Marseille. Mathilde Chaboche : ‘ La question de l’habitat ne se réduit pas au logement’

Publié le 9 septembre 2022 à  8h00 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  18h43

Mathilde Chaboche, chiffres à l’appui, met en exergue la dynamique à l’œuvre à Marseille, chiffres prouvant à ses yeux qu’il est possible de relancer la construction tout en respectant la loi et les enjeux climatiques.

Mathilde Chaboche, adjointe au maire de Marseille en charge de l'urbanisme (Photo Joël Barcy)
Mathilde Chaboche, adjointe au maire de Marseille en charge de l’urbanisme (Photo Joël Barcy)

Il est clair qu’en matière de construction intellectuelle Mathilde Chaboche – adjointe au maire de Marseille, en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville- est plutôt structurée et surtout n’utilise pas la langue de bois. Elle affiche son ambition qui est «d’avoir le discours de la complexité sur un dossier qui l’est tout autant». Car, insiste-t-elle: «La question de l’habitat ne se réduit pas au logement».

Mais c’est avant tout d’actualité dont il est question, l’élue annonce: «Dans le cadre du plan de relance nous avions 3 000 permis à donner sur la période scolaire 2021-2022 dont 1 200 logements . Eh bien nous sommes arrivés à 3 390 logements dont 698 logements sociaux. Nous avons réussi à dépasser les objectifs fixés sans rien céder sur les obligations juridiques». Alors, pour elle: «Ces résultats montrent que relancer la construction de logements pour tous, sans rien lâcher sur le respect de la loi ni sacrifier l’environnement, c’est possible».

Logement social: «un niveau de seuil trop important»

Cependant les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes en matière de logement social. L’élue s’en explique: «Le niveau de seuil imposant de faire du logement social voulu par la métropole (Aix-Marseille Provence NDLR) est trop élevé. Jusqu’en 2019 le seuil de 25 % d’HLM n’était applicable qu’à partir de 120 logements, résultat il n’y en avait quasiment pas car la taille moyenne des projets immobiliers à Marseille tourne autour de trente logements». En 2020, il est passé à 80, toujours trop haut. «Nous proposions à la ville un seuil de 30. Nous avons été partiellement entendus puisqu’il est passé à 30 sur les zones de bonne desserte… mais à 60 sur les autres secteurs».

Alors que valsaient les critiques, des changements de comportements se sont imposés dans la profession, et des résultats se sont fait jour. Mathilde Chaboche tient à saluer: «L’implication des élus, des services de la ville mais aussi des architectes, des urbanistes, des promoteurs. Ils nous ont permis, d’atteindre, ensemble, ce résultat».

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Charte de la construction durable

Une dynamique mais aussi de nouvelles pratiques qui se sont traduites dans la charte de la construction durable, un document voté en octobre 2021 qui se construit sur dix points: s’inscrire dans un processus de dialogue; respecter le contexte; faire avec le Déjà-là; développer la mixité; fabriquer une densité adaptée; favoriser la végétalisation et la biodiversité; proposer des espaces communs à partager; concevoir un urbanisme et une architecture bio-climatiques méditerranéens; promouvoir une haute qualité du logement; construire des projets évolutifs et flexibles.)]

«L’immobilier a été une machine cash»

Mathilde Chaboche salue l’évolution en cours chez les professionnels: «Ils sont nombreux à comprendre qu’il y a un changement de paradigme. Je ressens une évolution des projets avec une prise en compte des questions climatiques. On voit, par exemple, de plus en plus de logements traversants». Elle rappelle que pendant longtemps «l’immobilier a été une machine cash avec une majorité peu regardante. C’est fini. Cela peut déplaire à certains mais des promoteurs me disent aussi que l’époque où on refourguait à Marseille les projets que les autre villes refusaient a pris fin et des acteurs qui avaient fait une croix sur Marseille ont maintenant envie de venir, rassurés par cette normalisation des pratiques».

«Plaidoirie en faveur d’un Plan local d’urbanisme métropolitain»

Mais, au-delà de ce résultat, l’élue ne manque pas d’insister sur le fait que le nombre n’est pas une réponse aux problèmes: «Il y a des opérations à Marseille à propos desquelles les habitants disent que le logement est super mais que leur vie est insupportable parce qu’il n’y a pas de transports en commun, parce que les trottoirs sont trop étroits pour marcher en toute sécurité avec des enfants, parce qu’il manque des écoles, des services publics, des commerces, des espaces verts…». Si on ajoute à cela qu’il s’impose de penser changement climatique et de répondre aux besoins de construction, Mathilde Chaboche considère: «Il importe de ne pas avoir une municipalisation de l’action métropolitaine mais bien d’avoir une vision globale, un développement harmonieux du logement sur l’ensemble des communes du territoire. Il faut en finir avec cette logique où on écoute les désirs des uns et des autres pour finir par dire Marseille, voilà vous devez construire tant de bâtiments. C’est incohérent et c’est oublier que la dynamique métropolitaine vient de Marseille, du Port… Combien d’habitants de villages travaillent dans celui-ci ? Ils vont sur Marseille, Aix-en-Provence, Aubagne… Nous sommes des métropolitains dans nos pratiques».
Et de plaider en faveur d’un PLU (Plan local d’urbanisme) métropolitain, un « PLUM » dont elle souhaite qu’il ne vole pas au vent. «L’enjeu est que nous tricotions tous ensemble dans une cohérence de la pensée. On ne peut plus couper les sujets en morceaux», avance-t-elle.

L’État a 40 ans de retard dans ces demandes

De même elle dénonce «une incohérence de l’État qui a 40 ans de retard dans ces demandes lorsqu’il veut plus de logements, une logique quantitative qui ne prend pas en compte les enjeux environnementaux. Mais est-ce que les grandes villes doivent toujours être plus grandes? Il faut surtout se poser la question de savoir à quelles conditions la vie en ville reste possible».

«Jusqu’à 60 degrés au sol à Noailles en période de canicule»

L’élue interroge: «Construire plus, cela veut dire quoi ? Empiler la misère sans respect pour la vie. A quoi rimeraient des milliers de nouveaux logements qui nous étouffent encore plus pour soit-disant loger des Marseillaises et des Marseillais que nous mettrions en réalité dans des conditions de vie et de santé proprement intenables ? Il fait jusqu’à 60 degrés au sol à Noailles en période de canicule et, si nous ne changeons rien, cette température sera de 90 degrés en 2050. Autant dire que la survie humaine ne sera plus assurée dans la deuxième ville de France. Or nous avons pour mission de garantir un avenir possible dans cette ville».

Et de s’appuyer sur les préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé selon laquelle, pour garantir la bonne santé des résidents des villes, il importe de disposer de 12 m² d’espaces verts par habitant. «Or Marseille en compte 4,6. A peine plus d’un tiers du seuil minimal pour garantir des conditions correctes de santé. Pire, si l’on zoome, on se rend compte que les inégalités sociales se conjuguent au risque environnemental puisque ce ratio est de 5 m² par habitant dans les quartiers Sud, plus favorisés, quand il est seulement de 2,5 m² par habitant dans les quartiers Nord, plus populaires et enclavés. Dans ces quartiers c’est la double peine puisque les conditions de logements y sont moins favorables -les familles plus nombreuses y habitent dans des espaces plus petits- et le taux d’équipements publics bien plus faibles. Autre triste singularité : le centre-ville de Marseille, qui ne compte que 1,8 m² d’espace vert par habitant, constitue un véritable îlot de chaleur à lui tout seul, au cœur d’une ville cocotte-minute».

«Le même État nous demandent de prendre en compte les risques incendie, inondation, tsunami»

De plus, ajoute-t-elle: «Le même État nous demande de prendre en compte les risques incendie, inondation, tsunami; demande de travailler sur la profondeur de bande à désurbaniser. Comment fait-on? Eh oui, Marseille est une ville pauvre, oui Marseille représente un poids au sein de la métropole et le sera encore plus si on ne permet pas à la dynamique de prendre».

«Avoir d’autres rêves qu’un logement social»

Mathilde Chaboche plaide en faveur de la mixité sociale. Elle considère: «Je ne peux accepter la formulation selon laquelle il y aurait 40 000 demandeurs de logements sociaux dans cette ville. Il y a 40 000 personnes, confrontées à des situations qui font qu’elles aspirent à un tel type de logement. Notre ambition, à gauche, doit être de leur permettre d’évoluer, d’avoir d’autres rêves qu’un logement social. Encore une fois, évidement qu’il en faut mais cela ne peut être la seule réponse de la gauche au pouvoir à Marseille: il faut de l’éducation, de la formation, de l’économie, de l’emploi, des transports. Des transports qui sont une inégalité majeure».
Michel CAIRE

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