L’AUSTERITE A ROMPU L’AXE PARIS-BERLIN

Quel avenir pour l’Europe ?
Bien qu’on l’ait célébrée sur l’ensemble du vieux continent ce jeudi 9 mai, l’Europe n’est pas à la fête ces dernières semaines. Les nuages s’amoncellent sur l’Union européenne à un an d’élections qui pourraient faire entrer en masse des eurosceptiques au Parlement de Strasbourg. Des menaces d’autant plus vives que l’axe franco-allemand, de tout temps le moteur de la construction européenne, s’est brisé sous le joug de l’austérité.

« Berlin ne semble pas comprendre à quel point les blessures infligées au projet européen pourraient être irréversibles. Peut-être que 26 millions de chômeurs c’est le point de non-retour. Parfois les décisions économiques produisent des situations politiques extrêmes. La Grèce est le laboratoire qui explique où conduit la cure libérale. L’Union européenne n’est plus associée au bien-être et au progrès, mais au chômage et à l’exclusion sociale. Et ceci est dévastateur pour l’européisme » : ce constat sévère est dressé par l’écrivain espagnol José María Ridao, dont les propos ont été relayés par le quotidien « El Paìs ». Alors que l’on a célébré ce jeudi 9 mai la Fête de l’Europe sur l’ensemble du vieux continent, une journée qui marquait le 63e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman proposant la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), rarement la construction européenne n’a semblé aussi malade que ces dernières semaines. Car les nuages qui obscurcissent l’avenir de l’Union européenne ne manquent pas avec la consolidation d’un parti fasciste en Grèce, les succès électoraux des « populistes » Beppe Grillo et Silvio Berlusconi en Italie, les 6,2 millions de chômeurs recensés en Espagne, 26,5 millions au total sur l’ensemble de l’Union européenne, sans oublier l’effondrement – pour l’heure – des espoirs qu’avait suscité au sein de la population française l’élection de François Hollande, il y a un an presque jour pour jour.
Un panorama auquel il faut ajouter la montée des partis anti-européens en Grèce, en France, en Finlande, au Royaume-Uni et en Allemagne. L’Hexagone est d’ailleurs particulièrement symptomatique de cette ambiance délétère qui entoure aujourd’hui la construction européenne : dans certains sondages, la leader du FN, Marine Le Pen, chef de file de l’extrême droite française, recueille davantage d’intentions de vote que le président de la République François Hollande si l’élection présidentielle avait lieu aujourd’hui.
L’austérité, qui s’accompagne du démantèlement de l’Etat providence et du retour de salaires de misère dans les pays du Sud de l’Europe, a bien nourri ce sentiment anti-européen. En imposant, à marche forcée, assainissements budgétaires et reculs sociaux en Grèce, au Portugal, en Espagne ou en Italie, la troïka, composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), a fait des ravages au sein des peuples européens.

« Si les choses ne changent pas, nous allons voir un Parlement européen peuplé d’eurosceptiques, de nationalistes, de populistes et de xénophobes »

Or, tout ceci semble convenir aux libéraux allemands. Car pour l’heure « Sœur Anne », alias la chancelière Angela Merkel, ne voit toujours rien venir. La croissance ? Pas besoin de la stimuler : elle reviendra seulement avec l’austérité et de le retour de la « bonne fée » que représente la sacro-sainte confiance des marchés financiers. Que doivent faire les pays face au chômage galopant ? Leurs devoirs, c’est-à-dire de nouvelles réformes structurelles et de nouveaux assainissements budgétaires ! Comme aux plus belles heures de l’époque de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, la devise de la chancelière est : « Il n’y a pas d’alternative ».
Mais s’il est toujours en vogue du côté de Berlin, ce discours ne passe plus dans nombre de capitales européennes, notamment au Sud du vieux continent. Et même à Bruxelles, des voix discordantes commencent à se faire entendre – certes pour l’heure toujours de manière anonyme – comme s’en est fait l’écho le quotidien « El Paìs ». « Si les choses ne changent pas, nous allons voir un Parlement européen peuplé d’eurosceptiques, de nationalistes, de populistes et de xénophobes : un repaire d’anti-européens dans de nombreux cas. Le paradoxe est que certains leaders européens ne paraissent pas s’en préoccuper, car cela favorise la dérive intergouvernementale des institutions communautaires », avertissent à Bruxelles des sources diplomatiques bien informées.
Certes, le nouveau diktat de l’austérité se veut aujourd’hui plus lent et accompagné de réformes plus rapides. Bruxelles vient ainsi d’accorder deux ans de plus à la France et à l’Espagne pour atteindre les 3% de déficit. Mais dans les deux pays où le chômage bat des records – 3,2 millions de demandeurs d’emploi en France – le doute demeure : s’agit-il d’un changement de langage réel dans sa substance ou la définition des réformes par Bruxelles et Berlin coïncide-t-elle toujours avec les coupes budgétaires ? Ainsi la réforme des retraites que le commissaire européen Oli Rehn exige de François Hollande suppose-t-elle des niveaux de pensions revus à la baisse ? Là est le nœud du problème.

François Hollande ne s’entend pas avec Angela Merkel et penche vers le Sud

Ce qui est sûr en tout cas, c’est que l’axe Paris-Berlin est aujourd’hui morcelé, divisé, brisé : il a rompu sous le joug de l’austérité. Le moteur de l’Europe est bel et bien grippé comme le démontrent les récentes déclarations des socialistes français. « Si la politique européenne ne change pas, nous allons à une catastrophe politique », explique Jean-Marie Cambadélis, dirigeant du PS et coordinateur d’un document censé définir la politique européenne de la France pour les prochaines années. « Nous sommes l’unique zone du monde qui a passé cinq ans en récession. La droite européenne met tout l’accent sur la compétitivité et commet une erreur monumentale : nous ne serons jamais compétitifs avec l’Inde et la Chine si nous voulons maintenir un niveau décent de protection sociale, tranche le dirigeant socialiste. La recette néo-libérale a généré un chômage énorme, insupportable pour beaucoup de sociétés. Et là où il n’y a pas de chômage, comme en Allemagne, on a précarisé l’emploi avec des salaires de 400 €. »
On le voit le fossé est profond entre Paris et Berlin. Et le pire, serait-on tenté de dire, pour l’Union européenne qui s’est toujours appuyée sur le couple franco-allemand, c’est que les socialistes français n’ont fait que mettre noir sur blanc ce que d’aucuns observaient depuis l’élection de François Hollande. Le président français ne s’entend pas avec la chancelière Angela Merkel et n’a pas confiance en celle qui avait appelé à réélire son adversaire, Nicolas Sarkozy. Quant à « la chancelière de l’austérité », elle ne se fie pas aux réformes, aux intentions et aux actes de la France socialiste.
Dans ces conditions, l’Elysée ne penche plus vers l’Est comme du temps de Nicolas Sarkozy, mais bel et bien vers le Sud de l’Europe. D’autant plus que la récente arrivée au pouvoir du Premier ministre italien, le catholique de centre gauche Enrico Letta, vient de démontrer que la voix de François Hollande n’était plus isolée à l’heure de réclamer une autre politique sur le front de la crise que connaît l’Europe. Dès la première visite du nouvel homme fort italien sur le sol français, les deux pays ont joué cartes sur table. « Aucun pays ne peut sortir du trou seul, la solution est nécessairement européenne, et si elle est bonne pour l’Europe, elle sera bonne pour l’Allemagne », a lancé Enrico Letta. « Sans croissance on n’aura pas seulement plus de chômage et plus de pauvreté, les populismes finiront par imposer dans toute l’Europe les pires instincts », a renchéri François Hollande.

« Que personne n’attende de grandes choses jusqu’aux élections allemandes »

Alors comment le couple franco-allemand peut-il sortir de cette impasse et, avec lui, lUnion européenne ? Jean-Marie Cambadélis plaide pour une relation équilibrée. Mais le dirigeant socialiste observe aussitôt qu’elle semble difficile à établir à l’heure actuelle. « Ensemble nous représentons 49% du PIB européen, mais l’Allemagne a des excédents et la France des déficits. Le grand problème est que le Parti populaire européen domine l’Europe, les Etats et les institutions avec une politique dogmatique, basée sur le modèle allemand, qui affirme que l’austérité génère la croissance et que seule est nécessaire une part minime de solidarité », souligne-t-il.
Dans ces conditions, la France ne semble pas prête à sauter le pas vers l’union politique réclamée outre-Rhin. « L’Allemagne veut un fédéralisme budgétaire, la France un fédéralisme solidaire. Les peuples n’accepteront pas de céder plus de souveraineté si l’Europe ne chauffe pas la chaudière de la solidarité. C’est la seule façon de s’intégrer. Le fédéralisme doit être un aller-retour. Sinon règnera la désunion », insiste Jean-François Cambadélis.
Pour autant, si l’Allemagne semble de plus en plus isolée sur cette voie de l’austérité, rien ne dit qu’elle cédera un pouce de terrain aux solutions françaises qui préconisent de mutualiser les dettes via des euro-bons ou de changer le statut de la BCE. De fait, à Bruxelles, l’inquiétude est croissante comme le signale « El Paìs ». « La France et le Sud de l’Europe sont frustrés par l’intransigeance allemande avec l’austérité ; l’Allemagne est frustrée par la résistance aux réformes en France et dans la Sud de l’Europe. Le consensus est que l’austérité est allée trop loin. Mais le consensus dit aussi que ni la France, ni l’Espagne, ni l’Italie ne sont en position de prendre la tête de quoi que ce soit », confient des sources européennes. Et un diplomate de conclure : « On va ouvrir la main parce que la récession commence à mordre les pays du noyau dur. Mais que personne n’attende de grandes choses jusqu’aux élections allemandes. Il n’y a pas à se faire d’illusions. »
Espérons qu’alors il ne sera pas trop tard pour la construction européenne…

Andoni CARVALHO

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