sommes obligés de travailler ensemble, d’investir ensemble, de bâtir ensemble pour exister dans le monde du futur».

L’Afrique, c’est l’agilité

Amélia Lakrafi, députée des Français établis hors de France Afrique Moyen-Orient insiste sur la force, le dynamisme du continent africain, évoque la crise liée à la Covid: «J’ai demandé aux entreprises françaises installées en Afrique ce dont elles avaient besoin pour passer cette crise et 57% d’entre elles m’ont répondu qu’elles avaient créé de nouveaux produits liés à la Covid. C’est cela pour moi l’Afrique: l’agilité». Puis de dénoncer: «Comment accepter que des jeunes fassent des études brillantes et souvent fort chères dans des établissements français en Afrique et leur Bac obtenu ne bénéficient pas de visas pour poursuivre leurs études en France? J’aimerais que l’on mène une opération pilote avec le Gabon et le Congo Brazzaville permettant aux jeunes de faire leurs études en France, sans visas». Nasser Kamel d’ajouter: «Il importe en effet de mettre en place des mobilités intelligentes permettant aux talents de bénéficier d’une liberté de circulation. Je pense aux étudiants mais aussi aux hommes d’affaires».

«C’est la solidarité qui nous a permis de gagner contre la Covid»

Azali Assoumani, président de l’Union Africaine et président des Comores exprime sa satisfaction de voir ce Forum se tenir à Marseille «trait d’union entre l’Europe et l’Afrique». Il rappelle que: «dans le monde globalisé dans lequel nous vivons c’est la solidarité qui nous a permis de gagner contre la Covid; c’est elle qui nous permettra de lutter contre le terrorisme; de relever les défis du changement climatique». Il insiste à ce propos sur le fait que l’Afrique ne produit que 4% des gaz à effet de serre mais «sera parmi les plus touchées». Azali Assoumani entend s’inscrire dans une dynamique et affiche à ce propos la volonté de l’Afrique d’être membre de plein droit du G20 et d’appeler le secteur économique privé européen à travailler avec celui d’Afrique.

«Un désamour du fait des plaies du passé»

Martine Vassal, présidente du département des Bouches-du-Rhône et de la métropole Aix-Marseille Provence souligne: «Nous avons des liens forts avec l’Afrique de par notre positionnement géographique, et de par notre diaspora africaine forte de 300 000 habitants. Chaque année nous accueillons 3 000 étudiants africains. Nous rencontrons par ailleurs des difficultés similaires avec le réchauffement, la sécheresse, la montée des eaux». Elle note que «la jeunesse africaine se pose pas mal de questions par rapport à l’Europe. Il y a un désamour lié aux plaies du passé. Il faut se souvenir de ce qui s’est produit, se le dire et il faut accueillir des jeunes et travailler pour faire face aux défis sans précédent auxquels nous sommes confrontés les uns et les autres. Car oui, nous sommes liés par la Méditerranée que nous avons en partage. Les énergies sont là, il faut les transformer en force».

«l’Afrique c’est une vitalité économique, démographique, une vitalité d’entrepreneurs»

Didier Parakian, vice-président de la métropole AMP, en charge des Fonds européens, des Relations internationales, considère: «Nous avons plus besoin de l’Afrique, que l’Afrique a besoin de nous. Parce que l’Afrique c’est une vitalité économique, démographique, une vitalité d’entrepreneurs.» Signale trois opérations, auxquelles la métropole est associée, lancées à l’occasion du Forum: Young leaders, Soft Landing Afrique et le Prix One Provence. «Young leaders a pour objet l’accueil d’une cinquantaine de jeunes de moins de 40 ans participant au développement des relations Europe-Afrique. Soft Landing Afrique est une opération que nous menons dans le cadre de la capitale européenne de l’innovation. Nous allons verser 100 000 euros pour faciliter l’accueil de start-up africaines par nos incubateurs». Martine Vassal précise: «C’est de Marseille que la commission européenne annoncera le prochain lauréat de la capitale de l’innovation. Avec ce titre nous sommes entrés dans le club très fermé des capitales de l’innovation et cela favorise la volonté de métropoles de travailler avec nous, c’est notamment le cas de Bruxelles. Et nous préparons d’autre part un grand événement festif autour de l’innovation».

Les premiers prix One Provence

Didier Parakian reprend: «Nous remettons aussi les premiers prix « One Provence ». Il y a trois catégories, la première concerne les entreprises africaines qui investissent sur le territoire. Le prix est attribué à Ethiopian Airlines, une très belle compagnie africaine qui propose des vols vers Adis Abeba et Rome depuis Marignane. La deuxième catégorie concerne des entreprises du territoire qui travaille avec l’Afrique. Le prix est attribué à NGE, groupe de BTP implanté Saint-Étienne-du-Grès. La troisième catégorie concerne des entreprisses qui font le choix de venir s’implanter sur le territoire pour travailler avec l’Afrique. C’est Tajima, leader mondial des machines à broder qui s’est implanté à La Ciotat pour se développer sur le marché africain». [(

Rahmatou Keïta

Rahmatou Keïta (Photo Joël Barcy)
Rahmatou Keïta (Photo Joël Barcy)

«On veut imposer le regard occidental à nos cinéastes et je trouve cela scandaleux»

Rahmatou Keïta, productrice et réalisatrice évoque les difficultés de financement du cinéma africain en Europe et notamment en France, mais aussi «des chefs-d’œuvre africains qui n’ont jamais été distribués en France». Au-delà, elle plaide: «Il faut que l’Europe, la France, arrêtent de soutenir une image misérabiliste que l’on donne de l’Afrique. Il faut une pluralité de regards parce que l’on parle d’un continent extraordinaire». Elle ajoute: «On montre toujours des femmes soumises mais ce n’est pas vrai. Nous sommes des matriarcats et c’est l’islam puis l’occident avec son christianisme et son colonialisme qui s’en sont pris au pouvoir des femmes. C’est l’occident qui a interdit l’école aux filles, c’est l’occident qui a remplacé nos reines par des hommes. Mais ce sont toujours des femmes qui portent le continent sur leurs épaules et il faut que cela se sache. Regardez le cinéma américain, il y a de tout, il parle de la mafia, du racisme, de la guerre, d’amour… Et nous c’est toujours le même regard, on veut imposer le regard occidental à nos cinéastes et je trouve cela scandaleux».

Myriam Fournier-Kacimi

Myriam Fournier-Kacimi (Photo Joël Barcy)
Myriam Fournier-Kacimi (Photo Joël Barcy)

«On est sollicités au USA, à DubaÏ, en France… »

«En Afrique, on a des problèmes en tout genre et comme on a des problèmes en tout genre il faut trouver des solutions». Myriam Fournier-Kacimi, fondatrice et PDG de Sungy en Afrique et Europe est une femme sémillante à l’image du continent. Sa société basée à Alger est constituée d’ingénieurs chargés de développer des projets solaires et surtout de s’adapter à toutes les situations dans l’industrie, l’agroalimentaire ou le tertiaire. Depuis plusieurs années, elle fait partie de la délégation des jeunes entrepreneurs du G20. Elle indique notamment: «On est en train de répondre à des problématiques aux USA, à Dubai, en Arabie Saoudite, en France.» Une vision que l’on n’a pas toujours, vu de l’Occident. «C’est pour cela que je viens témoigner dans des forums comme celui-ci. Mes ingénieurs sont tous Algériens», insiste Myriam Fournier-Kacimi qui reconnaît qu’il s’agit d’un challenge quotidien: «Ils doivent s’adapter à une culture occidentale très différente en méthodes de travail, avec plus de rigueur. Passée la réflexion sur un projet, Il faut donc un management militaire et je l’assume».

Virginie Koné

Virginie Koné (Photo Joël Barcy)
Virginie Koné (Photo Joël Barcy)

Une application pour former les jeunes africains

La formation est peu accessible, loin et souvent chère pour la jeunesse africaine. Partant de ce constat, Trace, groupe de médias (présent dans 160 pays avec un contenu lié à la musique urbaine et les célébrités sportives) apporte sa pierre à l’édifice pour former les jeunes. Trace africa est née avec cette volonté d’offrir un contenu complémentaire : des petits modules pour informer les 15-34 ans. «On a un savoir-faire pour produire des contenus et susciter un engagement des jeunes. On arrive à faire en sorte qu’ils suivent ces formations et trouver aussi un job avec la rubrique « job Opportunity » », explique Virginie Koné, directrice du nouveau bureau « Trace Africa » dans la cité phocéenne. Après avoir développé Trace Africa, le groupe compte étendre la formule dans le monde. «Le bureau de Marseille va développer la déclinaison de cette application en France et en Europe», confirme Virginie Koné qui rappelle que «ces jeunes africains n’ont souvent pas grand-chose au départ mais ils foisonnent d’idées, sont innovants, créatifs». )] Reportages Joël BARCY et Michel CAIRE

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