Grand entretien de Christophe Margnat directeur de la société Beuchat : « Notre branche industrielle pourrait être un jour plus importante que la partie plongée »

Publié le 17 novembre 2020 à  17h15 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h19

La plus ancienne société française de matériels de sports sous-marins, Beuchat, est marseillaise. Créée par Georges Beuchat en 1934, l’entreprise s’est fait connaître dans les années 1960 avec le développement de la plongée loisir, en lançant deux inventions majeures, qui sont toujours son ADN : l’arbalète à sandows et la combinaison isothermique. Depuis octobre 2019, elle vient de passer un nouveau cap avec la création de Beuchat Industries. Un deuxième outil, qui a donné naissance à une entreprise, à côté de ses activités liées à la mer, afin de mettre son savoir-faire au service de plusieurs grandes sociétés, françaises et étrangères. Ces dernières années, cette filière industrielle connaît un succès grandissant. Christophe Margnat, le directeur de la société, revient sur les nouvelles ambitions…

Christophe Margnat, le directeur de Beuchat affiche les grandes ambitions de l’entreprise marseillaise en matière de développement industriel. (Photo Bruno Angelica)
Christophe Margnat, le directeur de Beuchat affiche les grandes ambitions de l’entreprise marseillaise en matière de développement industriel. (Photo Bruno Angelica)

Destimed : Vous venez de lancer un second outil pour développer votre entreprise Beuchat Industries, comment s’est concrétisé le projet ?
Christophe Margnat : Depuis 15 ans, nous avons connu une succession d’opportunités pour prendre cette voie. Nous avons deux métiers dans la branche industrielle. Le premier est basé sur la maîtrise de la régulation de la pression, lié à l’activité de la plongée. Le deuxième sur la soudure haute fréquence. Nous avons démarré cette nouvelle branche il y a un an. Depuis, la crise sanitaire est arrivée mais notre activité industrielle, à la différence de celle pour la partie plongée, n’a pas souffert pendant la première vague de l’épidémie. Notre partie soudure a été très sollicitée par nos clients qui fabriquent les matelas médicaux, où il y a eu une poussée de la demande liée au Covid. Nous avons été, de manière indirecte, considérés comme une entreprise essentielle pendant le premier confinement. Pour cette branche, nous avons travaillé depuis le printemps à temps plein, sans interruption, et cela continue. Nous avons la volonté de nous faire davantage connaître sur cette branche industrielle, notamment en termes médiatiques. Notre société, basée à Marseille, se situe entre l’Europe et la Méditerranée. On doit savoir tirer toutes les opportunités de cette position que je considère stratégique.

Pouvez-vous mieux nous présenter votre savoir-faire lié à vos deux métiers industriels?
La première activité consiste à maîtriser la régulation de pression, que nous mettons au service de plusieurs concurrents qui eux ne la maîtrisent pas, en matière de développement et fabrication. Nous la proposons aussi à des entreprises extérieures au domaine de la plongée. Nous avons par exemple depuis 18 ans un client important en Belgique qui produit des armes non létales, type flash-ball, pour lequel nous faisons des systèmes de rechargement à base d’air comprimé. Nous avons aussi un autre client qui propose des appareils de plongée à destination professionnelle, comme pour les pompiers devant intervenir en milieux hostiles. Notre deuxième savoir-faire est lié à la soudure haute fréquence. C’est la technique des gilets gonflables, qui peuvent faire penser à des gilets de sauvetage, on retrouve un peu le même principe. Sous l’eau, ils agissent sur vous comme un ballast. Cette technique de souder des tissus enduits est une activité que l’on maîtrise sur notre atelier à la Penne-sur-Huveaune. Elle nous permet d’avoir beaucoup d’autres applications. Nous faisons notamment des airbags avec la même technique. Mais également des matelas pour des lits médicaux dans des hôpitaux. Ils sont souvent utilisés pour des malades afin qu’ils n’attrapent pas des escarres. Nous ne vendons pas ces produits sous notre nom, mais à des sociétés spécialisées. Enfin, une autre de nos applications est de faire des gilets pare-balles pour une société d’armement.

Comment a été actée la décision de créer cette nouvelle branche industrielle ?
En voyant notre capacité à fidéliser année après année plusieurs collaborations avec des multinationales, j’ai voulu mettre en place une véritable démarche de développement en constituant une entreprise. On s’est dit avec mon équipe : si les dirigeants de grosses sociétés nous font confiance, c’est qu’on ne doit pas être mauvais dans cette voie, et notre ambition s’est décuplée. Il y a un an, nous avons décidé de faire de ces métiers une entreprise à part. J’ai nommé un directeur général qui était notre directeur industriel pour affirmer la volonté, en même temps qu’une véritable vision des secteurs d’activités ciblés et des objectifs sur 5 ans. Si nous sommes performants, cette branche industrielle pourrait être un jour plus importante que la partie plongée. Car le marché y est immense, et notre savoir-faire a de multiples applications. Que ce soit dans le médical, l’armement, les produits de protection avec les airbags. Nous sommes d’ailleurs à la recherche de clients pour développer les airbags de montagne. Les débouchés sont légion.

En termes de développement dans ce secteur, avez-vous un exemple à suivre ?
Je ne veux pas parler d’exemple, mais il y a un parallèle à faire avec la marque Zodiac. On connaît tous les bateaux pneumatiques, semi-rigides. Il y a déjà plusieurs années, ses dirigeants avaient lancé une branche industrielle et aérospatiale pour en faire une entreprise qui réalise aujourd’hui des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires. Une nouvelle filiale devenue plus importante que celle liée au nautisme sur la base d’un savoir-faire industriel. De notre côté, nous avons su être opportunistes en arrivant à fidéliser plusieurs collaborations. Aujourd’hui, notre outil industriel travaille à plus de 50% pour d’autres produits que Beuchat. Nos usines, à Marseille et à la Penne-sur-Huveaune, continuent de faire des produits pour la marque, mais travaillent davantage pour d’autres, désormais.

La crise sanitaire qui se poursuit est-elle un grand frein pour votre progression ?
Nous devons comme tout le monde nous y adapter. Nous avions aussi le projet dès cette année 2020 de créer notre Fondation en rapport avec la mer. Nous sommes bien sûr attachés à ce que la mer ne devienne pas une poubelle. Il en va de notre intérêt pour que les gens puissent continuer à pratiquer la plongée. S’ils ne trouvent plus que des pneus et des déchets plastiques en mer, ils ne pourront plus ni voudront continuer à plonger ! En 2021, on devrait acter cette Fondation qui a déjà son nom : «Vivre et préserver la mer». C’est la raison d’être de notre entreprise, car nous sommes convaincus que les passionnés de plongée ou de chasse sous-marine sont avant tout des amoureux de la mer. Forcément, avec nous, ils ont intérêt à ce que la mer soit préservée pour pouvoir en profiter. C’est notre positionnement, avec l’idée à la fois de vivre et préserver. Dans le sens où il faut des réserves naturelles et inaccessibles, mais il faut aussi des endroits libres pour pouvoir plonger.

Dans le domaine de la protection de l’environnement, avez-vous déjà entrepris des actions de sensibilisation concrètes ?
Nous avons acté l’année dernière un premier partenariat avec l’association Surfrider, qui partage notre vision. Elle se bat pour nettoyer la mer et sensibiliser sur les problèmes que posent notamment les déchets plastiques. Elle agit pour que les plages ne deviennent pas des poubelles et pour pouvoir continuer à pratiquer le surf dans de bonnes conditions. De notre côté, on entend ainsi préserver la mer pour pouvoir continuer à pratiquer les activités sous-marines. C’est la ligne directrice de notre engagement sociétal. A l’avenir, on entendra communiquer dessus et organiser des actions de sensibilisation en se rapprochant aussi d’associations existantes.

Dans la fabrication de vos produits liés aux activités en mer, avez-vous déjà entrepris des actions pour lutter contre la pollution ?
Nous avons pris l’engagement de supprimer à terme tous les plastiques non réutilisables qui emballent nos produits. La démarche a été entamée depuis plusieurs années. Ces emballages en plastique vont tout de suite à la poubelle une fois le produit acheté. On fait tout pour enlever le plastique de nos produits vendus. Il en est de notre responsabilité, et nos clients en sont sensibles. Mais on ne peut pas tout faire du jour au lendemain. Il faut comprendre qu’on livre des palmes dans des sachets plastiques parce qu’on est obligé de les protéger quand elles sont dans les cartons. On doit trouver des solutions. Pour les palmes, il faut faire attention à ce que leur prix ne soit pas trop élevé par la suite. Sous peine de se retrouver avec un problème de compétitivité, et des clients qui préfèreront acheter ailleurs à cause de notre produit devenu trop cher… Je pars du principe que le plus important pour l’entreprise est de faire un peu mieux que la veille. On avance, de jour en jour. Car ce serait mentir de dire: demain matin nous ne ferons plus d’emballages en plastiques non réutilisables ! Mais, dans 5 ans, j’espère que nous toucherons au but.

De cette manière, pensez-vous davantage vous rapprocher de vos clients traditionnels?
Pour notre image, en effet, c’est très cohérent. Il y a 30 ans, le slogan de l’entreprise Beuchat était déjà : «Sauvons la mer». La famille Beuchat et ses premiers employés étaient tous des amoureux de la mer. Cela fait toujours partie de ce que l’on est, de ce que l’on incarne. A l’avenir, je suis persuadé que le consommateur fera toujours plus confiance à des marques qui auront un véritable engagement sociétal, une raison d’être. Nous devons œuvrer à notre niveau pour protéger la mer.

Avez-vous des bureaux implantés autour de la Méditerranée pour pouvoir distribuer vos produits ?
Notre siège est situé dans le quartier des Arnavaux (Avenue de Boisbaudran-Marseille 15e). Nous avons un bureau à Brescia, en Italie. Où la marque transalpine, Best Divers, dans laquelle nous avons une participation, fait office également de distribution pour notre marque. Nous distribuons ses produits dans le même temps sur le marché international. C’est une marque d’accessoires qui nous permet de proposer des produits que nous ne faisons pas. Nous avons aussi un bureau en Espagne qui est une filiale commerciale. Il revend nos produits. Tout autour de la Méditerranée, nous avons également des partenaires qui représentent notre marque dans leur pays.

Dans le but de mieux développer vos produits liés aux activités en mer, avez-vous une ou des priorités à atteindre ?
Nous nous sommes aperçus depuis 15 ans que l’on était très concentrés sur un univers de pratiquants spécialistes. On a aussi décidé de développer ces derniers temps une offre avec des produits plus grand public, variés, colorés, s’adressant à tout le monde. Avec des gammes pour pouvoir partir en vacances au soleil quand vous avez besoin d’un masque, de palmes, d’un tuba, ou d’un haut Top UV pour vous protéger du soleil si vous avez la chance d’aller aux Caraïbes ou dans l’Océan indien. Pour bien pouvoir développer ces produits, il faut avoir de bons canaux de distribution. En France, Décathlon a développé sa propre marque et a laissé les autres dans des rayons très spécialisés, s’appropriant un peu le créneau grand public. C’est pourquoi nous devons être plus présents dans des enseignes de distribution de sports grand public ou en ligne.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA

L’ambition de regrouper sur Marseille en un même lieu toutes les activités
L’entreprise Beuchat est ainsi née à Marseille il y bientôt 90 ans, et Christophe Margnat, très attaché à Marseille, sa ville de naissance, aimerait trouver une solution pour installer, sur un même lieu, à la fois le siège de la marque, un club de pratique à la plongée et une boutique ouverte au public. «Il y a l’idée directrice de regrouper toutes les activités pour vivre à fond l’expérience de la plongée et la mer explique-t-il, mais le plus difficile est de trouver l’emplacement idéal. Sur un plan général, la ville n’est toujours pas assez tournée vers la mer. Espérons que les JO de 2024, avec l’accueil à Marseille des compétitions de voile, fassent évoluer les choses. Des réaménagements du littoral sont prévus avec des bases nautiques qui seront nécessaires. Il faudrait impulser un grand plan d’ensemble qui partirait du Vieux-Port jusqu’à la Pointe-Rouge. On en entend parler à nouveau, c’est bien, mais à chaque fois qu’un projet avance dans ce sens, il recule…» Christophe Margnat de conclure : «Je suis toujours intéressé pour installer un jour les activités Recherche et Développement, marketing, en bord de mer. Seulement tout le littoral est géré à la fois par la Métropole, la Ville, l’État, ce n’est pas facile de s’y retrouver et faire bouger les choses.»
Plus d’info sur : beuchat-diving.com

Articles similaires

Aller au contenu principal