Institut Paoli Calmettes : A la pointe de la lutte contre le cancer du sein

Publié le 16 janvier 2014 à  7h44 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h12

Le laboratoire d’oncogénétique (génétique du cancer) de l’Institut Paoli Calmettes à Marseille est la pointe de la biologie du cancer. Il a pour vocation d’évaluer grâce aux outils modernes de la génétique les risques génétiques qu’ont certaines personnes de développer un cancer, afin d’orienter le dépistage et la prévention chez les individus prédisposés. Il procède également à l’analyse du patrimoine génétique des tumeurs pour en orienter le traitement. Son activité, sous l’égide de l’Institut National du Cancer (INCa), est à la fois régionale et nationale. Il travaille en partenariat avec de nombreuses structures de soins dans le cadre de réseaux de prise en charge spécialisés.

Le laboratoire d’oncogénétique (génétique du cancer) de l’Institut Paoli Calmettes à Marseille a pour vocation d’évaluer les risques génétiques qu’ont certaines personnes de développer un cancer. (Photos Philippe MAILLÉ)
Le laboratoire d’oncogénétique (génétique du cancer) de l’Institut Paoli Calmettes à Marseille a pour vocation d’évaluer les risques génétiques qu’ont certaines personnes de développer un cancer. (Photos Philippe MAILLÉ)

La laboratoire dispose des outils modernes de la génétique.
La laboratoire dispose des outils modernes de la génétique.

L'oncogénétique est une discipline médicale née à la fin des années 1980.
L’oncogénétique est une discipline médicale née à la fin des années 1980.

Grace aux tests génétiques, le laboratoire identifie au sein des familles ceux qui sont à haut risque de cancer, car ayant hérité d’un gène muté.
Grace aux tests génétiques, le laboratoire identifie au sein des familles ceux qui sont à haut risque de cancer, car ayant hérité d’un gène muté.

Deux approches médicales existent pour les sujets à risque de cancer du sein : la surveillance étroite ou la prévention, cette dernière passant obligatoirement par la chirurgie.
Deux approches médicales existent pour les sujets à risque de cancer du sein : la surveillance étroite ou la prévention, cette dernière passant obligatoirement par la chirurgie.

Destimed photo 6
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C’est une véritable onde de choc qui a bouleversé la planète en mai 2013 : Angelina Jolie, l’une des actrices dont la plastique fait rêver des millions d’hommes à travers le monde, révélait dans une tribune parue dans le New York Times intitulée « Mon choix médical » avoir subi une double mastectomie préventive pour remédier à tout risque de cancer du sein. Un coming-out qui allait générer bon nombre de commentaires, entre ceux qui n’ont pas compris cet acte et ceux qui y ont trouvé matière à sourire, voire à condamner l’actrice tant pour son choix que pour la médiatisation de ce dernier. Mais s’il en est un qui sait de quoi il en retourne et qui ne critique absolument pas l’actrice, c’est le professeur marseillais Hagay Sobol de l’Institut Paoli Calmette. « Il y avait chez Angelina Jolie une prédisposition génétique au cancer du sein. Après avoir réalisé un test génétique, on s’est aperçu qu’elle était porteuse d’une anomalie qui augmentait considérablement son risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire, d’où la proposition qui lui a été faite par l’équipe américaine de subir une ablation préventive des deux seins, ce qu’elle a accepté. Après, elle témoigne, elle a le courage de le dire : c’est une star mondialement connue qui veut désacraliser les choses. Cette polémique n’est entretenue que par des gens qui n’y connaissent rien et qui pour certains ont voulu instrumentaliser la situation », tranche-t-il d’emblée.
Un sujet qui est au cœur de l’activité du laboratoire oncogénétique de l’établissement phocéen. Cette discipline est née à la fin des années 1980. « Pendant longtemps, on a considéré que le développement du cancer, était avant tout lié à l’environnement, comme par exemple le cancer du poumon lié à la consommation de tabac, ou celui de la peau lié à l’exposition au soleil, rappelle Hagay Sobol. On s’est tourné vers la génétique parce c’est une maladie complexe multifactorielle, multi-étapes et qu’il était très difficile tout à la fois d’identifier les facteurs de risque environnementaux réellement impliqués et de les maîtriser. Alors les chercheurs, dont j’étais, se sont intéressés aux formes familiales de cancer (5 à 10% des cancers) en faisant la double hypothèse que s’il y avait transmission de génération en génération de la maladie, cela voulait dire qu’il y avait un gène qui était responsable et qui était hérité. Et que ces mêmes gènes pouvaient également être la cible de l’environnement pour les cancers non héréditaires. Donc travailler sur un modèle était un moyen de comprendre le cancer dans sa globalité. Aujourd’hui on sait que le cancer résulte d’une cascade d’évènements touchant de nombreux gènes différents

« Évaluer le risque d’avoir un cancer en fonction d’une prédisposition héréditaire et traiter le cancer grâce à la génétique »

A ses prémices, les recherches portaient sur des maladies rares telles que la polypose colique familiale ou le cancer médullaire de la thyroïde. « Cela a permis de valider le concept à la fin des années 1980, début des années 1990. En effet, alors que je travaillais au Centre International de Recherche sur le Cancer à Lyon (CIRC – IARC), nous avons été la première équipe à démontrer que l’identisation de gènes de prédisposition pouvait être appliquée au dépistage d’un cancer. C’était le tout début de ce que l’on appelle désormais, la médecine prédictive. Suite à ces travaux, j’ai proposé le développement de structures de soins spécifiques intégrant consultations, laboratoire et registre de formes familiales de cancers. C’est le Docteur Réquin, président du Comité de l’Ain qui a convaincu la Ligue Nationale Contre le Cancer de soutenir ce projet. L’oncogénétique était née ! », se souvient Hagay Sobol.
Depuis les choses ont évolué et l’on prend désormais en charge les tumeurs fréquentes comme le cancer du sein ou digestives. « Grâce aux tests génétiques on identifie au sein des familles ceux qui sont à haut risque de cancer, car ayant hérité d’un gène muté, puis on s’attache à la fois à la prévention, pour éviter que la maladie se développe, et au dépistage en identifiant la maladie le plus précocement possible. » Cela demande à la fois des ressources transversales, de la pluridisciplinarité et une organisation en réseau régional, voire national car les membres des familles peuvent être dispersés géographiquement comme le souligne Hagay Sobol. Par la suite, la génétique a permis d’aller encore plus loin, c’est-à-dire de personnaliser le traitement en fonction des altérations génétiques spécifiques des tumeurs.
C’est dans cette optique que s’inscrivent les deux principaux domaines d’activité du laboratoire d’oncogénétique de l’Institut Paoli Calmette. « Il s’agit d’une part d’évaluer le risque qu’a un individu de développer un cancer en fonction d’une prédisposition héréditaire, et de se livrer d’autre part à une analyse de la tumeur afin de prédire comment la personne va réagir à tel ou tel traitement. Notre mission est ainsi d’établir le diagnostic, d’évaluer le risque en identifiant une altération génétique et de contribuer à adapter le traitement en fonction de la présence ou de l’absence d’une altération particulière », explique le professeur marseillais.

« La médecine, ce n’est pas oui ou non : c’est une gestion du risque »

Le Docteur Cornel Popovic qui travaille particulièrement sur les chromosomes, poursuit l’explication. « Le chromosome, c’est un collier de perles, et le gène, c’est une perle. Chaque gène a une fonction normale. Mais s’il y a une modification de sa localisation, de sa structure ou s’il y a mutation, il perd sa fonction ou gagne une fonction. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, cela dérégule le fonctionnement de la cellule », souligne-t-il. Des anomalies qui peuvent favoriser le développement d’un cancer, mais aussi générer des malformations. « Il peut y avoir des mutations de petite taille et des mutations de grande taille, auquel cas, c’est un gros morceau d’ADN qui est porteur d’anomalies », précise le médecin généticien. Tout individu possède 22 paires de chromosomes et une paire de chromosomes sexuels et dispose, dans chaque cellule, de 2 copies de la même région. « Ainsi le risque de transmettre une mutation à sa descendance est de 50% et non de 100% », poursuit Cornel Popovic. Une mutation génétique dont Hagay Sobol explique les ressorts. « Chaque individu possède dans ses cellules deux fois un mètre d’ADN : un vient du père, l’autre de la mère. Au cours de leur vie les cellules se multiplient pour assurer le renouvellement des tissus, des organes et fabriquer les cellules de la reproduction, les spermatozoïdes et les ovules. Durant ce processus, la cellule recopie les 2 mètres de molécule d’ADN et là elle peut faire des erreurs. Certaines sont réparées par un mécanisme spécifique. Mais parfois certaines ne le sont pas. C’est l’accumulation de ces erreurs non réparées qui est l’origine du cancer. »
Pour revenir au cancer du sein se développant dans un contexte de prédisposition, ce sont les gènes BCRA 1 et BCRA 2 que les médecins analysent particulièrement. « Dans une famille donnée, s’il existe une mutation de l’un des deux gènes, les membres de la famille ne bénéficieront pas de la même prise en charge en fonction de leur statut génétique, précise le professeur. Ceux qui ne portent pas la mutation auront le risque, celui de madame tout le monde. C’est-à-dire un risque de 10% de développer la maladie (près d’une femme sur 10 développe un cancer du sein. Il leur sera proposé le dépistage standard par mammographie à partir de 50 ans). Par contre les femmes porteuses de la mutation ont un risque accru de l’ordre de 60 à 80% de développer un cancer du sein ou de l’ovaire : c’est une proportion très importante mais ce n’est pas non plus 100%. Donc même en cas de prédisposition, le cancer n’est pas une fatalité. Raison pour laquelle sont mis en place des prise en charges adaptées. »
Rarissime à 20 ans, peu fréquent chez les femmes de 30 ans, les cancers du sein se développent généralement plus tard. Quant aux cancers héréditaires, ils ont tendance à se développer bien avant 50 ans. « Mais cela ne veut pas dire qu’après 50 ans, aucun cancer n’est héréditaire. La médecine, ce n’est pas oui ou non : c’est une question de probabilité et une gestion du risque », indique Hagay Sobol.

« C’est la personne elle-même qui va déterminer ses choix »

Pour les sujets à risque de cancer du sein, il existe médicalement deux approches. La première consiste à mettre en place une surveillance étroite afin de dépister la maladie au plus tôt lorsqu’elle se sera manifestée, si bien entendu elle se développe un jour. La patiente va ainsi passer régulièrement des examens cliniques à partir de 20 ans complétés par de l’imagerie, échographie, mammographie et IRM à partir de 30 ans. « En cas d’anomalie on procédera à une biopsie et s’il y a un cancer on le traitera précocement. » Mais comme le souligne le professeur marseillais, le ressenti de ces examens peut varier d’une femme à l’autre. Certaines « ne supportent pas le suivi ». « La mammographie peut être vécue comme quelque chose d’à la fois douloureux et anxiogène », résume Hagay Sobol.
Une deuxième option s’offre alors à elles : la prévention. « Mais actuellement, il n’y a malheureusement pas d’autre prévention que la chirurgie. Et cette dernière est très encadrée. Que ce soit la surveillance par imagerie ou la prévention, ce sont deux solutions qui apportent globalement une protection similaire », observe-t-il. Trois possibilités s’offrent alors aux patientes qui choisiraient d’avoir recours à la chirurgie préventive : la mastectomie, l’ovariectomie ou les deux.
Hagay Sobol insiste sur le fait que « la femme doit agir en adéquation avec ses choix et ses priorités ». La mastectomie préventive qui n’est en rien une opération de chirurgie esthétique, est suivie le plus rapidement possible d’une reconstruction mammaire, afin de restaurer l’image corporelle. Sur le plan santé, « cela diminue très fortement la probabilité d’avoir un cancer du sein, de plus 95% ». Mais le professeur de souligner qu’en médecine, « le risque 0 n’existe pas ». « Cette opération fait l’objet d’une consultation spécifique où l’on évalue le rapport risque/bénéfice des différentes approches en fonction de l’âge, de l’état de santé et du projet familial. Notre rôle est de donner une information de qualité, tout à la fois précise et compréhensible : « voilà les options, les avantages et les inconvénients de chaque solution » », témoigne-t-il. D’une manière générale, ce type d’opération n’est pas pratiqué avant l’âge de 35 ans.
La deuxième opération chirurgicale préventive consiste à enlever les ovaires et les trompes de la patiente. « Actuellement, il n’existe pas de moyen efficace de dépistage du cancer de l’ovaire dans les familles à risque, car c’est un organe profond. Et le risque est grand d’arriver trop tard. Or, cette opération présente un double avantage : diminuer le risque de cancer de l’ovaire, mais également de réduire de moitié le risque de cancer du sein, l’ovaire étant productrice d’œstrogènes », indique le professeur. Une intervention chirurgicale que les médecins commencent à proposer à l’âge de 40-45 ans, une fois que le projet parental est complété. Là aussi, cette opération est très encadrée et certaines femmes peuvent choisir de subir les deux interventions.
Hagay Sobol insiste sur le fait que « l’acceptation de ces options dépend de facteurs culturels ». « Les Hollandaises sont les « championnes » de la prévention. En France en revanche, les femmes acceptent davantage la surveillance que dans les pays anglo-saxons et lorsque l’option chirurgicale est retenue, c’est l’ovariectomie qui est la plus acceptée. »

« On n’a pas le droit d’être directif, ni de censurer en fonction de ses convictions personnelles »

Et le professeur marseillais d’en revenir au cas très médiatique d’Angelina Jolie. « Elle s’inscrit dans les standards de prise en charge. Après, chacun a sa propre perception des choses et personne n’est en mesure de la juger », tranche-t-il. Avant de poursuivre : « C’est une intervention que l’on propose à chaque femme qui présente un risque suffisant, et on devrait la proposer à chaque sujet à risque. Si on ne le fait pas, c’est une chance de moins pour la patiente. Et on n’a pas le droit d’être directif, ni de censurer en fonction de ses convictions personnelles. On lui explique les choses, et après, le dossier est traité de manière pluridisciplinaire », insiste Hagay Sobol.
A l’exception des gènes liés aux tumeurs endocrines et rénales, qui dépendent de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM) à l’hôpital de la Conception, le laboratoire d’oncogénétique de l’Institut Paoli Calmettes à Marseille est la structure régionale dédiée à l’analyse des gènes du cancer. L’établissement marseillais est ainsi lié à l’Institut National du Cancer (INCa) dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens. « Outre les cancers du sein, nous sommes responsables de programmes de dépistages génétiques pour les cancers rares digestives, neurologiques ou aux hémopathies malignes, (leucémies, lymphomes). Un rapport est adressé chaque année à l’Institut National du Cancer », précise-t-il. L’Institut Paoli Calmettes est ainsi au cœur d’un réseau qui comprend principalement l’APHM, l’hôpital public de Toulon, le Centre Antoine Lacassagne de Nice et l’Institut Sainte Catherine d’Avignon. Un réseau régional qui assure les tests et le suivi des personnes à risque : « On se retrouve régulièrement pour des réunions pluridisciplinaires et discuter des dossiers pour servir au mieux l’intérêt des patients. »
Serge PAYRAU

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