La Chronique littéraire de Christine Lettellier : Les vies multiples d’Amory Clay

Publié le 23 décembre 2015 à  11h22 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h57

William Boyd aime les héroïnes au caractère bien trempé et sait, à merveille, se faufiler dans leur peau. Avec Armory Clay il a trouvé une proie qui lui convient parfaitement, elle est photographe, reporter à une époque où seul un homme est digne d’incarner ce métier. Nous sommes au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et cette jeune bourgeoise anglaise, initiée à la photographie a trop envie d’en découdre avec la vie pour figer sur papier glacé des portraits de femmes évanescentes… Faire du beau, plaire, elle n’en a que faire. C’est une va-t-en-guerre qui a besoin de sa dose quotidienne d’adrénaline pour échapper à la condition des femmes de son époque.

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Être femme photographe après la Grande-Guerre c’était un défi à la fois sociétal, culturel mais aussi, un nouveau regard qui, tout en participant à ce que va devenir la photographie moderne, lui ouvrira d’autres champs, d’autres perspectives. Ces femmes qu’il était de bon usage de placer devant l’objectif, le jour où elles s’en emparent enfin, évidemment qu’elles ont des choses à dire, à montrer. Amory Clay dessine ainsi d’une certaine manière l’aventure dans laquelle se sont engagées ces pionnières de la photo attirées par l’effervescence créative de villes comme New-York, Londres, Paris, Berlin .
C’est dans le monde du Berlin interlope des années vingt que cette photographe va pour la première fois se faire remarquer. Ses clichés sulfureux font scandale, une véritable aubaine, un magazine américain la recrute et commence alors sa vraie vie dans le New-York des années trente. On retrouve avec plaisir dans cette épopée romancée de William Boyd son doigté de virtuose, pas de fausse note dans la mise en ambiance des décors, des émotions. On palpe, on respire, on goûte, le moindre détail est peaufiné et son style toujours très fluide laisse au lecteur une grande liberté d’interprétation. William Boyd aime ouvrir des portes.

De Londres au… Vietnam

Derrière l’objectif d’Amory Clay ce sont tous les événements les plus marquants de l’histoire contemporaine qui défilent dès son retour en Angleterre pour créer une antenne du magazine américain qu’elle dirige dans les années 1930. De Londres secouée par les émeutes des chemises noires – elle sera passée à tabac, grièvement blessée en 1936 lors d’une manif des fascistes d’Oswald Mosley – à la France occupée, son objectif couche sur papier des sensations, des vécus, des événements comme le Débarquement, la guerre du Vietnam qui donne corps à son personnage.

Un regard différent

William Boyd © Trevor Leighton
William Boyd © Trevor Leighton

Si William Boyds aime tant se glisser dans la peau d’une femme c’est qu’il en connaît tous les ressorts mais aussi tous les émois. La romance a ainsi sa place dans cette épopée, ce qui explique le titre « Les vies multiples d’Amory Clay » mais elle est utilisée comme des marches qu’il faut grimper et des haltes qui s’imposent pour cette femme aussi déterminée à vivre ses passions que la feuille de route qu’elle s’est fixée en choisissant son métier.
Au travers de ce personnage fictif William Boyd redonne ainsi vie à ces pionnières de l’image de guerre, ces premières femmes ayant réussi à s’imposer dans l’art et la technique photographique. Ce que rend très bien d’ailleurs l’exposition qui se tient actuellement au Musée d’Orsay à Paris et joliment titrée « Qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1945». A voir et… à lire.

« Les vies multiples d’Amory Clay » de William Boyd au Seuil – 544 pages – 22,50 €.

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