La Chambre régionale des comptes Paca rend public ses rapports sur la gestion de la ville de Marseille

Publié le 26 novembre 2019 à  10h10 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h27

A l’issue du Conseil municipal de Marseille, ce lundi 25 novembre, dont la première partie a concerné les deux rapports de la Chambre régionale des comptes (CRC) Paca et suscité presque 4 heures de débat, la CRC a rendu public ses rapports sur la gestion de la ville de Marseille. Nacer Meddah, président de la CRC rencontrera la presse ce mercredi 27 novembre.

Nacer Meddah, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Paca (Photo Mireille Bianciotto)
Nacer Meddah, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Paca (Photo Mireille Bianciotto)

Synthèse des rapports

Synthèse Situation financière et patrimoine

La chambre a examiné la gestion de la ville de Marseille à partir de l’exercice 2012.
Le présent rapport est consacré à la fiabilité des comptes, à la situation financière et aux outils de pilotage et de contrôle. Il traite également de la gestion et de l’entretien du patrimoine. L’examen de ces différents thèmes révèle que les difficultés rencontrées par la ville ont pour origine commune une absence de stratégie claire et une insuffisance dans le pilotage de ses actions, par ailleurs peu économes des deniers publics. Dans ces domaines, la ville ne se fixe pas d’objectifs chiffrés et ne mesure pas davantage la performance de ses services et les résultats de ses politiques publiques. La chambre a de surcroît relevé des défauts de coordination et l’inadéquation d’actions entreprises aux nécessités techniques ou financières, qui conduisent à dégrader l’efficacité et la performance de l’action municipale.

Des dysfonctionnements d’organisation, notamment dans le circuit de la dépense

L’ensemble de ces faiblesses contribue à aggraver les problèmes financiers de la ville. Sans méconnaître les difficultés liées à la configuration particulière du territoire de la ville de Marseille et à sa sociologie, la chambre constate que sa situation financière reste préoccupante, malgré les tentatives de maîtrise des dépenses entreprises au cours des derniers exercices. Cette prise de conscience tardive fait suite à la décision de l’État de diminuer ses dotations à toutes les collectivités territoriales dans le cadre de leur contribution à l’effort de redressement des comptes publics. La baisse de ces dotations a toutefois été largement compensée, à Marseille, par l’augmentation des impôts locaux décidée par le conseil municipal. Des dysfonctionnements d’organisation, notamment dans le circuit de la dépense, ont pour effet de rendre ses comptes partiellement insincères, sans exclure d’éventuels motifs d’ordre strictement budgétaire.

La chambre avait pourtant déjà formulé, dans le cadre de ses précédents contrôles, des recommandations visant à corriger certaines anomalies dans la tenue des comptes de la ville, mais elles n’ont pas été suivies. Il en va ainsi de la nécessité, de rattacher les charges et les produits à l’exercice, d’améliorer le suivi des provisions, de cesser de comptabiliser des restes à réaliser insincères, de mettre fin aux défauts majeurs constatés dans le suivi des autorisations de programme et crédits de paiement et de disposer d’inventaires physique et comptable fiables.

La dette atteint ainsi 2 023 € par habitant à Marseille

L’analyse de la situation financière de la ville de Marseille fait apparaître une progression de ses charges de gestion plus rapide que celle de ses recettes. Ses charges de personnel, ainsi que ses charges financières très élevées du fait d’un niveau d’endettement particulièrement préoccupant, l’empêchent de dégager une épargne suffisante pour financer les investissements courants qui s’imposent à elle, notamment en termes d’entretien.

Ses ambitions en matière d’investissement sont dès lors très restreintes et ne peuvent être financées que par de nouveaux emprunts. La dette atteint ainsi 2 023 € par habitant à Marseille, ce qui est deux fois plus élevé que dans la moyenne des communes de taille comparable (1 139 €) et les frais financiers qui en résultent (48,7 M€ en 2017) sont plus élevés que le cumul de frais financiers réglé par les six autres grandes villes suivantes: Lille, Lyon, Nice, Nantes, Montpellier et Toulouse (40,8 M€). Les insuffisances de stratégie et de pilotage de la ville de Marseille se manifestent également à travers la gestion de son patrimoine.

La ville ne dispose pas d’une connaissance exhaustive de ses biens

La ville ne dispose pas d’une connaissance exhaustive et suffisamment fine de ses biens et de leur état. Elle est en particulier dépourvue d’outils de mesure documentés de l’état de santé de ses bâtiments et des dépenses d’entretien qu’ils nécessiteraient. En l’absence de ces indicateurs, elle n’est pas en mesure de définir une stratégie foncière et patrimoniale globale, et de décliner une politique adéquate d’entretien. L’exemple des écoles marseillaises illustre cette absence d’état des lieux et de démarche stratégique. Il en résulte des défauts manifestes de planification et de réactivité en matière d’entretien courant et de réhabilitation des bâtiments communaux.

Écoles: les solutions apportées par la ville n’ont pas été à la hauteur des défis à relever

Si l’État de délabrement de plusieurs dizaines d’écoles a fait l’objet de nombreux signalements et alertes de l’Éducation nationale, les solutions apportées par la ville n’ont pas été à la hauteur des défis à relever. Les situations les plus urgentes à traiter se concentrent dans les 3e, 13e, 14e et 15e arrondissements, dont la plupart des écoles appartiennent au réseau d’éducation prioritaire, mais dont l’état de mauvais entretien, n’a pourtant pas conduit la ville à conférer à leur réhabilitation un caractère prioritaire.

La Ville acquitte parfois des loyers très élevés au regard du prix du marché

La chambre observe par ailleurs que lorsque la ville donne à bail des immeubles, elle néglige parfois d’en percevoir les recettes dans des délais raisonnables et ne suit pas correctement l’indexation des loyers. En revanche, lorsqu’elle est locataire d’immeubles de bureaux, elle supporte en général toutes les charges d’un propriétaire sans en avoir néanmoins la qualité, et acquitte parfois des loyers très élevés au regard du prix du marché. Enfin, du fait de décisions de gestion mal anticipées ou de mauvaises coordinations internes, elle loue aussi des locaux qu’elle n’occupe que très partiellement.

A plusieurs reprises le patrimoine a pu être vendu dans des conditions de régularité contestables

S’agissant des cessions immobilières, elles ne s’inscrivent pas dans une stratégie clairement arrêtée, hormis la préoccupation d’abonder les recettes du budget de l’année, mais sans les optimiser. La chambre a ainsi observé qu’à plusieurs reprises le patrimoine a pu être vendu dans des conditions de régularité contestables et à un prix insuffisamment valorisé. Il est aussi apparu que les prix de cession recelaient des marges de négociations que la collectivité n’a pas suffisamment exploitées, ce qui est particulièrement critiquable au regard de sa situation financière. S’agissant enfin d’acquisitions d’immeubles, la chambre a relevé dans les cas qu’elle a examinés, qu’elles étaient intervenues dans des conditions juridiques parfois contestables et assez peu économes des deniers publics. La chambre formule, à l’issue de ce contrôle sur les finances et le patrimoine, dix-sept recommandations.

Synthèse Gestion des dépenses de personnel

La chambre a examiné la gestion de la ville de Marseille à partir de l’exercice 2012.
Le présent rapport est consacré à la gestion des ressources humaines.
Avec plus de 12 000 agents (équivalents temps plein), la ville est, après l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, le deuxième employeur local. La masse salariale atteint plus de 510 M€ et représente environ 60 % des dépenses totales de fonctionnement de la ville fin 2017. Ces chiffres montrent que la gestion des ressources humaines constitue un enjeu majeur pour la ville de Marseille.

A cet égard, la chambre a pu observer que plusieurs actions ont été lancées par la ville visant à une meilleure maîtrise de ces dépenses, avec des outils plus modernes. La chambre ne peut cependant, à ce stade, en apprécier l’efficacité, dans la mesure où la majorité de ces actions n’a été initiée que dans le courant 2018, comme la mise en place d’une nouvelle organisation renforçant le rôle pivot de la direction générale en charge des ressources humaines ou le déploiement d’un nouveau système d’information (AZUR).

La chambre souligne l’urgence que revêt la mise en œuvre de telles mesures pour améliorer de manière significative la performance en gestion de la ville. Analysant les principaux déterminants de la masse salariale sur lesquels la commune peut influer (effectif, régime indemnitaire), la chambre s’est également penchée sur les modalités de pilotage et de gestion des ressources humaines.

Avec une augmentation de près de 11 % entre 2012 et 2017, se traduisant par une dépense supplémentaire de plus de 50 M€ en 2017 par rapport à 2012, la masse salariale de la ville de Marseille progresse bien plus rapidement que ce qui est observé dans les communes de la même strate. Les mesures gouvernementales intéressant l’ensemble de la fonction publique n’expliquent que moins d’un tiers de cette augmentation, puisque leur l’impact est évalué à environ 15 M€. A elle seule, la masse salariale explique plus de 80 % de la hausse des charges de gestion sur la période.

L’insuffisante durée de travail a représenté chaque année, entre 2012 et 2017, près de 12 M€ de dépense

Atteignant un peu plus de 2 320 € en 2016, le niveau de rémunération brute moyenne mensuelle servie aux agents municipaux, tous statuts confondus, se situe au-dessus de la moyenne nationale. Pour autant, le temps de travail des agents marseillais reste inférieur à la durée légale sur la période. L’insuffisante durée de travail a représenté chaque année, entre 2012 et 2017, près de 12 M€ de dépenses et l’équivalent de près de 300 agents. Le système de badgeage des personnels (présence/absence) n’est à ce jour opérationnel que dans un nombre restreint de services. Avec un tel niveau de charges de personnel, le coefficient de rigidité des charges s’aggrave encore pour dépasser de plus d’un point et demi celui des communes comparables.

Embauches supérieures au nombre des départs de la collectivité

La chambre constate que la ville n’a pas su saisir toutes les opportunités qui s’offraient à elle pour mieux maîtriser ces dépenses. Il en va ainsi du remplacement systématique, et au-delà, des départs en retraite, et plus généralement d’embauches supérieures au nombre des départs de la collectivité, et ce alors que le périmètre des compétences exercées par la commune, se réduisait, compte tenu du contexte intercommunal élargi avec la création de la métropole. De même, aucune mutualisation des services n’a été initiée.

L’évolution des dépenses de personnels est d’autant plus paradoxale que l’augmentation de la population municipale est moins importante que dans d’autres grandes villes. Par ailleurs, alors que le processus de création des emplois et le dimensionnement des effectifs relève du conseil municipal, la chambre note que celui-ci n’est pas systématiquement consulté et quand il l’est c’est souvent sur le fondement de documents budgétaires incomplets ou erronés.

S’agissant du régime indemnitaire, la chambre relève qu’avec plus de 82 M€, la « masse des primes » servies aux agents titulaires est également un facteur important de la hausse des dépenses de personnel. Elle contribue à cette augmentation à hauteur de 25 %. La croissance des primes s’explique principalement par les décisions annuelles concertées avec les organisations syndicales, conduisant à l’augmentation des attributions individuelles sur des bases essentiellement forfaitaires et ne tenant donc pas compte de la manière de servir. La ville est par ailleurs en retard dans le déploiement du nouveau régime indemnitaire basé sur les fonctions, les sujétions, l’expertise et l’engagement professionnel (RIFSEEP) institué dans la fonction publique d’État et se généralisant dans les collectivités locales, puisqu’elle ne l’a, pour l’heure, expérimenté que sur 1 % de ses agents (administrateurs, directeurs et attachés hors classes).

Un certain nombre d’agents avaient été maintenus au-delà de la limite d’âge légale de la retraite

En ce qui concerne la nouvelle bonification indemnitaire (NBI), la chambre note qu’elle est versée à tort à de très nombreux agents. Enfin, les heures supplémentaires ont progressé entre 2012 et 2017 de près de 24 %, pour atteindre 3,8 M€. Si une inflexion positive est perceptible en 2018, la chambre observe que leur attribution n’est toujours pas sécurisée.

La chambre a relevé également que des recrutements avaient été effectués dans des conditions et à des niveaux irréguliers et aussi qu’un certain nombre d’agents avaient été maintenus au-delà de la limite d’âge légale de la retraite. La chambre prend acte de la régularisation de certaines situations individuelles à la suite de son rapport provisoire, mais constate également que d’autres ne le sont toujours pas.

De manière plus générale, la gestion des vacataires, qui représentent un montant de dépenses important, mériterait d’être davantage maîtrisée. L’externalisation, la sous-traitance et autres délégations de services publics se sont multipliées durant la période. Bien qu’annoncée par les services, la «réinternalisation des fonctions» susceptible de justifier une croissance de la masse salariale, n’est ni engagée, ni vraiment programmée, et en tout état de cause, pas perceptible dans les finances de la ville. La chambre formule à l’issue de cet examen spécifique sur le volet des ressources humaines onze recommandations.
Michel CAIRE

[(

Liens permettant d’accéder aux rapports ainsi que les deux réponses du maire, Jean-Claude Gaudin

Rapport d’observations définitives sur la gestion de la ville de Marseille, Situation financière et patrimoine
Rapport d’observations définitives sur la gestion de la ville de Marseille, Gestion des dépenses de personnel)]

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