Jean-Louis Trintignant l’acteur à la voix d’or s’est tu

Publié le 18 juin 2022 à  20h55 - Dernière mise à  jour le 7 novembre 2022 à  8h19

C’était au Théâtre du Jeu de Paume il y a fort longtemps. On y donnait «Art» de Yasmina Reza. Jean-Louis Trintignant y incarnait Serge aux côtés de Pierre Vanecq, et Pierre Arditi. L’humour, la force, la présence, l’acteur qui vient de nous quitter symbolisait tout cela.

Jean-Louis Trintignant  (Photo capture d'écran vidéo INA)
Jean-Louis Trintignant (Photo capture d’écran vidéo INA)

Diction parfaite il possédait une voix d’or lui qui doubla Jack Nicholson dans Shining et qui laissa un enregistrement audio du «Petit Prince» où il était l’aviateur. Sa voix encore dans le livre audio « Hervé Guibert, L’écrivain photographe», projet sonore de Vincent Josse où sur une musique originale de Dominique A. il lisait des textes de l’auteur aux côtés de Juliette Gréco, Anouk Grinberg, et l’immense Cyrille Thouvenin. Sa voix toujours sur l’album de poèmes de Vian, Prévert et Desnos capté en public, faisant suite à une tournée du spectacle avec halte au Jeu de Paume en novembre 2011. Pas étonnant quand on sait que Trintignant aimait les grands poèmes dont ceux d’Aragon donnés en 1998 au Festival de Barjac. Curiosité inlassable, et participation à des aventures scéniques ou discographiques très inattendues, dont celle de «Pantin Pantine» du duo Allain Leprest-Romain Didier où Trintignant était le narrateur.

Fidèle en émotions admiratives Jean-Louis Trintignant sera de l’aventure de «Cantate pour un cœur bleu» du trio Leprest-Didier-Enzo Enzo. Oh presque sur la pointe des mots avec discrétion et sans le signaler partout. Oui Jean-Louis Trintignant c’était une voix, celle d’un esthète fou épris de musique et de peinture, lui qui impressionna le pianiste Alexandre Tharaud sur le film «Amour» de Hanneke. Un homme qui connut la gloire au cinéma, et qui rêvait de théâtre, qui aima l’existence et dont les femmes de sa vie Nadine Trintignant, et Stéphane Audran et Marianne Hoepfner ont accompagné sa carrière artistique et pour la dernière l’a soutenu quand se déclencha son cancer.

Et quelle carrière ! Les réalisateurs qui ont fait appel à lui s’appellent Costa-Gavras, Ettore Scola, Dino Risi, René Clément, Claude Chabrol, Jacques Audiard, François Truffaut, Bertolucci, Lelouch et son célébre «Un homme et une femme» avec le Chabada bada de Michel Legrand, Labro, Deray, Drach, excusez du peu qui tous notèrent son expressivité retenue, et son souhait de ne pas s’étaler en cabotinage.

L’homme était dingue de voitures, de viticulture, «Je passe mon temps dans les vignes, je veille aux assemblages», disait-il et lui qui se montrait dans sa jeunesse exubérant lors de fêtes délirantes données avec ses potes au restaurant des 2 G d’Aix-en-Provence (il avait aussi fait des études de droit dans cette ville), semblait vouloir presque s’effacer face à la caméra afin de défendre ses personnages sans afficher un quelconque ego.

Un homme du Sud né à Piolenc marqué par la mort de ses filles

Piolenc. Un petit village du Vaucluse situé à côté d’Orange avec son quartier Saint-Louis où surplombait une voie de chemin de fer. Piolenc décor du roman policier «Les jumeaux de Piolenc» de Sandrine Destombes. C’est là que naquit Jean-Louis Trintignant le 11 décembre 1930, lui qui en homme fou du Sud se retira à côté d’Uzès où il mourut ce 17 juin 2022. Pudeur, refus d’exhibitionnisme l’acteur demeurera inconsolable de la mort de sa fille Marie tuée en 2003 avec qui il joua en 2002 au théâtre d’Arras, et en compagnie de qui il lira sur scène en 2003 derrière son pupitre les Poèmes à Lou (lettre d’amour du poète Guillaume Apollinaire à sa bien-aimée Lou) (encore de la poésie pour sa voix d’or). En 2005 c’est en hommage à sa fille Marie, qu’il présente son spectacle Jean-Louis Trintignant lit Apollinaire, créé avec elle, au Festival d’Avignon. La douleur de perdre un enfant, Jean-Louis Trintignant l’avait connue avec sa femme Nadine déjà quand sa fille Pauline fut terrassée en 1969 un an après sa naissance. Ce drame la réalisatrice l’évoqua dans son film «Ça n’arrive qu’aux autres» joué par Mastroianni et Deneuve et où on entend la poignante chanson de Polnareff. Si Jean-Louis Trintignant répondait aux questions des journalistes concernant son chemin de larmes, pas question pour lui de s’étendre. Sa force c’était sa pudeur, lui qui réalisa deux films «Une journée bien remplie» et «Le maître-nageur» qui ne marchèrent pas, et dont il n’en tira aucune amertume. Homme à la conscience politique très forte certes peu engagé en politique mais sympathisant de gauche, il a été «sympathisant communiste» dans sa jeunesse, avant d’avoir eu « la preuve que l’homme n’était pas prêt pour ça». Il s’est affirmé en 2012 «contre l’autorité, la politique», et «plutôt socialiste. Voire anarchiste.» Déclarant : «L’idée de l’anarchie me plaît beaucoup, même si je sais qu’on ne sauvera pas le monde avec elle». Une réflexion d’artiste en fait et non d’idéologue, d’un homme discret qui connut la gloire internationale avec «Et Dieu créa la femme» avec Brigitte Bardot (autre grand amour de sa vie, et qui obtint le César du meilleur acteur pour le film «Amour», où il était question de vieillissement, de maladie d’enfant et de mort.
Jean-Rémi BARLAND

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