Israël-Palestine, « La guerre de l’eau n’aura pas lieu » par le Professeur émérite Gilbert Benhayoun, Université d’Aix-Marseille, président du groupe d’Aix (2e partie)

Publié le 28 juillet 2013 à  4h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h06

Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. C’est dire s’il est important de mettre en avant les travaux de ce groupe alors qu’il est de nouveau question de paix entre Israël et la Palestine, que des négociations pourraient débuter le mardi 30. Nous nous faisons l’écho d’une réflexion sur un dossier sensible, l’eau. Alors que le pessimisme est souvent de rigueur, Gilbert Benhayoun et le groupe d’Aix avance : « La thèse que nous voulons défendre est que la guerre de l’eau n’aura pas lieu ».(*)

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Oslo II 1995. L’accord Oslo II. Le 28 septembre 1995 à Washington est signé l’accord Intérimaire sur la Cisjordanie et Gaza dont l’article 40 de l’annexe III porte sur les questions de l’eau et des eaux d’égout pour une période de cinq ans, devait faire l’objet d’un accord définitif à l’issue de la période intérimaire. Or, compte tenu des événements sur le terrain, de la difficulté à mener à leur terme les négociations sur le statut final, l’accord définitif n’a, jusqu’à maintenant, pas été signé. Pourtant, les parties ont décidé, d’un commun accord, que les dispositions qui concernent la question fondamentale, l’eau, devaient se poursuivre, indépendamment des difficultés sur le terrain. Cet accord est un tournant pour les deux parties, en particulier pour les Palestiniens, car c’est la première fois que, sur le plan des principes, et formellement, Israël reconnait aux Palestiniens un droit sur l’eau en Cisjordanie. Il s’agit d’un pas important que les Palestiniens rappellent sans cesse. Cependant, la reconnaissance effective de ces droits, leur contenu et leur application sont reportés à l’issue de la période intérimaire.

Le texte précise, dans son point 4, que la partie israélienne devra transférer à la partie palestinienne, les pouvoirs et les responsabilités dans le domaine de l’eau et des eaux usées, en Cisjordanie. Cependant, ce transfert de compétences comporte des limites. D’une part, le transfert ne pourra en aucun cas concerner les implantations israéliennes de Cisjordanie, et, d’autre part, la question de la propriété des infrastructures de l’eau et du traitement des eaux usées est reportée à la signature de l’accord final.

Pour les israéliens, l’accord doit être le résultat d’une négociation bilatérale sans référence explicite à un texte, considéré par eux comme extérieur. Il doit, selon eux, être le produit d’une négociation ne concernant que les deux parties, à l’exclusion de l’intervention d’un parti tiers ou de référence à un texte extérieur à la négociation, fut-il issu des Nations-Unies. A l’inverse, les Palestiniens n’ont de cesse de rappeler que leurs revendications sont légitimées par des textes reconnus par la communauté internationale.

Enfin, l’accord arrête la répartition de l’eau des aquifères de Cisjordanie (tableau ci-dessous). Les Israéliens obtiennent la plus grande partie des ressources de l’aquifère ouest, le plus important, qui fournit une eau de grande qualité, une grande partie des réserves de cet aquifère se situant en zone israélienne. Les ressources de l’aquifère oriental sont en majorité affectées aux Palestiniens. Au total, 78% des ressources de l’aquifère de la montagne reviennent aux Israéliens, alors que la recharge naturelle (679 millions m3) se trouve, selon l’accord Oslo II, pour 90% en Cisjordanie (614 millions m3) et pour 10% en Israël (65 millions m3).

Accord d’Oslo II – millions m3 (%)
Aquifère Israël Palestine Total
Ouest 340 (94) 22 (6) 362 (100)
Nord-Est 103 (71) 42 (29) 145 (100)
Oriental 40 (35) 74,5 (65) 114,5 (100)
Total 483 (78) 138.5 (22) 621.5 (100)

A ces dotations il est prévu que les Palestiniens recevront 70 à 80 millions m3 supplémentaires pour assurer leurs « besoins futurs », soit 50/58% de plus par rapport à la dotation initiale. Cependant, il n’est pas spécifié sur quels critères ce montant a été déterminé ni à quelle échéance les Palestiniens pourront disposer de ce supplément. Sur ce point, le texte est ambigu dans la mesure où ces « omissions » pouvant ultérieurement être source de désaccords. Sur cette dotation de 70/80 millions m3, 28,6 millions m3 pourront être utilisées par les Palestiniens durant la période intérimaire (Cette dotation se répartit entre la Cisjordanie (23.6 millions m3) et la Bande de Gaza (5millions m3), 23,6 millions m3en Cisjordanie, dont la majeure partie devra être issue de l’aquifère Oriental, et 5 millions m3 à Gaza. Ce surplus représente une dotation supplémentaire de 20% pour couvrir les nouveaux besoins pendant les cinq années de la période intérimaire.

Le texte de l’accord insiste sur la reconnaissance par les deux parties de la nécessité d’accroître les ressources, soit en ayant recours à celles de l’aquifère oriental, soit en développant les ressources non conventionnelles, comme le dessalement et/ou le traitement et la réutilisation des eaux usées.

L’accord (points 11 à 14 de l’article 40) prévoit également la mise en place d’un Comité Mixte de l’Eau (Joint Water Committee), qui sera chargé de toutes les questions concernant l’eau et l’assainissement. Ce Comité devra développer toutes formes de coopération entre les deux parties, de l’échange d’informations à la résolution des conflits. Le point 14 est important car il précise que toutes les décisions devront être adoptées par consensus, y compris celles qui concernent l’ordre du jour. Cette disposition revient à accorder aux deux parties la possibilité d’user d’un droit de veto.

Les difficultés de la mise en œuvre de l’accord Oslo II. Les reproches.

Il existe un paradoxe intéressant car révélateur de la complexité du problème à résoudre. D’une part, les attitudes des deux parties sont faites de reproches réciproques, de rejet de la responsabilité de la situation, par exemple à Gaza, sur l’autre partie, et sur la difficulté de trouver des solutions acceptées par les uns et par les autres. Et pourtant, d’autre part, la coopération technique sur le terrain existe bel et bien et s’est maintenue depuis 1995. La Commission mixte, créé par les accords d’Oslo II a toujours fonctionné, même lorsque les négociations étaient bloquées et malgré les difficultés rencontrées lors de l’opération israélienne militaire à Gaza. Il n’empêche que, malgré les attitudes coopératives sur le terrain, la méfiance est forte et elle est partagée. Il n’est pas possible, pour l’expliquer, d’invoquer le déficit des ressources qui s’accroît d’année en année, aggravé par les conséquences de la forte variabilité des pluies. L’explication, vient, selon nous des attitudes adoptées par les Israéliens et les Palestiniens. Les premiers ont développé une méfiance basée sur la volonté de préserver, à tout prix, les acquis en matière d’accès aux ressources des aquifères. La sécurité, concept qui domine la pensée stratégique des israéliens (security first) les incite à ne poser le problème de l’eau qu’en termes techniques, refusant la référence aux accords internationaux, telle la Convention de New York de 1997, qu’Israël n’a d’ailleurs pas ratifiée, et minorant les aspects politiques qui pourraient présider à la redéfinition des accords d’Oslo II. On peut évoquer, les concernant, une attitude « d’hydro-sécurité ». A l’inverse, les Palestiniens se placent sur le plan du droit, ce qui traduit en fait une manière d’affirmer le caractère national de leur revendication. Aussi à l’hydro-sécurité des Israéliens ils réagissent par ce qu’on pourrait nommer « l’hydro-nationalisme ». Ils sont renforcés dans leur conviction qu’il faut poser le problème d’abord en termes politiques, puis, la reconnaissance de leurs droits étant acquise, il sera possible d’aborder ensuite les aspects techniques du partage des ressources. Cette attitude, constante, depuis des années a été renforcée depuis peu par deux facteurs : la difficulté d’obtenir une reconnaissance formelle de la communauté internationale d’un statut d’Etat et le fait que les négociations israélo-palestiniennes traînent en longueur et ne paraissent pas pouvoir aboutir dans un délai assez bref.

Les tentatives effectuées par l’Autorité palestinienne auprès des Nations-Unies en septembre 2011, pour obtenir un vote en faveur de la reconnaissance d’un Etat Palestinien, qui ne se voit pas opposer le veto d’un des membres permanents du Conseil de Sécurité, n’ont, en mars 2012, pas encore abouti. Par ailleurs, les négociations israélo-palestiniennes, qui devraient en principe aboutir à une solution de deux Etats pour deux peuples, sont dans l’impasse. Pour les Palestiniens, les Israéliens semblent se satisfaire du statu quo et cherchent à gérer le conflit plutôt qu’à le résoudre. Aussi, accepter, de leur part, de ne négocier essentiellement que les aspects techniques d’un accord sur l’eau leur semble trahir leur désir de créer un Etat indépendant et souverain qui aura toute autorité sur ses ressources en eau. Le fait que les accords d’Oslo II, (art 40), reconnaissent explicitement les droits des Palestiniens, leur parait aller dans la bonne direction, mais l’application de cette reconnaissance dans les faits, faisant défaut, ils estiment être lésés et souhaitent, en conséquence, une renégociation de l’accord, dit intérimaire, dont il faut rappeler qu’il avait été signé pour une période limitée.

Cette opposition s’est clairement exprimée lors de la Conférence sur l’environnement durable qui s’est tenue à Ashdod en Israël le 13 décembre 2011 (S. Udasin, “Erdan, PA agree: Increase Water Cooperation”, Jerusalem Post, 14 décembre 2011.1). Pour le ministre israélien de la Protection de l’Environnement, Gilad Erdan, il faudrait traiter la question sous l’angle des « besoins » plutôt que sous l’angle des « droits », affirmant ainsi la volonté des Israéliens de vouloir traiter la question de l’eau en dehors du conflit, alors qu’au contraire, pour le ministre palestinien de l’eau Shaddad Attili, il est impossible de déconnecter les deux aspects.

Le ministre israélien ajoute que son pays est prêt à partager son savoir-faire avec ses voisins, « l’eau, dit-il, peut et doit être la base de la coopération ». Il fait également remarquer que la dotation d’eau qu’Israël reverse aux Palestiniens, soit 51,8 millions de m3 est très supérieure à celle à laquelle Israël s’était engagé à reverser, aux termes des accords d’Oslo II, qui est de 31 millions de m3. A cela, le ministre palestinien, répond qu’en fait la dotation initiale était, dès le départ, très largement inférieure à leurs besoins. Et, au souhait de renforcer les liens de coopération exprimés par les Israéliens, il répond que la mise en œuvre de la coopération n’est pas simple, car elle suppose un degré d’égalité entre les parties qui ne doivent être ni dans la situation « d’occupées » ni dans celle « d’occupantes ». L’asymétrie de pouvoir et de détention des sources d’information rendent la coopération plus difficile à développer. Malgré ces réserves, le ministre palestinien considère que celle-ci doit, tout de même, se poursuivre et même se renforcer sur le terrain, car si la population palestinienne, affirme-t-il, considère le conflit de l’eau comme un conflit politique, il est néanmoins d’accord avec le ministre israélien lorsqu’il s’agit de renforcer la coopération. Cette attitude peut paraître ambigüe, elle n’est qu’un des reflets de la complexité de ce conflit.

La critique de la mise en œuvre de l’accord vient surtout des Palestiniens, mais aussi de la Banque mondiale. Elle porte à la fois sur le partage des ressources, jugées inégales et sur la manière dont a fonctionné le Comité mixte de l’eau (Joint Water Committee). Mais, en même temps que les reproches palestiniens vont se faire de plus en plus précis, les Israéliens vont eux aussi dresser un catalogue de récriminations.

Gilbert Benhayoun

(*) le titre et le propos introductif sont de la rédaction

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