La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. ‘1991’ de Franck Thilliez : les débuts de Sharko, le flic seul passionné par la psychologie humaine

Publié le 20 juin 2021 à  19h30 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h15

Comment Franck est-il devenu Sharko ? Ou encore comment tout cela a-t-il débuté ? Personnage central des romans de Franck Thilliez, une voix qui compte dans l’univers du polar français, cet homme persévérant et passionné par la psychologie humaine semble avoir vécu mille vies au-travers de ses enquêtes résolues à grands coups de décryptage des dysfonctionnements de l’âme des ses semblables.

Franck Thilliez une des références du thriller français © Audrey Dufer
Franck Thilliez une des références du thriller français © Audrey Dufer

Comment ce cérébral inquiet et soucieux du détail «peut changer la donne» s’est mué en ténor du Quai des Orfèvres ? C’était en décembre 1991, et ce que nous donne à découvrir Franck Thilliez n’est autre que la première enquête de Franck Sharko, et disons-le, c’est aussi une de ses plus complexes.

Tout juste sorti de l’école des inspecteurs, il rejoint les archives de la Maison, où il est chargé de reprendre l’affaire des Disparues du Sud parisien. Entre 1986 et 1989 elles sont trois femmes à s’être volatilisées sans raison apparente. Elles se prénomment Corinne, France, et Isabelle habitant respectivement les XVe, XIIIe, et XIIe arrondissements de la capitale. Elles ont été enlevées puis retrouvées dans des champs violées et lacérées de multiples coups de couteaux. Depuis, malgré des centaines de convocations, de nuits blanches, de procès-verbaux, d’appels à témoins, le serial-killer court toujours. La photo d’une femme couchée dans un lit les mains attachées aux montants, la tête enfoncée dans un sac, au dos duquel est consigné une adresse, interpelle Sharko, et l’entraîne dans ce qui est un périple de la mort. Direction Saint-Forget, dans les Yvelines, en pleine Haute Vallée de Chevreuse où Franck Sharko découvre le cadavre d’une victime défigurée et torturée.

Son visage étant recouvert d’un sac papier marron, «de ceux qu’on trouve dans certains magasins d’alimentation». Des yeux et une bouche ont été dessinés «avec ce qui ressemble à du rouge à lèvres grenat, tube non présent à proximité… » La victime entièrement nue sur le dos, les jambes écartées comme les bras, mais non attachées, les seins brûlés de manière très localisée et profonde, ainsi que le sexe. «La chair ayant littéralement fondu dans ces zones alors que le reste du corps est intact ». Ajoutons des hémorragies massives à ces endroits, des œufs de mouche de type « Calliphora vomitoria » présents en nombre au cœur des plaies, montrant un début de putréfaction évident. Un permis de conduire récupéré dans la poche d’un manteau conclut que la victime se nomme Delphine Escremieu, qui âgée de 34 ans, était née à Plouzané, dans le Finistère. Oui mais voilà… Ses parents dépêchés à la morgue pour la reconnaître affirment : «Ce n’est pas Delphine. Ce n’est pas notre fille.»

Du Simenon mâtiné d’hyperviolence

Comme Georges Simenon l’avait fait dans «La première enquête de Maigret» où il présentait la personnalité de son commissaire, Franck Thilliez avec «1991» plante d’abord un décor. Précis sur les objets et les lieux traversés par ses personnages, il sème des petits cailloux narratifs qu’il faut prendre très au sérieux. Des affiches de films cultes «Les Tontons flingueurs », « Garde à vue» deux chefs-d’oeuvre dialogués par Michel Audiard, ou encore «A bout de souffle» de Godard), un tract, et surtout un exemplaire des «Fleurs du mal» deviennent comme des témoins humains.

L’auteur qui insiste comme Simenon sur l’usage que l’on fait de voitures marquant leur époque, ne s’intéresse guère aux victimes. Non par manque de compassion de la part des commissaires concernés mais parce que hélas on ne peut plus rien pour elles. Ce qui importe à Franck Thilliez c’est la psychologie des tueurs. Là encore Simenon n’est pas loin, mais où l’auteur s’éloigne de lui c’est par l’hyperviolence des meurtres et assassinats évoqués. S’inscrivant dans une tradition plus actuelle du polar il se place plutôt du coté de Grangé, Ellroy, ou Thomas Harris l’auteur du « Silence des agneaux ». Morts atroces, comme celle d’un certain Félix Scotti mordu à plusieurs reprises par un serpent, cadavres découpés, nous sommes dans du thriller « sang pour sang ». Et de surprises en surprises, Franck Thilliez nous tient en haleine.

« Être flic, c’est être seul » mais…

Certes pour Sharko surnommé Shark, «être flic, c’est être seul ». Et pourtant comme chez Simenon, l’enquêteur est entouré de toute une équipe dont chaque membre fait l’objet d’un portrait précis qui éclaire le lecteur sur la force d’empathie et de compassion du commissaire central. Et notamment Thierry Brossard, alias « Titi » inoubliable comme le sont Serge Amandier, le numéro 2 du groupe et le procédurier Alain Glichard, appelé « le Glaive » parce que «sa coupe au bol et sa moustache en guidon aux reflets argentés brillaient comme du métal froid, mais surtout parce que l’homme était raide comme la justice» avec jamais un mot plus haut que l’autre ni de coup de gueule, et une vie privée inconnue. On le disait Franck Thilliez a comme le Simenon des Maigret le sens du portrait physique et psychologique. Comme son brillant devancier, il s’abstient aussi d’utiliser trop d’adjectifs, les choisissant avec économie, parcimonie et justesse. Dans «1991» il n’y a aucun gras, que du muscle et si il pleut ou fait du vent on sent la pluie et le vent s’insinuer en vous. Un grand roman donc, où de simples employés, chef de chantier de bâtiment ou ingénieur en mécanique, sont élevés au rang de héros de tragédies antiques. Et c’est stupéfiant autant sur le fond que par la forme.
Jean-Rémi BARLAND

«1991 par Franck Thilliez – Fleuve noir – 501 pages – 22,90 €

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