Publié le 5 février 2022 à 10h29 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 15h18
Nasser Kamel, Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM) depuis juin 2018, porte un regard «extrêmement positif» sur le « Forum des mondes méditerranéens » qui se tiendra les 7 et 8 février. S’il ne cache pas les tensions politiques qui traversent la Méditerranée, il insiste sur «les centaines d’initiatives positives qui illustrent un engagement concret et une coopération forte malgré tout», et sur la nécessité d’une coopération accrue. Concernant les priorités, il met notamment en exergue «L’action climatique et la protection de l’environnement», mais aussi les réponses à apporter sur «les niveaux élevés de chômage parmi les jeunes». Entretien.
Destimed: La France a pris l’initiative d’organiser à Marseille, les 7 et 8 février prochain, le Forum des mondes méditerranéens. Celui-ci fait suite au Sommet du Dialogue entre les 2 Rives qui s’était tenu à Marseille en 2019. Quel regard portez-vous sur ce rendez-vous méditerranéen et quels résultats en attendez-vous ?
Nasser Kamel : Je porte un regard extrêmement positif. En effet, le meilleur moyen de renforcer collectivement notre cadre politique pour la Méditerranée est de tirer parti et de développer toutes les initiatives existantes ou nouvelles, et de construire des synergies entre elles afin de porter cet agenda positif que nous voulons pour notre région. Le Sommet des Deux Rives et, aujourd’hui, le Forum des Mondes Méditerranéens, traduisent l’effort considérable mené par la France en lien avec tous ses partenaires pour renforcer le dialogue, à tous les niveaux, et pour trouver des solutions innovantes aux défis auxquels nous sommes confrontés. L’UpM est fière d’avoir été dès le début un partenaire privilégié de ces belles initiatives euro-méditerranéennes.
En termes de résultats, le Forum va permettre à une cinquantaine de jeunes d’une vingtaine de pays méditerranéens de présenter leur «Plaidoyer Méditerranée 2030». Il s’agit d‘un travail mené par environ 200 jeunes de la région pendant plusieurs mois et qui a pour objectif de formuler des propositions de politiques publiques sur des thématiques positives et fédératrices, à la fois aux représentants des pays membres de l’UpM et aux organisations partenaires. Cette initiative s’inscrit pleinement dans la dynamique entreprise par l’Union pour la Méditerranée, qui vient d’adopter une stratégie jeunesse pour la région. A ce titre, je suis ravi d’avoir pu échanger avec eux aux côtés de SAR Rym Al-Ali et d’avoir pu discuter concrètement de la mise en œuvre de leurs recommandations. Leurs propositions seront complétées ou enrichies par les débats qui rythmeront les deux jours du Forum.
Quelle est votre appréciation sur la coopération aujourd’hui entre pays riverains de la Méditerranée ?
La Méditerranée est plus que jamais au cœur des débats et de l’actualité, qu’il s’agisse des tensions politiques qui la traverse, de la question migratoire, des conséquences du réchauffement climatique et j’en passe. La crise de la covid-19 est venue exposer les faiblesses au sein de nos pays mais aussi entre eux. Cette crise a cependant rappelé la nécessité d’une coopération accrue, aucun n’étant en mesure de faire face à des défis qui sont par nature transfrontaliers.
Le renforcement de la coopération et l’intégration régionale en Méditerranée sont au cœur du mandat de l’UpM qui a commandé un rapport sur le sujet, réalisé par l’OCDE, en se concentrant sur cinq domaines : le commerce, la finance, les infrastructures, la circulation des personnes, et la recherche et l’enseignement supérieur. L’étude souligne que si l’intégration a progressé dans la région, il n’en demeure pas moins que les progrès ont été lents et restent en deçà du potentiel en termes de capacités et de ressources. Ce rapport est une étape essentielle pour identifier les lacunes et les points sur lesquels les politiques doivent se concentrer. Le Secrétariat général de l’UpM, conformément aux orientations fixées par ses États membres, travaille à la mise en œuvre des recommandations formulées par ce rapport.
Enfin, il est vrai que l’actualité a plutôt tendance à donner une image négative de la coopération en Méditerranée. Toutefois, je crois qu’il est toujours bon de rappeler les centaines d’initiatives positives qui illustrent un engagement concret et une coopération forte malgré tout. Des projets à grande échelle aux initiatives locales, un réseau consolidé de coopération s’est progressivement développé dans la région et a un impact direct sur la vie quotidienne de millions de citoyens. La Journée de la Méditerranée, lancée par l’UpM et célébrée pour la première fois le 28 novembre dernier, a justement vocation de mettre à l’honneur ceux qui construisent au quotidien la coopération en Méditerranée et de célébrer notre identité commune.
«Toute sa place à la société civile»
Pensez-vous que la mobilisation des sociétés civiles puisse contribuer aux efforts que mènent les États en faveur du développement durable d’une Méditerranée résiliente ?
Tout à fait, et d’ailleurs par son mandat et sa méthodologie, l’Union pour la Méditerranée donne toute sa place à la société civile. La dimension politique de l’UpM s’articule autour de plateformes de dialogue régional impliquant non seulement des représentants des institutions gouvernementales et des experts mais aussi les organisations régionales et internationales, les autorités locales, la société civile, le secteur privé et les institutions financières. Les porteurs de projets soutenus par l’UpM sont également invités autour de la table. C’est grâce à ces groupes de travail représentatifs qu’émergent les déclarations adoptées par consensus des 42 états membres ainsi que de nouvelles initiatives et projets de coopération.
A ce jour, nous avons mis en place plus de 18 plateformes régionales d’experts qui se réunissent régulièrement, et plus de 400 forums de dialogue qui ont rassemblé près de 30 000 parties prenantes. J’ajoute que 60 projets concrets, d’une valeur supérieure à 5,6 milliards d’euros et ayant des résultats tangibles sur le terrain ont été labellisés par l’Union pour la Méditerranée. A titre d’exemple, la semaine dernière nous avons appuyé le lancement d’un nouveau projet porté par l’Université de Sienne, impliquant des partenaires de 7 pays méditerranéens, et qui vise à développer l’analyse, la collecte et le contrôle des microplastiques dans la mer Méditerranée. Les résultats de cette équipe de chercheurs indiquent déjà que les plus fortes densités au monde de déchets marins (jusqu’à 100 000 objets/km2) et de microplastiques flottants, se trouvent malheureusement dans notre mer. Les données apportées par ce projet s’inscrivent dans les efforts menés par les gouvernements de nos États membres pour développer une région plus durable et mieux comprendre les défis environnementaux auxquels nous devons faire face.
Le rendez-vous de Marseille est un autre exemple de ce que la société civile peut apporter en matière d’action climatique et environnementale. C’est dans cet esprit que l’UpM organise l’une des tables-rondes sur le thème de la finance climatique et de son appropriation par l’ensemble des acteurs.
«L’urgence climatique»
Dans la perspective d’une sortie de crise sanitaire, après plus de deux ans de pandémie de la Covid-19, quelles sont, selon vous, les priorités auxquelles doivent s’attacher aujourd’hui les pays méditerranéens ?
Je dirais tout d’abord l’urgence climatique. Le tout premier rapport scientifique sur les impacts climatiques et environnementaux dans le bassin méditerranéen, réalisé par une centaine de scientifiques du réseau MedECC, montre que la région est l’une des plus affectées par le changement climatique au monde. Des mesures sans précédent et urgentes doivent être prises pour prévenir les effets catastrophiques prévus, y compris la propagation de nouvelles maladies.
Les niveaux élevés de chômage parmi les jeunes, qui entravent une inclusion sociale et juste sont une autre priorité. Les pays du nord et du sud du bassin méditerranéen ont des taux de chômage des jeunes parmi les plus élevés, atteignant jusqu’à 50% dans certains pays, notamment pour les jeunes femmes. Enfin, comme je l’évoquais, il nous faut mieux exploiter le potentiel de l’intégration régionale pour le développement économique. Le rapport commandé par l’UpM montre que moins de 10% des échanges commerciaux ont lieu entre l’UE et les pays arabes, et seulement 1% entre les pays de la rive sud.
«Une réunion ministérielle sur l’égalité des genres cette année»
Dans ce contexte de relance nécessaire après la crise sanitaire et face aux dangers du réchauffement climatique, quels sont les objectifs que vous assignez, en ce début d’année 2022, à l’Union pour la Méditerranée ?
Votre question comporte déjà deux des principaux objectifs fixés au Secrétariat par les ministres des Affaires étrangères de l’UpM depuis le forum régional de 2020 afin de mieux prendre en compte l’impact de la pandémie, à savoir : agir pour faire face à l’urgence climatique et accompagner les processus de reprise.
Sur la question des conséquences socio-économiques de la pandémie et la création d’emplois, le Plan d’aide à la promotion de l’emploi de l’UpM, lancé également en 2020, rendra public prochainement les résultats de ses projets dans la région, profitant de l’opportunité de la prochaine réunion ministérielle de l’UpM sur l’emploi prévue en mai au Maroc. Pour aborder les questions liées à l’économie inclusive et bien plus encore, l’UpM prévoit également de tenir une réunion ministérielle sur l’égalité des genres cette année.
L’action climatique et la protection de l’environnement continueront de figurer en bonne place sur l’agenda politique des États membres de l’UpM. La récente déclaration ministérielle sur l’environnement et le changement climatique tenue fin 2021 fixe un cap ambitieux alors que se profile déjà la prochaine COP qui se tiendra dans un pays membre de l’UpM : l’Égypte.
Propos recueillis par Bertrand VALDEPENAS