L’Unicef émet un diagnostic sévère sur les droits de l’enfant en France

Publié le 9 juin 2015 à  17h56 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h17

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Le constat est sévère. L’Unicef s’alarme «sur les zones d’ombre» des droits de l’enfant en France. L’organisation, dont la mission est de veiller au respect de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), a remis ce lundi son rapport «Chaque enfant Compte. Partout, tout le temps» au Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Or, le document fait état de plusieurs manquements autour de l’application de cette convention, pourtant signée par la France. Afin d’interpeller le gouvernement français sur les progrès à réaliser et émettre des recommandations concrète, le rapport a été remis par Michèle Barzach, présidente de l’Unicef France à Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, ce mardi 9 juin, à 17 heures.
«Bien-sûr, il vaut bien mieux naître et grandir en France que dans bon nombre d’autres contrées, tant notre pays consacre de moyens financiers colossaux et fournit d’efforts considérables pour offrir au plus grand nombre d’enfants un cadre de vie bienveillant», explique Michèle Barzach. « Pour autant , poursuit-elle, la France échoue en partie à l’égard de l’enfance et de la jeunesse et ce sont les plus fragilisés par la pauvreté, l’exclusion sociale, les discriminations mais aussi par cette période si particulière qu’est l’adolescence, qui en payent le plus lourd tribut ».
Parmi les 10 thématiques explorées dans le rapport, est abordée la pauvreté des enfants. La prise en compte des conséquences de la crise économique sur les enfants et adolescents reste pour l’Unicef France dramatiquement insuffisante. Les enfants et les jeunes sont impactés de manière disproportionnée par la crise économique et beaucoup d’entre eux cumulent les inégalités (éducation, insertion sociale et professionnelles, santé) aux conséquences désastreuses pour leur avenir et celui de la société tout entière.
Le rapport documente aussi la situation inacceptable des enfants migrants non accompagnés et/ou vivant en bidonvilles. Privés de leurs droits fondamentaux en matière de santé, de logement, d’éducation et de protection, victimes de discriminations, ces derniers comptent parmi les plus vulnérables vivant sur le territoire français. «Malgré les recommandations des experts du Comité des droits de l’enfant et les alertes répétées du monde associatif, la prise en compte des droits de ces enfants reste encore tout à fait insatisfaisante menant à des situations indignes», alerte Michèle Barzach.
La justice pénale des mineurs et l’abandon d’une réforme d’envergure (pourtant annoncée à maintes reprises), est un autre sujet de forte inquiétude et de déception. Le glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes opéré dans les années 2000 est en contradiction avec les principes de la CIDE et l’esprit de l’ordonnance de 1945. Les tribunaux correctionnels pour mineurs, principal symbole de cette évolution regrettable, n’ont toujours pas été supprimés malgré les promesses gouvernementales. Par ailleurs, l’Unicef France demande qu’un seuil de responsabilité pénale soit fixé (ce qui n’est toujours pas le cas), à l’âge le plus élevé possible, sans exception prévue et assorti d’un critère complémentaire de discernement.
Au-delà des autres thématiques spécifiques abordées dans le rapport (les disparités territoriales, la protection de l’enfance, le malaise adolescent, les inégalités éducatives et l’aide publique au développement), l’Unicef France souligne les insuffisances en matière de gouvernance. «Force est de constater que la stratégie globale que nous appelons de nos vœux n’existe toujours pas», selon Michèle Barzach, «il n’y a pas de véritable politique publique de l’enfance et de l’adolescence consolidée et articulée, ni de mécanisme de suivi et d’évaluation à la hauteur. Les actions en silo des multiples acteurs et entités nuisent à leur efficacité. Nous pourrions faire beaucoup mieux avec les mêmes moyens».
L’Unicef France émet 36 recommandations à l’attention des autorités françaises pour faire avancer l’application de la CIDE dans les différents domaines les plus critiques. La présentation du rapport aux experts du Comité des droits de l’enfant et sa publication s’accompagnent d’un intense travail avec les ministères et différentes institutions pour impulser de véritables changements. «Plus de 3 millions d’enfants pauvres, plus de 30 000 sans domicile, 9 000 vivant dans des bidonvilles, 140 000 élèves décrocheurs chaque année, des disparités territoriales de plus en plus marquées, particulièrement criantes en France ultramarine… Notre rapport est un cri d’alarme qui doit pousser les autorités françaises à agir d’urgence et de manière plus efficiente pour chaque enfant», conclut Michèle Barzach.

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Pour accéder au rapport « Chaque enfant compte. Partout, tout le temps»: Ici

L’Unicef France a également remis au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, «Nous les enfants !», portant spécifiquement la parole d’enfants vivant en France. Enfants et adolescents vivant dans des quartiers frappés par l’insécurité, en situation de handicap, en milieu hospitalier ou encore en situation de décrochage scolaire témoignent de la réalité de leurs droits au quotidien.

Synthèse succincte des principaux enjeux présentés par l’UNICEF France, dans son rapport alternatif, aux experts du Comité des Droits de l’Enfant des Nations unies.

1.Une gouvernance qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux et des ambitions de la France.
L’UNICEF France déploie depuis la dernière audition de la France auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations unies un plaidoyer très important pour la définition d’une politique nationale de l’enfance et de l’adolescence, ainsi qu’une stratégie globale nationale aux moyens coordonnés. La société civile et les institutions indépendantes irriguent les pouvoirs publics régulièrement avec des travaux de qualité pour une gouvernance renouvelée. Or cette stratégie globale pour l’enfance n’existe toujours pas. La multiplicité et l’action « en silo » des acteurs dans le champ de l’enfance entrainent un manque de visibilité et nuisent à l’efficacité des actions menées. L’absence d’indicateurs spécifiques et partagés, de mécanismes de suivi et d’évaluation ne favorisent pas l’efficience des politiques publiques en direction de l’enfance.

2. Des enfants vulnérabilisés durablement par la pauvreté
Les enfants et les jeunes sont impactés de manière disproportionnée par la crise économique et beaucoup d’entre eux cumulent les inégalités (éducation, insertion sociale et professionnelles, santé) aux conséquences désastreuses pour leur avenir et celui de la société tout entière. Entre 2008 et 2012, 440 000 enfants supplémentaires ont plongé avec leurs familles sous le seuil de pauvreté en France. La permanence d’un horizon précaire est une constante qui concerne désormais plus de 3 millions d’enfants sous le seuil de pauvreté, soit un enfant sur cinq. Le droit au logement, bien que constitutionnel et devenu droit opposable depuis 2007, met en défaut l’Etat au détriment de plus de 600 000 enfants qui grandissent encore dans des environnements délétères, voire à la rue.

3. L’éducation en France : un fossé inégalitaire persistant entre les élèves scolarisés, un véritable gouffre à franchir pour tant d’autres enfants qui n’y ont pas encore accès…
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La Refondation de l’École de la République en 2013 a réaffirmé le droit à l’éducation de tous les enfants et a définitivement promu une école inclusive. Pour autant, et malgré des initiatives multiples, beaucoup trop d’enfants restent encore sur le seuil des établissements scolaires ou même d’établissements spécialisés, sans solution éducative. Le système éducatif quant à lui creuse singulièrement les inégalités entre les élèves et place la France dans les derniers rangs européens en matière de performance et d’efficience. Une mobilisation des pouvoirs publics à la hauteur des enjeux se dessine depuis 2013, notamment dans le domaine de l’éducation prioritaire qui peine jusqu’ici à produire des effets notables et à sortir de l’ornière bon nombre d’enfants laissés pour compte.

4. Des enfants et adolescents qui grandissent encore en bidonvilles, laissés pour compte…
De trop nombreux enfants et adolescents vivent en bidonvilles en France. Leur situation est particulièrement préoccupante. L’accès à leurs droits les plus fondamentaux est loin d’être assuré. Malgré des initiatives multiples, notamment de la société civile, il n’y a toujours pas de réponse coordonnée assurant une protection minimale, un accès durable à l’éducation et à la santé pour ces enfants. Ils comptent pourtant parmi les plus vulnérables sur le territoire.

5. Des mineurs isolés étrangers encore traités comme des étrangers plutôt que comme des adolescents à protéger.
Les mineurs isolés étrangers (MIE) sont d’abord et avant toute chose des enfants et des adolescents qui sont seuls sur le territoire français, privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Au nombre de 8 000 à 10 000 (personne ne sait réellement combien ils sont), leur situation est préoccupante, à plus d’un titre, car ils comptent parmi les plus vulnérables. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait affirmé que la protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les MIE et d’assurer leur prise en charge. Force est de constater que l’accès aux dispositifs de droit commun est semé d’embûches pour ces adolescents, encore trop souvent livrés aux réseaux de traite des êtres humains.

6. Un territoire national, des pratiques multiples. La France, entre disparités, inégalités et discrimination.
La décentralisation a accentué les inégalités entre les enfants vivant en France métropolitaine comme ultramarine ; elle a engendré de fait des disparités importantes, incompatibles avec le plein respect de l’accès aux droits fondamentaux de tous les enfants, français ou étrangers, isolés ou vivant en famille. En matière de prise en charge, de protection de l’enfance, d’accès à l’éducation, pour ne citer que ces exemples, l’UNICEF France s’inquiète de voir qu’un enfant sur le territoire national n’a pas accès aux mêmes services qu’un enfant vivant dans le département voisin. Cette remise en question de l’universalité des droits de l’enfant ne doit pas devenir un standard par défaut.

7. Protéger les enfants : un système plus qu’un projet. La protection des enfants contre toute forme de violence n’est pas encore assurée en France.
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Le droit à la protection est un droit fondamental des enfants et le premier devoir des adultes qui les entourent. Assurer la protection des enfants contre toute forme de violence est également une responsabilité inhérente aux pouvoirs publics. Bien au-delà des missions assurées par les services départementaux de l’Aide Sociale à l’Enfance et du système global de protection de l’enfance, il s’agit d’une véritable mission régalienne qui peine encore à garantir aujourd’hui à tous les enfants en France, et en particulier aux plus vulnérables d’entre eux, une protection à la hauteur des violences, atteintes, brutalités, négligences, mauvais traitements ou encore exploitation qui les menacent bien trop souvent encore.

8. La justice des mineurs ne doit pas perdre de vue ses fondamentaux et doit regagner son rang.
La justice pénale des mineurs et l’abandon d’une réforme d’envergure (pourtant annoncée à maintes reprises), est un sujet de forte inquiétude et de déception. Le glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes opéré dans les années 2000 est en contradiction avec les principes de la CIDE et l’esprit de l’ordonnance de 1945. Les tribunaux correctionnels pour mineurs, principal symbole de cette évolution regrettable, n’ont toujours pas été supprimés malgré les promesses gouvernementales. Par ailleurs, l’UNICEF France demande qu’un seuil de responsabilité pénale soit fixé (ce qui n’est toujours pas le cas), à l’âge le plus élevé possible, sans exception prévue et assorti d’un critère complémentaire de discernement.

9. Adolescents en France : le grand malaise.
Les chiffres concernant les pensées suicidaires, les tentatives de suicides, les addictions et les nombreux comportements à risques sont alarmants chez les adolescents en France. Selon la Consultation nationale des 6-18 ans menée par l’Unicef France en 2014, l’idée du suicide concerne 28 % des 11 232 enfants et adolescents ayant participé à l’enquête, en particulier les filles, tandis que la tentative de suicide aurait été vécue par près de 11 % d’entre eux. Concernant les comportements à risques, plus de 41 % des plus de 15 ans disent consommer de l’alcool et avoir déjà été en état d’ivresse et près de 32 % consommer de la drogue ou fumer du cannabis. Le dialogue entre les enfants et les adultes, pourtant sollicité par tous, a du mal à s’installer dans le quotidien et dans les différents lieux de vie des enfants. Pour autant, les pouvoirs publics ne semblent toujours pas avoir pris la mesure réelle des enjeux et peinent à accompagner jeunes et familles. L’écoute, la vigilance et la prévention doivent devenir enfin les priorités de tous.

10. La politique de développement international de la France entre ambition et réduction des moyens.
Outil de diplomatie et de rayonnement de l’Etat, la politique de développement joue un rôle fondamental dans la mise en œuvre des droits de l’enfant et l’atteinte des objectifs mondiaux en matière de réduction de la pauvreté, d’accès à la santé et à l’éducation, de réduction de disparités et de lutte contre les discriminations. Si la France affiche une ambition politique louable en se dotant pour la première fois d’une loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI), les moyens de sa mise en œuvre sont préoccupants. En effet, 2015 marque la quatrième année consécutive de baisse de l’APD. En contradiction avec les engagements de la France (0,7 % du RNB), cette dernière aura ainsi connu une diminution de 20 % entre 2012 et 2017. Cette baisse est plus qu’inquiétante alors que les Objectifs du développement durable (ODD) seront lancés en septembre 2015 pour remobiliser la Communauté internationale autour de défis cruciaux en matière de lutte contre la pauvreté et la faim, de réduction des inégalités, d’accès à l’éducation, de lutte contre le changement climatique et ses conséquences, etc.

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