Journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial : émouvante cérémonie marseillaise

Publié le 26 mai 2023 à  19h18 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  19h35

A l’occasion de la Journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial, une cérémonie s’est tenue ce mardi 23 mai sur le Quai d’Honneur du Vieux-Port de Marseille Wally Tirera devait rappeler que 12,5 millions d’êtres humains ont été réduits en esclavage.

Wally Tirera - Raymond Arouche, ancien Président du Centre Fleg - Abdourahmane Koita © Michel Caire et WT
Wally Tirera – Raymond Arouche, ancien Président du Centre Fleg – Abdourahmane Koita © Michel Caire et WT

C’est une cérémonie emplie d’émotion qui s’est tenue ce 23 mai devant la mairie de Marseille à l’occasion de la sixième journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage. «Devant ce quai aujourd’hui nous commémorons la mémoire de ces millions d’êtres humains enlevés, vendus, réduits en esclave, pour satisfaire une avidité sans limite», dénonce Wally Tirera, président du Collectif Provence-Alpes-Côte d’Azur pour la Mémoire de l’Esclavage à Marseille qui tient à préciser que «commémorer, ce n’est pas revendiquer, ce n’est pas se victimiser, ce n’est pas accuser, mais se souvenir tous ensemble de cette histoire de France».

Wally Tirera rappelle : «Le port de Marseille fut un des acteurs de la traite négrière, d’où partait des navires aux noms charmants comme : «Le Sauveur», Marseille juin 1714, 355 captifs africains dont 3 morts pendant la vente ; «La Marie Thérèse» 29 mars 1754, 303 captifs africains : 137 hommes, 51 femmes, 77 garçons et 38 petites filles, débarqués en Martinique le 14 mai 1755 ; «Le Jolie cœur», «Le Thésée» 1768, «La prospérité» 23 juin 1783 pour la côte d’Or, «Le Dauphin» 26 avril 1785 pour le Sénégal, «L’Oromaze» 29 mai 1786 de Marseille pour la Côte d’Or, «La Belle Esclave»; «Le Saint Esprit» 16 février 1790….».

Marseille, un des 17 ports négriers de France

Ainsi on compte plus d’une centaine d’expéditions au départ de Marseille pour le continent africain, «arrachant des femmes, des enfants et des hommes à leurs familles pour toujours, laissant derrière eux du sang et des larmes». Marseille fut donc parmi les 17 ports négriers de France «à avoir mis en œuvre 3317 expéditions capturant près de 2 millions d’Africains vendus et réduits en esclavage». Wally Tirera insiste sur le fait que la traversée durait des mois «pendant ce temps les captifs africains étaient confinés tout le long de cette période dans des conditions inhumaines. Une traversée si éprouvante qu’elle causa 1,5 million de morts c’est-à-dire 12% de mortalité sur les navires».

«Un crime contre l’humanité qui est souvent minorée»

Et le président du Collectif Provence-Alpes-Côte d’Azur pour la Mémoire de l’Esclavage à Marseille de poursuivre: «Quatre siècles donc de ce commerce aux millions de morts et aux 12,5 millions d’êtres humains réduits en esclavage, représentant la plus grande déportation que l’humanité ait connu.»

Son constat est terrible: «Un crime contre l’humanité qui est souvent minoré, pas assez enseigné tendant le flanc à toutes sortes de révisionnisme et de négationnisme. Opposant les traites, argumentant que l’esclavage a toujours existé et dans toutes les sociétés. Oubliant ou feignant d’ignorer que la traite transatlantique fut par son ampleur et son intensité la plus dévastatrice pour le continent africain».

«la bénédiction de l’Église»

Wally Tirera met en exergue: «La traite négrière fut l’alliance des nations les plus puissantes du monde de cette époque, ayant réglementé, légalisé, l’enlèvement et la vente des Africains pour en faire des esclaves, pendant quatre siècles». Une mondialisation du commerce des captifs africains qui se réalisa «avec la bénédiction de l’Église au travers la bulle Papale « Romanus Pontifex » du 8 janvier 1454. Une autorisation de faire des êtres humains des choses que l’on pouvait vendre, céder, échanger, abandonner, supplicier à loisir. La mise à l’épreuve de la volonté de millions de femmes, d’enfants et d’hommes qui aspiraient à vivre libre. Des siècles d’humiliation, de violence, de déshumanisation n’ont entamé en rien cette soif de liberté».

«Les révoltes dans les navires négriers n’étaient pas rares»

Mais Wally Tirera insiste sur le fait que, si la traite négrière fut une histoire de souffrance et d’exploitation elle fut aussi une histoire de résistance: «les révoltes dans les navires négriers n’était pas rares. De Rei Amador chef de la révolte du 9 juillet 1595 à SaoTomé à Toussaint Louverture à Saint Domingue devenue la République d’Haïti en 1804, le combat n’a jamais cessé. La France a rétabli l’esclavage le 20 mai 1802, après l’avoir aboli la première fois le 4 février 1794, à cause notamment de la perte de son joyau Saint Domingue (Haïti). La lutte inlassable des Boni, des Marrons entre autres ont abouti à l’abolition définitive de l’esclavage en France le 27 avril 1848». Mais il tient à prévenir que «cette histoire d’hier se traduit aujourd’hui par une nouvelle forme de l’esclavage, ainsi plus de 40 millions de personnes sont en situation d’esclavage. Cela s’appelle l’esclavage moderne qui sévit en Mauritanie, en Libye partout dans le monde et sous nos yeux en France».

«Nous ne sommes pas des commerçants cyniques de la mémoire»

Wally Tirera en vient au Collectif Paca pour la Mémoire de l’esclavage: «On est dans le partage de cette commune histoire de France avec tous. Nous ne sommes pas des commerçants cyniques de la mémoire; nous ne sommes pas des rentiers de la mémoire et nous ne sommes absolument pas dans l’imposture. Nous sommes des militants et des bénévoles aux services de notre devoir de mémoire». Et de conclure par cette citation d’Aimé Césaire «Nous sommes des Noirs, avant tout des hommes égaux de tous les autres hommes, et cela compte seul ; et nous voulons avoir aussi notre place dans les trains que vous exaltez, les trains que vous lancez sur les rails de votre orgueil : le train de la liberté, le train de l’égalité, le train de la fraternité».

«On ne revendique pas, on ne vit pas dans le passé, on veut que l’on respecte chaque individu»

Laurent Carrié, préfet délégué pour l’égalité des chances, représentant le préfet de Provence-Alpes-Côte d’Azur rappelle que cette journée nationale du 23 mai consacrée par la loi du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer, en référence à la marche du 23 mai 1998 qui a vu plusieurs dizaines de milliers de personnes, pour la plupart issues des outre-mer, marcher silencieusement à Paris au nom de la mémoire de leurs ancêtres victimes de l’esclavage. Et d’insister sur l’importance de la mémoire en rendant hommage aux associations et aux historiens pour le travail accompli. Des élus de la ville et de la région sont présents ainsi que des membres du conseil municipal des jeunes. Rachid juge «la cérémonie émouvante», Bara considère: «Je me devais de participer à cette cérémonie, c’est important de ne pas oublier», Abigaël partage: «ce qui est bien c’est qu’au-delà du tragique il y a eu des chants, du gospel».

Pour Abdourahmane Koita, consul général du Sénégal à Marseille: «Cette manifestation est en mémoire des 12 millions de personnes mortes pour la bêtise humaine. L’humanité qui perd son humanité si une seule personne est esclave. Or l’esclavage n’a pas disparu, il existe sous une autre forme et l’humanité est toujours atteinte dans sa chair. Alors merci aux organisateurs. On ne revendique pas, on ne vit pas dans le passé, on veut que l’on respecte chaque individu».
Michel CAIRE

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