Juliette Gréco s’en est allée tel un coucher de soleil sur Ramatuelle

Publié le 25 septembre 2020 à  10h02 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h13

Juliette Gréco a tiré sa révérence  (Photo capture d'écran vidéo INA)
Juliette Gréco a tiré sa révérence (Photo capture d’écran vidéo INA)

En 1983 sur un texte très ironique de Georges Coulonges et une musique de Jean Ferrat, la grande Juliette Gréco qui vient de nous quitter chantait « Maréchal… » une sorte de reprise à l’envers du sinistre «Maréchal…nous voilà », l’hymne pétainiste de la Collaboration. Coulonges y disait : « Maréchal, nous revoilà ! Nous, les petits enfants de France/ Nous que tu as rassérénés/ À qui tu donnais l’espérance /Et des biscuits vitaminés/ Maréchal, nous sommes là/ Pour demander ton indulgence/ Car comme le dit Isorni/C’était toi la vraie résistance /C’est ça qu’on n’avait pas compris/ C’est vrai qu’on s’en s’rait pas douté/ Que, Maréchal, tu résistais/ Quand, de Montoire, tu nous disais « Français, il faut collaborer »… On ne saurait mieux dire, et rien n’était plus émouvant que de voir Juliette Gréco interpréter ce pamphlet anti-fasciste elle dont l’enfance fut traversée du drame de la déportation de sa mère et de sa sœur. Une mère qui revint des camps et qui ne l’aima jamais, laissant Juliette Gréco désemparée, mais lui donnant sans doute cette force intérieure inébranlable, cette promptitude à résister. C’est une femme engagée du côté de ceux qui souffrent qui s’est donc éteinte à Ramatuelle ce 23 septembre. Une muse des poètes existentialistes à qui Sartre proposa un jour de chanter, lui présentant une liste de poèmes, son choix se portant sur ceux de Raymond Queneau. Dès 1945, Juliette Gréco devient l’image de la jeunesse : pantalons noirs, cheveux longs, égérie sans fard ni drapeau, Juliette Gréco fait de son allure provocante une arme de liberté. Ils s’empressent d’écrire pour elle, de Trenet à Prévert en passant par Aznavour, ou Léo Ferré qui lui donne «Jolie môme». Sans oublier Serge Gainsbourg qui lui offre «La javanaise» et le génial tandem Bourgeois/Rivière, les auteurs-compositeurs de «L’amitié », (pour Françoise Hardy) et «Il suffirait de presque rien» (chef-d’oeuvre chanté par Reggiani) qui lui donnèrent «Un petit poisson, un petit oiseau». On ne peut au niveau chanson faire l’impasse sur «Déshabillez-moi» de Nyel et Verlor enregistré en 1967. Proche des musiciens (une passion la lia à Miles Davis) Juliette Gréco aimait les écrivains (preuve ses interprétations de «Mickey travaille», « Les femmes sont belles », et «Utile» textes de Roda-Gil, ou «Comme une idée» de Jean-Claude Carrière), et fut liée de manière amoureuse à Françoise Sagan dont elle joua au Théâtre «Bonheur, impair et passe» mis en scène par l’immense Claude Régy décédé lui aussi voilà peu. C’est tout naturellement qu’elle se tourna plus tard vers de jeunes autrices à l’écriture charnelle telles que la romancière Marie Nimier très émue par sa disparition («Testament rose », «Je n’ai jamais été»), et Adrienne Pauly («Ha le temps»). Jamais là où on l’attendait elle signa une irrésistible version du tube de Claude François «Le jouet extraordinaire ».

Mariée trois fois

De sa vie amoureuse on dira qu’elle fut bien remplie et que Juliette Gréco se maria trois fois. Avec les acteurs Philippe Lemaire et Michel Piccoli (union tumultueuse), puis en 1988 avec Gérard Jouannest le pianiste de Jacques Brel (qui signa la musique de « La chanson des vieux amants») qui mourut en 2018, et dont la disparition la laissa veuve inconsolée Juliette Gréco évoquant souvent l’envie de le retrouver.

«Je suis le fantôme du Louvre»

Et puis il y a la Juliette Gréco actrice : «Orphée» de Cocteau, « La châtelaine du Liban » de Richard Pottier, «La nuit des généraux » de Litvak et bien sûr en 1965 son rôle de «Belphégor», le fantôme du Louvre dans le feuilleton télévisé de Claude Barma tiré du roman d’Arthur Bernède. Quatre épisodes à la télévision et l’impression pour les gens qu’il y en eut des dizaines, tant cette mini-série frappa les esprits.

Avec de nouveaux talents

Juliette Gréco que l’on vit souvent à Marseille et à Aix-en-Provence (au Pasino où avant d’entrer sur scène elle demanda de lire comment la presse annonçait son spectacle; au GTP aux côtés d’Abdel Malik avec qui elle enregistra un album) avait le sens du partage et aima donner leur chance à de jeunes talents, dont Benjamin Biolay et Christophe Miossec. C’était une femme lumineuse qui s’est éteinte à Ramatuelle. Vous êtes partie chère Juliette Gréco mais ne vous en déplaise en écoutant «La javanaise» nous aurons toujours l’impression que vous êtes là, et nous ne cesserons pas de vous aimer, même le temps d’une chanson.
Jean-Rémi BARLAND

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