Journal du festivalier d’Aix-en-Provence – Descentes en enfer et Norma triomphante

Publié le 20 juillet 2022 à  22h41 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  19h09

Le 74e Festival d’Aix-en-Provence s’achève cette semaine. Ses portes se refermeront dans la nuit de samedi à dimanche à l’issue de l’ultime représentation du «Couronnement de Poppée», opéra de Monteverdi magnifié par la direction d’acteurs de Ted Hufmann et le direction musicale de Leonardo Garcia-Alarcon, les deux à la tête d’un collectif artistique auquel il est difficile de reprocher quoique ce soit. Deux créations mondiales et deux opéras en version concert étaient programmées ces derniers jours, en fait deux descentes en enfer *, une descente aux enfers ** et un Bellini tout en puissance.

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«Woman at point zero» – Une femme en enfer

Connaître l’enfer de son vivant, c’est possible. Fatma en est la preuve (encore) vivante. Dans le couloir de la mort en Égypte, la prostitué est emprisonnée pour avoir tué un homme. Elle raconte ce qui fut sa vie à une jeune réalisatrice, Sama, qui tourne un documentaire sur les violences dont sont victimes les femmes. Deux parcours de vie chaotiques émergent d’un échange sans fard entre les deux protagonistes, souvent violent, parfois sensible, toujours cruel témoignant de la condition féminine telle qu’elle est dans certains pays. Est-ce un opéra que ce «Woman at point zero» construit à partir de l’ouvrage de Nawal El Saadawi publié en 1975 ? Pas vraiment. En fait c’est une création multimédias, plutôt réussie et achevée, qui mêle vidéos, musique, théâtre, chant, extraits radiophoniques, tout ceci construit sous la direction de Buschra El-Turk qui signe ici une composition de grande personnalité qui ne verse ni dans l’orientalisme exacerbé, ni dans la facilité larmoyante. Une musique de sentiments parfaitement livrée par l’ensemble Zar sous la direction de Kanako Abe. Au cœur de l’installation intelligente dressée dans la salle de spectacle du Pavillon Noir, Dima Orsho procure tout sa dimension émotionnelle au personnage de Fatma et Carla Nahadi Babelegoto offre à Sama sa fragilité et sa révolte.

«Il Viaggio, Dante» – Enfer et Paradis

Il Viaggio (Photo Monika Rittershaus)
Il Viaggio (Photo Monika Rittershaus)

Créer un opéra inspiré des trésors que sont la «Vita Nova» et la «Divine comédie» de Dante était pour le moins ambitieux. Pascal Dusapin l’a fait, et plutôt avec bonheur. Pour cette deuxième création mondiale festivalière aixoise, et pour accompagner Dante en enfer avant qu’il n’accède au paradis, le compositeur associe les sept tableaux de l’œuvre à une musique accessible, narrative, respectueuse des voix, qui permet d’effectuer le voyage même si c’est parfois intellectuellement difficile. Cette musique trouve en Kent Nagano, le parfait maître d’œuvre à la tête d’un chœur et d’un orchestre de l’Opéra de Lyon totalement investis dans cette création. Dans les décors attrayant d’Etienne Pluss, Claus Guth développe une mise en scène et des chorégraphies intelligentes. L’ensemble est très esthétique et l’opéra parfaitement servi par le narrateur, sorte de Monsieur Loyal « empailleté » Giacomo Prestia, le Dante de Jean-Sébastien Bou, le jeune Dante de Christel Loetzsch, le Virgile de Evan Hughes ; Jennifer France est une Béatrice idéale et Maria Carla Pino Cury une Lucia très présente. Une mention particulière pour Dominique Visse, voix et jeu idéaux pour incarner la voix des damnés.

«Orfeo» – Enfers harmonieux

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Si cette pauvre Euridice, batifolant avec ses copines dans les champs, n’avait pas croisé le chemin d’une vipère, quelques grands et beaux monuments musicaux n’auraient jamais vu le jour. A commencer par «L’Orfeo» de Monteverdi qui était proposé en version concert au Grand Théâtre de Provence. Un vrai bonheur que de retrouver à cette occasion Leonardo Garcia-Alarcon à la tête des deux ensemble qui lui doivent beaucoup : le chœur de chambre de Namur et l’orchestre Cappella Mediterranea. Autant dire deux fleurons pour l’interprétation de la musique baroque qui ont encore totalement séduits pour cet Orfeo dirigé avec fougue, intelligence et bonheur par le maître argentin. Du côté des solistes Valerio Contaldo, Orfée et Mariana Flores, Euridice et la musique, ont totalement séduit leur auditoire qui leur a réservé une ovation tout comme l’accueil des autres interprètes fut des plus chaleureux. Lorsque le chant baroque atteint cette dimension, on se dit qu’Orfée pourrait descendre aux enfers un peu plus souvent.

«Norma» – Puissance et bel canto féminin

La Norma de Bellini (Photo Vincent Beaumes)
La Norma de Bellini (Photo Vincent Beaumes)

Il n’aura fallu que quelques jours pour que les 1 382 places du Grand théâtre de Provence trouvent preneurs pour l’unique représentation en version concertante de la «Norma» de Bellini. Un public qui n’était pas que festivalier et dont le bonheur faisait plaisir à voir lorsque la salle, debout, acclamait les protagonistes du concert. Il faut dire que la prise du rôle par Karine Deshayes était chargée de promesses et comme la dame est connue, et appréciée, par chez nous, aucun amoureux des voix et du bel canto n’aurait voulu manquer cela. D’autant plus que la mezzo-soprano a hissé son interprétation à un impressionnant niveau d’excellence dès cette première. Puissance et sensualité sont les deux adjectifs qui viennent à l’esprit instantanément pour qualifier la prestation de Karine Deshayes. Ligne de chant précise et tendue, vocalises maîtrisées et aériennes, couleur de tous les instants et projection idéale, la dame a plus que séduit et nous avons désormais hâte de la retrouver cette saison à l’Opéra de Marseille où elle chantera Elisabeth, reine d’Angleterre et Les Huguenots. A ses côtés l’Adalgisa de la soprano Amina Edris a été fort appréciée à juste titre.

De la sensibilité, une fragilité de bon aloi et une voix idéalement placée ont permis à la jeune femme de recevoir une belle ovation. Du côté masculin de la distribution le Pollionne de Michael Spyres et l’Oroveso de Krzysztof Baczyk, même moins percutants que leurs consœurs, n’ont pas démérité, Julien Henric et Marianne Croux complétant parfaitement la distribution. C’est une version un tantinet musicalement bodybuildée qu’avait choisi de donner le maestro Riccardo Minasi à la tête de l’excellent Ensemble Resonanz, aux cuivres flamboyants, aux cordes souples et aux vents ciselés. Quant au chœur Pygmalion, on connaît ses qualités et il n’est pas passé à côté de ce qu’il avait à faire.
Michel EGEA

Plus d’info: festival-aix.com
* Enfer : lieu où les damnés subissent le châtiment éternel
** Enfers : séjour des défunts après leur mort (antiquité)

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