« L’École des femmes » au Gymnase à Marseille : à force de farce, le bouffant devient bouffon

Publié le 16 mars 2015 à  22h06 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h43

Cela fait plusieurs mois que l’équipe de «L’École des femmes» dans la mise en scène de Philippe Adrien tourne, dans tous les sens du terme (représentation et giries), une vision très personnelle de la pièce de Molière. Détourner un classique comme celui-ci, et comme tous les autres chez ce dramaturge, est moins pari ambitieux que gageure dangereuse. Taisons l’impudence et l’audace : ceci est point de vue, et l’on gagnerait à relire les pages de Barthes sur la critique.

Valentine Galey & Patrick Paroux dans
Valentine Galey & Patrick Paroux dans

Mettons toutefois: cette œuvre au classicisme pérenne sans immuabilité obligatoire, a prouvé sa valeur et, loin d’éteindre la noblesse de la facture, on verse à mesure et à temps tout à son avantage. C’est dire plus clairement : les grandes œuvres s’en sortent mieux seules. A minima, à trop vouloir en faire, on en gêne le cours.
Dire que l’on a aimé la pièce n’est rien dire; qui trouverait à redire, et qui pour rédarguer ? Toute confutation finira ici confuse ; et se fondra dans les syrtes boueuses de la mauvaise foi. Le malaise et l’imposture ne sont évidemment pas sur ce terrain ; mais l’indisponibilité était ailleurs. Nous avions bien ce soir, au Gymnase à Marseille, la montagne Molière en train de se faire, sur scène; mais son feu et sa force n’y étaient pas, Éole plutôt et ses outres et ses vents. Lire : vesses. D’une certaine manière, l’œuvre et la représentation sont tributs et hommages et invocation aux mânes et au génie de l’auteur. Nous n’avons vu que ses reflets, sa silhouette, sa chimère, éventuellement des rambleurs et encore… Nous voulions l’esprit !
En plus d’une année de travail, tout n’a pas changé pour le mieux, certes. Mais tout n’est pas demeuré égal non plus. Toute persistance dans l’erreur plus grossière eût été, que l’on nous passe la Lapalissade, plus fâcheuse encore.
Non pas ! On a vu, l’an dernier, dans le cadre des spectacles donnés en Pays d’Aix, une pièce en pièces, en limbes et en lambeaux. Elle a reparu ce jeudi 12 mars en habits d’Arlequin, sous la tenue un peu lourde de la Pasquinade ; néanmoins rhabillée à la fraîche et mise en valeur par le contexte et les lieux. Au reste, il faut être juste et dire que, des acteurs à la conception du spectacle, il y a eu moult changements; que l’on a vu force progrès : foncièrement et jusques à la forme.
Un tel arbitrage, une telle adénération a quelque chose d’inutile et de vain mais nous disons pourtant, pour le multiple et sa beauté, que ce qu’il nous a été donné de voir était, sans être vraiment probant, mille et tant fois mieux qu’hier -au centuple encore qu’antan. A force de force, et par persévérance, la conclusion sera peut-être concluante…
Nonobstant, de superbes défauts comme autant de travers, s’intercalent sur le chemin d’embûches et tricard qui mènera au succès.
Précisons tout d’abord que l’aspect pastiche et potache de la production dérange. Son côté pastis et potage d’autant. Pas en continuité. En revanche tout du long.
Commençons par les utilités, qui n’en sont pas vraiment : ces personnages font l’interface nécessaire et ne sont pas uniques prétextes : Alain et Georgette, les paysans évaltonnés, tenus à la porrection mais incorrects toujours, cantonnés au courtil et n’en sortant jamais (de même qu’Agnès pour la figure de Madelonnette). Vêtus en Ragotins hideux, ces malfaçons rauquantes sont dans leur rôle; peut-être alors n’en sortent-ils pas assez ou s’y enfoncent-ils trop ? Nous avons vu des abîmes de bêtise, de balourdise ; ad hoc en partie, certes, mais un peu plus de formes ou un peu moins de monotonie dans l’informe nous eût passé l’ennui voire la gêne.
Chrysalde ensuite, par ordre d’apparition, (incarné par Pierre Diot) dont le jeu ne nous a pas semblé mauvais et qui, en sorte, postule et figure la raison dans la pièce : un certain ordre. En amitié, en élégances et en humanité. L’honnête homme donc, que l’on a vu ici jouer, un peu tristement, les imbus et les infatués, voix piquée et haut perchée, professorale et docte, principale et première comme la Toute-Vérité. Le tout à la mode Lavallière, un brin marjolet. C’est un peu dommage et, pour le dire ainsi, il y avait bien des façons pour cet homme dépourvu de faciende. C’est un avis sur la chose toutefois.
Pour rentrer au cœur des choses, et laisser l’honneur aux dames : l’Agnès in reatu, en recluserie et à demeure, invitée à récollection perpétuelle par Arnolphe MAIS sans collection de savoir jamais («Je sais les tours rusés, et les subtiles trames, Dont pour nous en planter savent user les femmes, Et comme on est dupé par leurs dextérités; Contre cet accident j’ai pris mes sûretés, Et celle que j’épouse, a toute l’innocence, Qui peut sauver mon front de maligne influence.» : bien impossible chose que rappelle d’ailleurs Chrysalde d’entrée de jeu : «Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête, Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête? […], Une femme d’esprit peut trahir son devoir; Mais il faut, pour le moins, qu’elle ose le vouloir; Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire, Sans en avoir l’envie, et sans penser le faire»)…
Cette Agnès-là ne se laisse pas décolorer : sa gaîté grand’ teint, ses fraîcheur récalcitrante et joie recommandative font aussi sa reconnaissance et sa consécration aux yeux de l’entourage. Sa distinction est dans cette politesse qui ne se résout pas : le passage de la lecture des maximes et commandements du mariage ou des devoirs de la femme mariée était fort savoureux. Autant dans la réplique que dans la (bonne) appropriation qu’a livrée Valentine Galey : le dépit apparaissait de plus en plus clairement et marqué à mesure que les maximes tombaient, fatales et que, coiffée de ces préceptes (ainsi qu’on la voulait hupper, s’entend), sa candeur et le monde (celui du mariage inclus) « s’ingéniaient », se désingénuisaient, devenaient plus nuisibles et sombres. Sixième et septièmes maximes : «Il faut des présents des hommes Qu’elle se défende bien. Car dans le siècle où nous sommes On ne donne rien pour rien», «Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui, Il ne faut écritoire, encre, papier ni plumes. Le mari doit, dans les bonnes coutumes, Écrire tout ce qui s’écrit chez lui.». L’Agnès malheureuse par office, mais l’Agnès heureuse par principe : cette liberté-ci a toute franchise et se joue des obstacles. Le sort lui sourit toujours. Le contexte pourtant, et le climat, sont hostiles.
Dans un courtil aux fleurs rectisériées, façon couvent, mais où tout ne fait qu’apparaître pourtant sous l’apparence de la vertu aimable et de la correction rectiuscule, la hure hideuse et hispide du sanglier au-dessus de la porte, sous ses airs empruntés de noblesse parvenue, dérange ; détrompent aussi les exhalaisons méphitiques et les solfatares récurrents dont l’Ichor opaque et la défluxion caligineuse remplissant la scène suffisent à la maudire, à intimer qu’il y a dans ce petit royaume quelque chose de pourri, d’emboucané, insulte à la rosée du ciel -et à la vénusté d’Agnès. Nous en souffrions les retours et revolins, le remugle vilain et les ordes écumes.
Dans le rôle d’Arnolphe, vieux barbon enrichi tentant d’épouser l’Agnès ramingue malgré elle, dont les yeux d’apparence ingénue ne regardent qu’Horace (mais quelle vérité profonde sous l’apparence hyaline? Et quelle profondeur véritable sous ces moires anacamptiques ?), Patrick Paroux nous est apparu en une sorte de Louis de Funès. Il a ruchonné beaucoup et renâclé, vociféré tonitruant, gesticulé et grimaçant dans son randon avertin ; l’on peut aimer ou pas, comme on peut aimer ou pas cet ancêtre, mais il faut de l’adresse.
Cet Horace justement, incarné par Pierre Lefebvre, plus Roger-Bontemps ocieux que sybarite voluptueux, écornifleur aussi tâchant et touchant par tous moyens du quibus arnolphéen : la platitude de son jeu nous a déçu. Platitude certes ou plutôt aucune altitude : ça sentait l’école. Nous n’en dirons pas beaucoup plus.
Finissons par celui qui n’est pas le dernier ni l’ultime personnage, mais dont la grossièreté de la peinture nous a heurté et motive ces lignes : le notaire. A la fois babouin et rabouin, cette figure grotesque au possible, penchée, courbée, torve et qui doit une fière chandelle à Saint Mathurin, se déjette à mesure qu’est débité son texte. Une bûche après l’autre et versant aux brussoles les broutilles et le sabir formel, béatilles sans saveur puis sangs mêle, sourcilleux malhabile et sorcier sans séjour.
Contrepartie infructueuse mais visible, pour Arnolphe, de la sorcière absente dont on sait qu’elle a joint et Agnès et Horace. Ce notaire tout de ridicule, imbriaque forcené, hors du bon sens et du cosmos ordonné mais enfoncé sous les gonds festonnés du chaos maniaque, respirait la mauvaise idée.
Le reste était farineux, tartouillé, farfouillé et tafouilleux : soie en moche et souquenilles en floches. Tout y allait et surtout rocambole.
Passant les personnages et leur scurrilité (troupeau sans accord des tabarins turlupinés…) il faut, s’en retournant à l’amont, de façon générale dire que la farce était trop farcie et l’addition salée. Les convives et viveurs que nous sommes, gourmets pour certains, attendions avec gourmandise la lichade et la bringue, bien plus que bombance et valdingue. Nous eûmes la ribote. D’emblée sur scène l’abat-faim des paysans vulgaires et l’on n’a eu ensuite de cesse de nous gaver en mâche-dru, à la goinfre. Solidairement le galimatias et la galimafrée, ad nauseam. Et enfin, surgi de nulle part, le rappel à l’austérité : il a alors poussé, pour notre embarras grand !, des quakers sur scène, à la sorgue où la moisson se fait.
Hélas! La pièce fort strapassée, une si belle machine s’affolant en machin… Le tout manquait de finesse -les allemands diraient Raffinesse (l’intelligence ensemble, et la finesse et la sophistication). Et nous ajoutons pour leur plaire qu’il a manqué et eût fallu de la « Delikat-essen ». Pour ainsi dire. On repassera d’ici un an ou deux : qui sait ?
Bastien FONTUGNE

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