Grand entretien avec Philippe Coutin, Président de Pernod Ricard France : ‘Nous avançons tout en ne reniant rien du passé’

Publié le 12 octobre 2021 à  9h06 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  16h41

Philippe Coutin, Président de Pernod Ricard France, revient sur la fusion des sociétés Pernod & Ricard, l’installation de la filiale aux Docks de Marseille, la crise Covid et l’accélération de mutations qu’elle a entraînée. Il insiste sur l’importance de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique. Entretien.

Philippe Coutin, Président de Pernod Ricard France © Sébastien Delarque
Philippe Coutin, Président de Pernod Ricard France © Sébastien Delarque

Destimed: Philippe Coutin peut-on faire un point sur Pernod Ricard France après la fusion des deux sociétés ?
Philippe Coutin: Il importe de rappeler que nous avons fusionné en juillet 2020 dans le but d’être plus performant, plus rapide et de nous adapter aux évolutions du marché avec toujours un même objectif : être encore plus compétitif en matière de qualité du service client. Pour cela nous nous sommes réorganisés sur le plan commercial autour de quatre canaux: la grande distribution, le circuit hors-domicile (CHRD), le circuit prestige pour nos marques haut de gamme et le e-commerce. Nous avons lancé un grand programme de transformation autour de 3 leviers : transformation digitale , transformation durable & responsable et transformation culturelle. Nous avançons tout en ne reniant rien du passé.

Justement, vous êtes venus vous installer aux Docks de Marseille mais, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Nous avons voulu non seulement maintenir le siège de Pernod Ricard France à Marseille et quitter le siège historique de Sainte-Marthe pour nous installer au centre de la cité, d’où le choix des Docks. C’est aussi un clin d’œil à notre histoire puisque c’est là qu’arrivait la badiane étoilée avant de partir vers l’usine de Sainte-Marthe. Nous y avons implanté également le Mx qui met en exergue les talents de notre région et rend hommage à l’anis en Méditerranée, son histoire, la diversité de ses produits. Nous travaillons avec des producteurs locaux, contribuons au développement de l’artisanat local. Nous nous inscrivons ainsi dans une logique que le Groupe veut de plus en plus développer : l’implication dans la vie du territoire.

Une crise traversée «avec détermination et innovation»

Nous avons tous été confrontés à la crise Covid, comment l’avez-vous traversée?
Avec détermination car cela a été pour nous l’occasion d’accélérer le développement de nos nouveaux canaux de distribution sachant que nous essayons toujours de coller à l’évolution du marché. Nous avions déjà initié la digitalisation, accéléré sur le développement du drive. Avec la crise sanitaire, nous avons fortement progressé dans ces deux domaines. Il importe d’ajouter que cette crise n’a pas été qu’un facteur d’innovation: elle a aussi renforcé le besoin de se retrouver, d’authenticité, une exigence de qualité, de moins consommer mais mieux. Elle met aussi en exergue une attente de consommation avec des consommateurs qui privilégient des marques engagées et privilégient le local et les circuits courts.

«Nous agissons aussi pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail»

A ce propos, depuis plusieurs années vous vous inscrivez dans une démarche de développement durable. Une dynamique que vous allez amplifier?
Nous l’amplifions tout simplement parce que c’est notre intérêt. Les marques emblématiques de Pernod Ricard tirent chacune leur caractère des ingrédients naturels – blé, orge, agave, canne à sucre, raisin, fenouil, gentiane – et des terroirs au sein desquels ils sont cultivés. Dans le cadre de sa feuille de route RSE à horizon 2030: «Préserver pour partager», le Groupe s’engage à préserver ses terroirs et leur biodiversité, tout en répondant aux enjeux liés au changement climatique, afin de pérenniser ses approvisionnements en ingrédients de qualité.

Pour ce faire, Pernod Ricard collabore avec agriculteurs, fournisseurs et autres partenaires pour mettre en place des pratiques d’agriculture durable ou régénératrice et des programmes de protection de la biodiversité, comme dans les vignobles de Cognac et de Champagne, ou encore en Inde, en Nouvelle-Zélande ou en Irlande.

Nous agissons aussi pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail. Je rappelle qu’un agriculteur par jour se suicide. Ce n’est pas supportable. Ces engagements pour l’humain, pour la nature s’inscrivent dans la suite logique de l’engagement historique du groupe. Il y a déjà 55 ans, son fondateur, Paul Ricard, créait en 1966 l’Institut Océanographique Paul Ricard, en réponse à la pollution de la mer Méditerranée. Véritable observatoire de l’Océan, il œuvre, aujourd’hui encore, à la protection des écosystèmes marins, conjuguant recherches scientifiques et actions de sensibilisation. Et on ne doit pas oublier aussi l’action de Paul Ricard en faveur de la riziculture en Camargue, à Méjanes.

première entreprise partenaire du programme « Agriculture and Land Health Initiative »

Quel regard portez-vous sur le Congrès mondial de la nature qui vient de se tenir à Marseille ?
Je note en premier lieu qu’Alexandre Ricard, Président Directeur Général de Pernod Ricard, a annoncé la signature d’un nouveau partenariat avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Pernod Ricard devient ainsi la première entreprise partenaire du programme «Agriculture and Land Health Initiative» (initiative pour l’agriculture et la santé de la terre) de l’UICN. Cette initiative a pour ambition de construire une vision commune grâce à une plateforme d’échanges qui associe autour de projets concrets, acteurs publics et privés qu’il s’agisse de gouvernements, d’ONG, d’entreprises, de scientifiques et d’experts, partageant un seul et même objectif : susciter des engagements visant à accélérer la mise en place d’actions en matière d’agriculture durable.

Il me semble que le monde de l’entrepreneuriat a compris les enjeux. Je crains que ce soit moins le cas pour les États, les politiques or l’écologie doit être au cœur de toutes les politiques. Et j’attends notamment de l’Europe des décisions majeures en ce domaine. D’autant que derrière le développement durable il y a énormément d’emplois à créer. En fait, ce qui me donne beaucoup d’espoir à la suite de ce Congrès c’est que, pour la première fois, il est été ouvert aux citoyens ce qui peut permettre de franchir un cap. Après, j’aimerais bien que des comités de suivi se mettent en place pour savoir où on en est en matière de réalisation des engagements.

Le Club Pernod Ricard, sur la Canebière, a accueilli, chaque soir durant le Congrès mondial de la nature des débats sur les questions relatives au climat, à la biodiversité. Qu’en retenez-vous?
C’est une excellente initiative, d’autant plus qu’il ne s’est pas agi de mettre notre Groupe en avant mais de débattre sur les problématiques et les solutions. Et j’ai apprécié des débats toujours accessibles favorisant une information citoyenne. Il était important de voir des entreprises comme CMA CGM, comme Bouygues ou le monde de la finance comprendre l’importance de lutter contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité. Des débats qui ont pu se poursuivre lors d’échanges conviviaux. Il importe donc de poursuivre ces rencontres.

«Consommer moins mais mieux»

Pour en revenir à Pernod Ricard et aux enjeux de société, vous menez une action en faveur de la consommation responsable. Où en êtes-vous?
Il importe de permettre de consommer moins mais mieux d’une part et, d’autre part, de proposer des produits sans alcool. Nous avions déjà le Pacific, nous avons maintenant Ceder’s, une marque premium qui contient toutes les saveurs du gin, mais sans l’alcool. il s’agit pour nous d’offrir des produits de qualité qui permettent de faire une pause et mieux gérer sa consommation d’alcool au cours d’une soirée.

C’est un secteur sur lequel nous misons beaucoup car nous entendons répondre à toutes les tendances et à tous les moments de consommation, à tous les moments de convivialité dont le confinement a montré à quel point ils étaient précieux. Disposer d’une offre complémentaire de produits à faible teneur en alcool ou sans alcool permet de répondre à l’une de ces tendances. En fait, là encore, nous suivons les évolutions du marché en plaçant le consommateur au centre et en nous appuyant au quotidien sur notre raison d’être : être des créateurs de convivialité responsables et engagés.
Propos recueillis par Michel CAIRE

[(

Philippe Coutin, Président de Pernod Ricard France

Philippe Coutin est ingénieur Agronome de formation. Il rejoint Pernod Ricard après un VSNE (volontaire du service national affecté en entreprise) en Côte d’Ivoire, comme Ingénieur au Centre de Recherche du Groupe en 1991. Nommé Directeur Général de Pernod Ricard Trinidad en 1995, il part une première fois en Russie comme Directeur Général de la filiale locale en 1999, puis devient Directeur Général de Havana Club International en 2004. De 2006 à 2013 il dirige la filiale Espagnole et le cluster « Iberia » du Groupe et repart en Russie en 2013 comme Directeur Général de Pernod Ricard Rouss et de la Management Entity Eastern Europe. Il est nommé Président des sociétés Ricard et Pernod le 1er juillet 2019, puis devient Président de Pernod Ricard France à la suite de la fusion de ces deux sociétés le 1er juillet 2020.)]

Signaler un contenu ou un message illicite sur le site

Articles similaires

Aller au contenu principal