La Criée de Marseille reçoit la Comédie française : « Les Fourberies… avec un Scapin phénoménal  » dans une mise en scène de Denis Podalydès

Publié le 30 octobre 2018 à  10h14 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h09

Denis Podalydès qui a monté
Denis Podalydès qui a monté
Benjamin Lavernhe campe un gigantesque Scapin © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
Benjamin Lavernhe campe un gigantesque Scapin © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
La sirène d’un bateau. Un décor représentant un quai et un intérieur de maison. Peu de lumière, une ambiance de film noir. Denis Podalydès qui a monté «Les Fourberies de Scapin» de Molière dans une scénographie d’Eric Ruf a choisi de tirer la pièce vers l’aspect polar de son intrigue. C’est assez peu courant, et d’autant plus judicieux qu’ici tout le monde ment, on cherche par vengeance et pour la bonne cause à voler son prochain, et que personne n’est ce qu’il prétend être. En l’absence de leurs pères Octave et Hyacinte se sont mariés, et Léandre est tombé amoureux de Zerbinette. Mais voilà que Géronte et Argante sont de retour de Naples pour imposer à leurs fils respectifs un mariage arrangé. Heureusement pour les amants et pour la grande infortune des vieux ronchons avaricieux, Scapin veille au grain et va sortir de son sac des tours de bluff et par ses ruses successives faire triompher l’amour qui libère. Notons que les mères sont ici absentes, que les femmes (et notamment les servantes) n’ont pas un rôle décisif dans le dénouement des choses, et que, pour une fois chez Molière, l’union secrète entre Octave et Hyacinte est célébrée sans l’accord du père avant même que la pièce commence. Ingratitude de la jeunesse envers les aînés, ridicule des pères prêts à tout pour imposer un ordre que les fils ont déjà arrangé à leur guise, Denis Podalydès habille l’ensemble de préoccupations d’aujourd’hui. Et d’hier. Intemporel son fabuleux travail tient à la fois du récit sociologique, du thriller drolatique, de la commedia dell’arte, et d’une réflexion sur l’amour qui semble annoncer Marivaux. Pour embellir l’ensemble le metteur en scène s’offre de grandes libertés de ton et commence par dévêtir entièrement Scapin qui torse nu d’abord va traverser la scène sobrement mais en tenue d’Adam cachant néanmoins ses parties intimes, (on n’est pas chez Olivier Py tout de même) provoquant des grands «oh» de surprise, notamment de la part du nombreux jeune public présent dans la grande salle de La Criée de Marseille où on donnait « Les Fourberies… » cette semaine. D’ailleurs une fois rhabillé, (très vite d’ailleurs) Scapin va se tourner assez souvent vers les enfants pour les faire taper dans leurs mains, en invitant même un d’entre eux à venir le rejoindre sur scène pour rosser à coups de bâton le sinistre Géronte enfermé dans un sac et suspendu dans le vide par un treuil. C’est hilarant, et c’est une trouvaille supplémentaire de Denis Podalydès qui invente sans arrêt et mène tout le monde sur un rythme d’enfer. Pour une fois si tous les acteurs sont excellents, (Didier Sandre en Géronte, Gilles David en Argante, Pauline Clément, pétillante Hyacinte, Bakary Sankaré en Silvestre, Jean Chevalier dans le rôle de Léandre, par exemple) toute la mise en scène donne l’impression d‘avoir été créée pour le seul Benjamin Lavernhe, gigantesque Scapin. Phénoménal, étourdissant chauffeur de salle entraînant le public à bruiter certaine scènes et invectiver le méchant et ridicule Géronte, (cela rappelle Guignol se moquant des gendarmes), l’acteur nous offre un show physiquement virevoltant. Sans cabotiner pourtant, allongeant le pas quand l’intrigue l’exige (et la durée initiale de la pièce sertie pour le coup d’un quart d’heure supplémentaire par rapport à l’heure quarante cinq annoncée), Benjamin Lavernhe, un des jeunes comédiens particulièrement remarquables du Français, incarne un Scapin vengeur et bondissant, un mélange de Zorro, et de bandit à la Mandrin. La pièce de Molière trouvant par lui et par le regard de Podalydès un souffle nouveau, un angle particulier, une lecture assez politique et une manière d’incarner le personnage central peu souvent montrée. Au risque cependant de proposer un one man show excluant parfois les autres acteurs, Benjamin Lavernhe, clown, funambule, danseur et comédien à la fois nous éblouit et nous enthousiasme. Et, comme de coutume la diction de tous est parfaite, audible, ample et pas un brin empesée ou excessive. Du grand art pour un spectacle, lisible par tous, impeccable de force et d’inventivité qui a conquis les petits comme les grands.
Jean-Rémi BARLAND

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