Grand entretien. Jean-Luc Chauvin, président de la CCI Aix-Marseille Provence: « Nous avons été le Samu des entreprises »

Publié le 24 juin 2020 à  16h34 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h51

Jean-Luc Chauvin, le président de la CCI Aix-Marseille Provence (CCIAMP) et tout nouveau président de l’Association des CCI Métropolitaines (ACCIM) revient sur la période du confinement, l’aide que la Chambre a pu apporter dans l’urgence, puis dans la préparation du « jour d’après », la vision de la Chambre pour l’avenir ainsi que le travail accompli avant le premier tour, au sein d’un collectif « Tous acteurs » regroupant partenaires économiques et sociaux, pour nourrir la réflexion des candidats aux municipales sur 10 grands enjeux. Jean-Luc Chauvin explique enfin ce que cette crise, la façon dont elle a été affrontée, peut entraîner comme changements dans le fonctionnement de la CCIAMP. Entretien.

Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP lors de la présentation de
Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP lors de la présentation de

Destimed: Jean-Luc Chauvin, comment la CCIAMP, dont vous êtes le président, a vécu cette période de crise sanitaire, de confinement?
Jean-Luc Chauvin: Nous vivons une crise sans précédent dont les conséquences sont brutales et probablement massives. Et il est sûr que l’après Covid-19 ne sera pas comme avant. Pendant cette crise nous avons, comme toujours, cherché à remplir notre mission: être au service des entreprises. Une mission que nous essayons de remplir avec engagement, responsabilité, humilité et pragmatisme. Et, pour cela, notre dispositif ne cesse d’évoluer. il nous a fallu d’abord traiter l’urgence, permettre aux entreprises de connaître l’ensemble des dispositifs mis en place. Une cellule d’urgence Covid-19 a ainsi vu le jour à la demande de la Préfecture pour servir de guichet unique à toutes les entreprises du Département, Pays d’Arles inclus. Nous l’avons mise en place avec de nombreux partenaires: inter-pro, Chambres des Métiers et de l’Artisanat, experts-comptables, commissaires aux comptes, la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, les associations de commerçants, les zones d’activités… Nous avons voulu le maillage le plus fin pour toucher le plus grand nombre d’entreprises. Nous avons de cette manière pu jouer notre rôle d’agence du développement métropolitain. Nous avons été le Samu des entreprises en leur proposant l’endroit où toutes pouvaient appeler, être écoutées, informées, bénéficier d’une aide au montage de dossiers. Nous avons mis en place avec nos collaborateurs-experts une page internet dédiée au décryptage en temps réel des mesures gouvernementales. Des documents qui ont rassuré énormément d’utilisateurs. Nous avons eu 7 351 demandes d’informations d’entreprises. 97% d’entre elles ont trouvé des solutions grâce à nos équipes et certaines ont parfois ainsi pu découvrir des dispositifs d’aide qu’elles ignoraient. Nous avons des chefs d’entreprise qui ont pris l’habitude de nous poser des questions et qui continuent. Et tout cela a pu se faire alors que 95% de nos équipes étaient en télétravail. Nous n’avions gardé ouvert que les sites d’Aix-en-Provence et du Palais de la Bourse pour les formalités des entreprises, les attestations… Nous avons tenu également une soixantaine de visio-réunions avec les réseaux professionnels, organisé des enquêtes hebdomadaires sur l’état de l’économie, les problèmes que rencontraient les entreprises que nous avons fait remonter au Préfet de région, aux services de l’État et aux parlementaires, ce qui a permis d’obtenir des avancées. 23 webinaires et Facebook live ont été organisés, j’ai moi-même participé à 10 d’entre eux. Le 17 mars la France était confinée, nous nous sommes très vite rendus compte qu’il était difficile de savoir quels étaient les commerçants qui étaient toujours ouverts. Pour y remédier, dès le 20 mars, nous avons lancé une carte interactive des commerces de proximité ouverts pendant la période de confinement pour soutenir l’achat local: Conso Map’13. Le succès a été évident: 2 474 établissements ont été géolocalisés, 250 000 pages visitées dans notre Département. Et, le 23 mars, nous avons proposé ce dispositif aux chambres voisines. Au final, cette plateforme s’est déployée sur 62 territoires de France métropolitaine et d’outremer, plus de 30 300 commerces se sont inscrits et on dépasse les 1,6 million de pages vues. Nous avons aussi été les premiers à alerter et à lancer un appel commun CCIAMP, UPE13, Top 20: « Je paie mes fournisseurs ».

Vous évoquez les nombreuses actions entreprises pour faire face à l’urgence mais qu’en a-t-il été de la préparation de la reprise?
Répondre à l’urgence était la première nécessité pour préparer la reprise. Mais, effectivement, il a fallu, à un moment, aller au-delà, répondre aux nouvelles questions qui se posaient. Notre cellule d’urgence est devenue de cette manière la cellule de continuité et de reprise économique. Il s’est agi de permettre le retour des salariés dans les entreprises, d’aider à la réouverture des commerces dans des conditions sanitaires maximales. Nous avons travaillé sur la question de la production et l’accessibilité de matériel de protection sanitaire via notre plateforme «Métropolitain Business Act » qui vise, tout au long de l’année à développer les achats et les relations d’affaires entre les entreprises du territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence, à permettre la rencontre entre les TPE/PME et les grands donneurs d’ordre afin de favoriser les circuits courts. Grâce à notre partenariat avec Cdiscount nous avons permis à nos PME et nos commerçants d’acheter à partir de 50 masques seulement et non des quantités trop importantes qui auraient mis encore plus en difficulté leur trésorerie. Nous avons aussi vécu une expérience unique avec l’initiative solidaire Fask qui a vu le Palais de la Bourse se transformer en base logistique pour la fabrication de matériel de protection destiné aux soignants. Nous avons d’autre part, avec l’IHU et le Bataillon de marins-pompiers, lancé un appel aux dons en faveur de l’IHU Méditerranée Infection afin d’accélérer la production de tests. Bref, nous avons été là pour accompagner des actions solidaires et elles ont été nombreuses sur notre territoire. Il importe aussi de stimuler la consommation locale, pour cela nous avons lancé une campagne de communication «Ça repart ici», une autre de chèques et cartes cadeaux «Treiz’local» utilisables chez les commerçants de notre métropole. Il s’agit de permettre aux entreprises et aux administrations qui le souhaitent de faire des cadeaux à leurs salariés en mettant à disposition de ces derniers une somme utilisable chez les commerçants du territoire tout au long de l’année. Et le dispositif «Métropolitain Business Act » sera gratuit jusqu’au 31 décembre 2020. Nous réclamons d’autre part un choc de simplification réglementaire et administratif pour rattraper ce qui peut l’être du chiffre d’affaires perdu: un assouplissement des règles de fermeture hebdomadaire des commerces, heures supplémentaires défiscalisées pour les salariés. Nous avons écrit au Gouvernement, au Préfet et aux parlementaires sur cette question.

En tant qu’agence de développement économique métropolitaine quelle est votre approche de l’avenir?
D’abord cette crise a montré l’importance qu’il y avait à pouvoir consommer local. Le confinement aurait été beaucoup plus complexe sans nos producteurs locaux. Et consommer local, c’est bon pour nos emplois, c’est bon pour la nature. Nous avons assisté à des changements de comportements, on a consommé moins pour consommer mieux. Je considère que notre rôle est de permettre aux consommateurs de poursuivre dans cette voie, de leur offrir tous les services pour cela. Car je suis persuadé que la nouvelle économie va faire rimer, proximité, écologie avec digital. En deux mois de confinement nous avons fait des sauts technologiques qui auraient pris des années: le sans-contact en particulier a pris une importance considérable, que ce soit dans la télémédecine, la formation en distanciel, l’achat dématérialisé. C’est un acquis amené à s’installer durablement dans notre quotidien. C’est aussi un élément essentiel de la transformation et de la performance de notre nouvelle économie. Raison pour laquelle nous avons lancé le « Drive local » avec Hopps et GetBigger. Nous avons vu, et nous devons nous appuyer là-dessus, que notre territoire a de la ressource, il en fait la preuve depuis des siècles, il l’a encore montré dans la période que nous venons de vivre. Il y a ici de l’agilité, de l’anticipation et de la solidarité qu’il faut plus et mieux utiliser.

Sur quels leviers faut-il s’appuyer selon vous pour construire l’avenir?
Au-delà du socle existant sur lequel il faut s’appuyer la crise a mis le doigt sur de sujets-clés. Nous avons des filières à installer ou développer sur notre territoire dans des secteurs stratégiques: la santé, nous sommes en pointe dans la recherche avec l’AMU, l’IHU, l’IPC… sans parler de toutes les start-up qui travaillent dans les bio-tech mais nos molécules sont produites ailleurs. Il faut s’organiser pour remédier à cela, une industrie de la santé doit voir le jour ici. Deuxième secteur, le numérique, nous ne cessons de dire que nous avons tout ici pour réussir, nous avons les câbles, les datacenters, mais il manque la valeur ajoutée et les emplois. Troisième filière, l’économie décarbonée au sens large, c’est à dire en incluant l’économie circulaire, les énergies de demain, les Smart Grids, les transports. Nous avons là encore des atouts: Iter, la vallée des énergies, l’éolien flottant, l’hydraulique, les boucles d’eau de mer… Il faut aller plus loin, en matière de bio-raffinerie, de ville bio-climatique. Notre territoire doit devenir un laboratoire à ciel ouvert de toutes ces filières décarbonées. Cela ouvre des débats en termes de politique foncière, d’infrastructures numériques, de soutien à nos grands équipements, d’aide à la relocalisation, d’accompagnement de nos filières, de méthode de travail. Et puis il ne faut pas oublier que l’industrie fait partie de notre ADN, il faut la repenser bien sûr, c’est d’ailleurs un processus déjà amorcé, d’abord par des entreprises traditionnelles qui revoient leur mode de production pour adopter une trajectoire plus vertueuse et aussi par des initiatives qui font monter en puissance l’industrie du futur, je pense notamment à Piicto, Jupiter ou au site de Meyreuil-Gardanne.

Vous avez réalisé, avec « Tous acteurs », un collectif regroupant partenaires économiques et sociaux, 10 fiches, comme autant de pistes pour les candidats aux Municipales. Comment ont-elles passées la crise?
Je pense que la démarche, portée par ce collectif de 60 acteurs économiques est toujours d’actualité. Je crois même qu’elle prend plus d’importance encore. Le collectif «Tous acteurs» va d’ailleurs relancer ses propositions auprès des candidats ce jeudi 25 juin. Plus que jamais nous devons préparer l’avenir, la ville de demain, l’économie du futur, une économie encore une fois plus vertueuse et plus résiliente. Pour cela nous devons faire preuve de responsabilité, d’agilité et travailler collectivement dans un esprit de confiance. En ce sens les fiches que nous avons présentées début mars apportent quelques réponses concrètes aux enjeux mis en évidence par la crise actuelle. Je pense aux halles alimentaires en centre-ville, à de nouveaux modes de livraison grâce à une logistique urbaine repensée, au concours mondial de start-up visant à attirer les meilleurs en matière de santé, de numérique et de filières décarbonées. Bien sûr sur 1 000 start-up nous n’aurons pas 1 000 licornes mais, avec seulement 10 nous aurons durablement et concrètement fait grandir ce territoire. La notion de ville inclusive prend une dimension toute particulière alors qu’il faudra gérer les conséquences sociales de la crise actuelle. Quant au baromètre de l’action publique que nous souhaitons voir mis en place il sera plus que jamais nécessaire et utile dans un contexte de relance post-Covid. Nous voulons co-construire pour prendre le meilleur des deux mondes afin que des projets soient réalisés plus vite et à la bonne échelle. Nous devons être proactifs pour implanter chez nous des sites de production en créant, par exemple, une cellule métropolitaine de relocalisation industrielle disposant d’un fonds richement doté de plusieurs dizaines de millions d’euros.

En tant que chef d’entreprise, président de la CCIAMP et de l’ACCIM, en quoi cette crise a-t-elle changé votre regard sur de nouvelles formes de travail?
La quasi-totalité des effectifs de la CCI a été placée en télétravail pendant plus de deux mois, y compris les collaborateurs en première ligne, au service de la cellule d’urgence Covid-19. Et nul ne conteste que la CCI a su faire preuve de réactivité et d’adaptation pour traiter l’urgence, maintenir le lien avec les entreprises et apporter une qualité d’écoute et d’accompagnement. Et nous avons pu constater que le télétravail n’avait pas été un obstacle. C’est aussi un enseignement que la Chambre doit retirer pour elle-même. C’est un système que nous allons développer en sachant qu’il ne s’effectuera pas forcément de la maison car cela peut impliquer une perte de lien social. En revanche, nous allons d’avantage nous appuyer sur nos différentes antennes dans les territoires, en y implantant des postes de travail. Pourquoi faire des kilomètres, perdre du temps dans les embouteillages, stresser, polluer, alors que l’on peut travailler à proximité de chez soi? Cette nouvelle façon de travailler peut nous conduire à envisager différemment l’occupation du Palais de la Bourse, y installer des start-up, des espaces de travail collaboratifs, des solutions adaptées à l’économie de demain. Et puis, on le voit bien, le coworking crée de l’émulation, favorise des échanges autour d’un café, un autre regard sur ce que l’on fait. Une ouverture de la Chambre peut accélérer la compréhension des problèmes de l’entreprise et nous permettre d’être encore plus performant au service de l’entreprise.
Propos recueillis par Michel CAIRE

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