La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. ‘Ces femmes-là’ d’Ivy Pochoda: réflexion sur les forces du hasard et la violence des hommes à l’égard des femmes

Publié le 30 mars 2023 à  16h53 - Dernière mise à  jour le 8 août 2023 à  8h38

West Adams, un quartier délabré de Los Angeles divisé par l’autoroute qui mène à la mer et où persistent les traces d’émeutes raciales de 1992. Treize femmes ont trouvé la mort en 1999, tuées probablement par le même homme. le mode opératoire était chaque fois identique tout comme le choix des victimes, des travailleuses du sexe, hormis l’une d’entre elles. Quinze ans plus tard, il est de retour. Quatre autres femmes sont retrouvées dans les rues sombres du quartier, la gorge tranchée et un sac sur la tête. Est-ce le même tueur ? Si c’est le cas, pourquoi s’était-il arrêté ? La série de meurtres de 1999 est restée non résolue en raison d’un manque de motivation des forces de l’ordre.

Son identité, et ses motivations, ce n’est pas vraiment ce qui intéresse Ivy Pochoda, l’auteure de ce poignant thriller intitulé «Ces femmes-là». Bien entendu, l’enquête dévoilera le comment et le pourquoi de ces actes odieux. Mais l’essentiel est ailleurs.

Dans le portrait des victimes et l’empathie avec laquelle l’auteure, qui sera présente aux Quais du Polar de Lyon du 31 mars au 2 avril, parle de la souffrance de ces femmes réduites au silence. Ce sont elles le centre du motif, le point d’ancrage du récit sociologique qui nous est proposé. Dans une narration éclatée Ivy Pochada, romancière américaine saluée dans le monde entier pour «Route 62», propose à l’intérieur de chapitres construits comme des nouvelles se recoupant toutes pour former un seul et même récit, une réflexion sur les forces du hasard et la violence des hommes à l’égard des femmes. «Le danger, c’est ce qui arrive aux autres. Le danger ne se présente que si tu reconnais son existence», peut-on lire tandis que nous sont présentées une à une les actrices malheureuses de cette histoire tragique.

Il y a Dorian Williams, qui cuisine pour les autres, dont la fille Lecia a été la dernière femme assassinée en 1999 ou Feelia, la seule femme à avoir survécu à l’attaque du tueur, ou encore Julianna Vargas, danseuse transformée en Jujubee, par Kathy, elle-même retrouvée morte dans un terrain vague près de la 27e Rue. Sans oublier Anneke Colwin, et surtout le lieutenant de police Esmeralda Perry, dite Essie. Qui se fait un peu la voix de l’auteure. Pensant que sa petite taille était un avantage, car elle empêchait les gens et les flics de deviner qu’elle était de la police, cette femme courageuse et déterminée chasse les prostituées dans un nid de prostituées. Pas très subtile comme mission, mais très édifiante. Menée avec efficacité, puisque son sens de l’observation et sa force de déduction soulèveront les montagnes de l’indifférence devenue générale puisque ce sont des jugées moins que rien qui sont mortes assassinées. Et donc des êtres privées de dignité par la quasi totalité d’une société assez raciste au demeurant.

La voix de celles que personne n’écoute

Si «Ces femmes-là» est un roman puissant, savamment construit, admirablement écrit, d’une ampleur narrative magistrale c’est qu’il bouscule les codes du genre en faisant entendre la voix de celles que personne n’écoute. Dans un monde qui veut détruire leur corps et les réduire au silence, Ivy Pochoda leur rend une légitimité et leur témoigne au final affection et respect. Un grand livre coup de poing qui frappe au cœur et suscite le débat.
Jean-Rémi BARLAND
«Ces femmes-là» d’Ivy Pochoda – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon. Éditions Globe – 392 pages – 23 €.

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